Potentiel descendant de l’écrivain occitan prix Nobel Frédéric Mistral – « je sais qu’il a assisté à un mariage dans la famille, mais la généalogie se perd après des mariages entre cousins », sourit-il. Philippe Mistral s’intéresse lui aussi aux cultures locales. À celles plus lointaines. Un documentaire qu’il présentera cet été porte sur l’enquête que l’environnementaliste avignonnais a menée auprès du peuple amérindien waorani, en proie à la pression des compagnies pétrolières, aux déforestations, pollutions et conflits en tout genre qui vont avec. Avec son équipe, ils ont souhaité leur venir en aide.

Influencer les choses
À 42 ans, Philippe Mistral n’en est pas à son coup d’essai. Trente expéditions dans les jambes, organisées par lui-même ou en collaboration, pendant lesquelles le géographe a scruté  les cartes du globe pour en déceler les moindres interstices insoupçonnés. Le plus souvent sous les tropiques ou l’Équateur, « il est fait meilleur », sourit-il. Île de Sulawesi en Indonésie, archipel des Chagos de l’océan Indien, massif du Makay à Madagascar… En tout, douze ans en mission de conservation et recherches scientifiques en quête d’aventure humaine et d’essentiel. « Pour moi, l’expérience du voyage tient du sacré », confesse-t-il.
Également conférencier, Philippe Mistral propose aux entreprises qui le souhaitent ses projections et ses ateliers pédagogiques « positifs sur l’écologie ». Positifs ? « C’est une demande récurrente de mes clients qui ne veulent pas être accablés. Mais je suis bien obligé d’aller à l’encontre de cette demande, parce que, sans être négatif, il faut être réaliste ! Alarmant, mais pas alarmiste. »
Si Philippe Mistral se présente en tant qu’environnementaliste, c’est-à-dire comme un technicien de la conservation de l’environnement, c’est donc qu’il « préfère sensibiliser, influencer les choses plutôt que militer ».
Nonobstant, son action auprès du peuple waorani traduit bien un certain engagement de la part de cet ancien pompier volontaire. Agir sur les causes sociales, philosophiques, identitaires… de la « déculturation » du peuple waorani, les accompagner ce faisant dans leurs luttes contre les atteintes à l’environnement constitue bel et bien un acte géopolitique. Modeste, local, mais réel. C’est tout le sujet du film dont Philippe Mistral signe l’écriture, avec à la réalisation Caroline Lelièvre, naturaliste.

Le mal en question
En pleine forêt primaire d’Amazonie et avec les 14 membres de l’expédition, l’équipe est structurée également autour d’une zoologue, d’une botaniste et d’une anthropologue. Elle mène une enquête selon un protocole d’investigation ethnographique basé sur l’interview d’un maximum d’Amérindiens waoranis et d’acteurs clés de leur territoire. À ces questionnaires s’ajoute un relevé exhaustif des impacts environnementaux locaux. Enfin, des pistes de solutions sociétales, culturelles, écologiques et économiques sont avancées pour aider cette communauté à maintenir et valoriser sa culture.
« C’est en traversant une partie du territoire amazonien que je suis tombé sur eux, presque par hasard. Et dans cette communauté-là (100 personnes environ), j’ai vraiment ressenti qu’il y avait une démarche volontariste de s’en sortir, alors que ce n’est pas le cas dans les autres communautés amérindiennes que j’ai pu rencontrer, comme en Guyane. Soit le mal est déjà trop fait, soit il n’y a pas de volonté. » Le mal en question, une fracture sociale entre les jeunes générations autochtones qui partent vers les villes avec l’idée de « vivre à l’Occidental, devenir rappeur ou footballeur. Mais souvent ça se passe mal. Beaucoup deviennent mendiants, sombrent dans l’alcoolisme, la prostitution… » Tandis que les anciens souhaitent maintenir leur mode de vie ancestral, « la déculturation est rapide et brutale », constate Philippe Mistral.

Non-assistance à personne en danger
Fort de son expérience passée à Madagascar et en Indonésie au contact d’autres populations autochtones, l’environnementaliste sent alors qu’il va pouvoir revenir. De ce travail au long court réalisé là-bas avec des anthropologues, auprès de populations contraintes elles aussi à se déplacer, il a acquis la conviction « que même si on n’a peu de compétences, de temps et de moyens, on peut quand même agir. À son niveau. Il ne faut surtout pas se dire que, si on n’en a pas toute la légitimité, on ne doit pas le faire. Ce serait de la non-assistance à personne en danger, clairement ». L’expédition amazonienne 2021 inclut d’ailleurs une coiffeuse dont le métier empathique a beaucoup aidé à créer des liens.
Après le temps des questions sur la communauté, la culture, leur lien à l’environnement, jaugeant leur corrélation – Y a-t-il trop de pluies ? Présence de pollution ? Vous sentez-vous plus riches ou plus pauvres qu’avant ? Avez-vous envie d’aller vivre ailleurs ? – est venu celui de définir les solutions. « La plupart avaient déjà été entreprises par les Amérindiens, ce qui nous a confortés dans les choix, notamment sur l’éducation. En Équateur, l’Éducation nationale existe, mais faiblement, et il n’y a pas de formation à la langue waorani. Les enfants, comme nous, il y a quelques années, parlent un peu le patois avec leurs grands-parents mais pas plus. La langue se perd. Il était important que quelques référents, des vieux sages – ils sont quatre – aillent dans les écoles pour enseigner la langue, mais aussi la vannerie, la fabrication d’une sarbacane ou d’une lance. » Les scientifiques préconisent d’écrire leur langage pour en garder la trace et d’envisager la création d’un musée. « Il était important aussi qu’ils se fédèrent pour avoir plus de poids dans leur lutte contre les pétroliers, poursuit l’environnementaliste. Ce n’était pas un grand projet sur la déculturation de tous les Waoranis, mais un microprojet, pour avoir un effet direct et ne pas avoir à revenir tous les ans, comme j’ai pu le faire en Indonésie. »
Restent cependant des points sur lesquels Philippe Mistral et ses amis n’ont pas de prise : « Ce sont les politiques du gouvernement d’Équateur. Elles sont compliquées depuis quelques années […] On m’a envoyé des vidéos d’affrontements entre pétroliers et Waoranis dans le village où nous étions, où on se tirait dessus à balles réelles. Un hélicoptère de l’armée et avec des soldats en armes qui en sont descendus ; c’est une véritable opération commando ! »

Les waorani vont-ils réussir malgré tout à co-évoluer avec notre monde moderne ? Ou leur culture va-t-elle au contraire disparaître nous privant à jamais de leurs connaissances uniques, en herboristerie par exemple ? Ce sont les questions que pose parmi d’autres le film qui retrace cette expédition. Et parmi les réponses, celle d’un Waorani : « Le pétrole vit à l’intérieur de la terre. Laissons-le vivre à l’intérieur de la terre. »
Propos recueillis le 16 mai, à Balaruc-le-Vieux

Odyssée dans les îles oubliées d’Indonésie

Un second film coréalisé par Philippe Mistral sera également à l’écran à Millau (Aveyron), lors des Natural Games (27/30 juin), Banda, une odyssée dans les îles oubliées d’Indonésie. Il a reçu le Galathéa de bronze, catégorie Monde Marin du Festival Galathéa 2023 (première diffusion) et le Prix Jeunesse du Festival Clefs de l’Aventure 2024. « Ce documentaire veut témoigner de la vie quotidienne des populations insulaires affectées par des pressions environnementales et sociétales qui les dépassent. Porter à la réflexion toute la beauté et la fragilité de ceux qui tentent de faire perdurer leurs modes de vie face à un monde en pleine mutation. » Pas tout à fait le même sujet, mais une vision similaire. Le film de 39“ a été construit autour d’une équipe plus resserrée, avec Émilie Rozand à la co-réalisation, Laura Chamorro, océanographe géologue, et Laurent Marie, un cadreur sous-marin apnéiste qui nous livre notamment des images époustouflantes d’une colonie de méduses.

Légendes :

1 – Cette photo de Kadé, l’un des membres de la communauté waorani présentée dans le film, en est l’affiche.
© Caroline Lelièvre

2 – L’équipe remonte le Tiputini, un affluent de l’Amazone, à la rencontre des Waorani.
© Caroline Lelièvre

3 – Philippe Mistral dans la mangrove d’une île d’Indonésie.
© Catherine Chaubard

4 – La photo de ce lagon est tirée du second film coréalisé par Philippe Mistral et Émilie Rozand, Banda, une odyssée dans les îles oubliées d’Indonésie.
© Émilie Rozand