En grande pompe. Ce 11 mars 2022, Jean-Luc Moudenc s’est fait grand ordonnateur de la signature d’un important document d’urbanisme : la « charte de Revue de projet ». Pour le parapher, le maire de Toulouse a convié Stéphane Aubay, président de la Fédération des Promoteurs Immobiliers de France pour la partie Toulouse-Occitanie, et Jean-Michel Fabre, président de l’USH-Occitanie-Midi-Pyrénées, qui rassemble les organismes HLM régionaux. L’objectif de cette convention est de mettre en phase les projets immobiliers significatifs avec les attentes de la mairie en matière d’urbanisme. Et, ce avant le dépôt de la demande de permis de construire. Une démarche qui s’inscrit dans un nouveau paradigme, celui de l’urbanisme de projet, qui se veut être marqué par la concertation des acteurs publics et privés de la construction, jusqu’aux habitants eux-mêmes, représentés par le maire de quartier. « Initiés en 2015, l’instance et le processus de Revue de projet visent à faire évoluer, le cas échéant, les projets afin que la demande de permis de construire devienne une formalité », précise Annette Laigneau, maire adjointe de Toulouse en charge de l’Urbanisme. « Nous veillons à ce que les bâtiments respectent une charte de qualité d’usage, un aspect qui n’existe pas dans le plan local d’urbanisme (PLU). Il s’agit de répondre aux enjeux de qualité de l’habitat dans l’intérêt du public », ajoute Souhayla Marty, adjointe en charge de la qualité urbaine. « Par exemple, nous pouvons demander aux promoteurs de créer dans chaque projet de résidence un espace végétalisé pour que les habitants puissent se détendre, que les enfants puissent jouer. Ou encore, nous pouvons demander à remplacer des balcons par des loggias lorsque la façade donne sur une voie circulante et bruyante », illustre l’édile.

Droites dans leurs bottes
Des intentions louables qui butent sur un aspect plus juridique, selon le Conseil régional de l’ordre des architectes d’Occitanie (CROA). « Nous ne contestons pas la politique visant à la recherche de qualité d’usage des bâtiments ou plus généralement la politique d’urbanisme de Toulouse. Le problème, c’est que nombre des demandes faites dans le cadre du processus de Revue de projet ne sont pas inscrites dans un document d’urbanisme opposable sur un plan juridique », regrette Christian Combes, président du Conseil régional de l’ordre des architectes d’Occitanie (CROA d’Occitanie). « En outre, la mairie se prévaut du PLUi-H alors que celui-ci a été annulé par la justice administrative. Nous ne pouvons concevoir des bâtiments au-delà de ce que dit le PLU, le code de l’urbanisme et de la construction ! Sinon sommes-nous encore dans un État de droit ? ».
On peut en effet constater que le PLUi-H, annulé par le Tribunal administratif de Toulouse, une décision qui a été confirmée par la Cour administrative d’appel, est mentionné texto dans la charte de Revue de projet. Estimant ne pas être entendu sur ce point essentiel, le CROA d’Occitanie a fini par envoyer à la mairie quelques missives plus juridiques par le biais de son avocat. « Considérant que cette procédure, non prévue par le Code de l’urbanisme, porte atteinte aux droits des architectes, et ne leur offre ni sécurité juridique ni un raccourcissement des délais en phase normale d’instruction, le Conseil régional de l’ordre des architectes d’Occitanie a refusé de signer cette charte », a expliqué l’institution qui siège rue Croix-Baragnon, dans un courrier daté du 5 juillet 2022, demandant in fine la suppression pure et simple de cette procédure de pré-instruction des permis de construire. Réponse de la Ville, le 14 septembre 2022, sèche : « Il s’agit d’un cadre de discussion propice à l’élaboration partenariale de projets de qualité […] Cette instance ne peut donc être remise en cause. » Un an plus tard, les élues en charge de l’urbanisme restent droites dans leurs bottes. « Si les promoteurs et architectes ne font pas ce que nous leur demandons, ils s’exposent à un refus de permis de construire ! s’emporte Annette Laigneau. Nous ne pouvons pas rester à un PLU qui a plus de dix ans ! », renchérit Souhayla Marty.
Mais ce n’est pas que sur l’aspect légal que le bât blesse. De nombreux cabinets d’architecture passés sous les fourches caudines de la Revue de projet sont nombreux à se plaindre, voire à s’insurger contre un processus long, mal balisé, manquant de règles écrites, au final très coûteux de par le nombre d’heures passées avant parfois d’aboutir à un refus. À tel point que plusieurs d’entre eux renoncent désormais à travailler avec la mairie de Toulouse.

Parler à un mur
Un processus « partenarial » ? Une instance « de dialogue » ? Le prononcé de ces mots semble écorcher les tympans de plusieurs dirigeants de cabinets d’architecture toulousains interrogés par artdeville qui ont souhaité conserver l’anonymat. « Ce n’est pas vrai, c’est un lieu de monologue ! », répondent-ils de façon unanime. Autant parler à un mur ? « Avant la mise en place de cette procédure, c’était beaucoup plus simple. Le promoteur déposait directement la demande de permis de construire, et un échange constructif pouvait alors avoir lieu entre l’architecte et un instructeur du service d’Urbanisme de la Ville afin de corriger le dossier. Aujourd’hui, on nous fait des demandes qui ne sont pas toujours marquées par la qualité de la compétence en matière d’architecture. Elles peuvent aussi avoir des conséquences importantes sur le projet. Par exemple, imposer un espace vert et de détente – ce que la municipalité dénomme « cœur d’îlot » – au sein d’une parcelle où est prévue la construction d’un immeuble a pour conséquence d’en diminuer la surface d’emprise au sol et au final la surface de plancher. En effet, il n’est pas possible de rajouter des étages pour compenser cette baisse. Du reste, les hauteurs présentées dans les projets sont souvent rabotées par la mairie. La rentabilité économique en est dès lors affectée », explique un architecte présent sur le marché toulousain depuis plusieurs dizaines d’années.
Le cumul des griefs a donc tourné au casus belli pour les architectes toulousains. « Nous restons très ouverts à la discussion », veut tempérer Annette Laigneau. Même appel au dialogue du côté du Conseil régional de l’ordre des architectes d’Occitanie. Mais seul l’avenir dira si le mur tombera entre les deux institutions.