A l »école Jean d’Ormesson à Nîmes, ça ne sonne plus… ça pianote. Depuis son inauguration en février 2020, cette gigantesque structure de béton et d’acier résonne à chaque temps de pause au son d’une mélodie de la bande originale d’Amélie Poulain. Depuis la cour, désormais, les élèves surplombent la ville ; ou quand l’architecture métaphorise la réussite scolaire promise, en plaçant sous leur nez, au propre comme au figuré, ces nouvelles perspectives qui s’offrent à eux. Désormais l’école n’est plus située au beau milieu du quartier du Mas de Mingue mais à la frontière, au sommet de la colline du Mas de Teste. « Nous sommes dans un quartier d’éducation prioritaire, et nous voulions déplacer l’école pour lutter contre la ségrégation et contre la fuite complète des effectifs. Ici, les gens se procuraient des dérogations ou fuyaient vers le privé pour éviter d’inscrire leur enfant dans cette école », explique Véronique Gardeur-Bancel, adjointe en charge de la réussite scolaire à la Ville de Nîmes.

La coconstruction, pour en finir avec le ghetto
Ancré dans une démarche de rénovation urbaine, ce projet mijote depuis 2009 et nourrit une ambition de taille donc : désenclaver le quartier, lutter contre un décrochage scolaire massif, et favoriser une mixité sociale jusqu’ici inexistante. La Ville s’en est donc remise à l’expertise du sociologue Laurent Visier et de l’ethnologue Geneviève Zoïa. Chargés d’établir les contours de ce projet expérimental, les deux chercheurs ont confirmé dès le départ un constat sans appel : le Mas de Mingue « possède les caractéristiques d’un ghetto », écrivent-ils dans un rapport daté de juillet 2014. Le quartier présente également un taux d’échec scolaire quatre fois supérieur aux autres écoles nîmoises. Et le duo d’inciter les pouvoirs publics à inclure toutes les parties prenantes dans la construction de ce pôle, et à répondre aux grandes lignes du concept « d’empowerment » (« responsabilisation » en français). « Il s’est agi de ne plus seulement raisonner par le haut, à partir de l’institution, mais à l’aide du potentiel du quartier, à savoir le réseau d’associations et les habitants. Il s’est également agi de réduire le clivage entre deux pôles, à savoir du côté des habitants, le ressenti d’un immense sentiment d’abandon et, du côté des institutions, des formes de méconnaissance et de crainte de publics peu fiables », précisent encore les chercheurs.
Une technique qui semble avoir porté ses fruits, et que la Ville de Nîmes applaudit aujourd’hui avec fierté. « Ce pôle éducatif est le résultat d’une véritable coconstruction. Il y a les enseignants, la Ville, les parents et le milieu associatif, détaille Véronique Gardeur-Bancel. Il y a eu un énorme travail d’écoute et de diagnostic. »
Dès le départ, l’implication des parents s’est révélée très forte. « Quand nous avons fait les premières réunions de concertation, on s’est aperçu que les parents d’élèves représentaient un tiers du public, relève Farida Yassine, présidente de l’association des parents d’élèves du Mas de Mingue. Au fil du projet, on a mis en place des réunions sur la sécurité, ou encore sur l’organisation des équipements. Nous étions parfois 40 ou 50 parents. » Parmi leurs préoccupations majeures figuraient la sécurisation des abords de l’école, l’ergonomie du mobilier scolaire, ou encore la qualité de l’alimentation. « Cela nous a permis de construire une certaine cohésion », poursuit Farida Yassine.

« En REP+, les relations avec les parents sont plus étroites »
Une coopération qui a également montré toute sa richesse quelques semaines à peine après l’ouverture officielle, alors que la France entière s’enlisait dans une crise sanitaire sans précédent et vivait son premier confinement. Dans le quartier, en effet, cette période de repli a montré combien la fracture numérique n’était pas qu’un concept. Alors que le célèbre refrain d’Amélie Poulain résonne à tue-tête dans l’établissement, une institutrice délivre ses élèves au compte-gouttes à mesure que père et mère pointent leur nez à l’entrée. Et elle confirme sans détour : « Il y a pas mal de problèmes avec le numérique. Beaucoup d’enfants n’ont pas d’ordinateur. Pendant le confinement, on s’est démené pour inventer des exercices à lire sur le téléphone ou pour leur faire parvenir des copies. En REP+ (Réseau éducation prioritaire renforcée), les relations avec les parents sont plus étroites, nous sommes là pour les aiguiller dans les devoirs. Ce n’est pas toujours facile, certains parents ne savent pas lire. »
Ici, les enseignants rencontrent les parents tous les deux mois pour faire un point sur le suivi de l’élève. Des éducatrices apportent aussi leur soutien aux enfants en difficulté. Un dispositif salutaire d’après Maeva Fourlin : « Mon fils, qui est en CE2, la voit régulièrement. Il discute avec elle le jeudi, en début d’après-midi. Il avait des problèmes de comportement et de rapport à la nourriture, et elle arrive à lui faire exprimer des choses… Il est très content d’aller la voir, c’est son petit plus. »
Même enthousiasme pour Marie-Anaïs Defort. « Ma fille est aussi suivie par une maîtresse spécialisée. C’est une bonne école, les élèves sont bien soutenus. »

Attirer tous les publics
Dès l’entrée, un atrium ouvert aux parents est le lieu d’échanges et d’événements potentiels. Cette bâtisse baignée de lumière abrite d’ailleurs plusieurs espaces ouverts au public, comme le bureau des associations, le city-stade, la ludo-médiathèque… et le Fab-lab ! Découpe laser, outils en tout genre, imprimante 3D, brodeuse numérique… « C’est gratuit, c’est accessible à tous. Il suffit juste d’être inscrit à la ludo-médiathèque, explique Geoffrey Undereiner, responsable de cet espace. Et ça permet de faire venir un public qui ne se serait pas naturellement intéressé au Fab-lab. » Des univers multiples en somme, capables d’attirer un public extérieur au quartier, de provoquer la mixité sociale, et à la fois de fournir un ensemble de ressources foisonnantes, à portée de main pour les enfants du coin.

Aux quatre coins de l’Hexagone, quelques villes expérimentent le concept de pôle éducatif comme à Arras, Saint-Denis ou Aubagne. Placées sous le sceau de la coopération et du dialogue, ces premières esquisses pourraient bien inspirer quelques pistes à l’école de demain. Et soudain cet air de Sheila, qui tourne en boucle dans nos têtes : « Donne-moi ta main, et prends la mienne… »

Les chiffres clés

• 260 élèves
• 10,6 M€ HT dont 6,5 à la charge de la Ville
• 395 000 € de mobilier scolaire et culturel (dont 110 000 € financés par la CAF)
• 2 928 m² intérieurs et 3 735 m² extérieurs
• 15 classes modulables