En 2040, TGV et trains de marchandises devraient franchir l’horizon d’Occitanie et les couchers de soleil sur l’étang de Thau. Perpendiculairement, dès 2024, « l’indispensable » outil du port de Sète et du dépôt de carburants de Frontignan, la D600, aura sans doute vu son trafic routier conforté par le doublement de ses voies, au pied du massif classé de la Gardiole. Au milieu de l’étang de l’Or, le bout des pistes de l’aéroport de Montpellier et les flamants roses verront bientôt le nombre de décollages augmenter nettement grâce à une extension « raisonnable ». Tandis que la jonction « nécessaire » entre deux autoroutes, le contournement ouest de Montpellier (COM) aura ouvert ses vannes à un nouveau flux de voitures et camions, le LIEN, liaison intercommunale d’évitement nord, aura mine de rien bouclé un périphérique montpelliérain « pour désengorger la grande métropole ». Avec la DEM (Déviation Est de Montpellier) et l’A9 au sud, doublée par A709, le LIEN aura été une pièce maîtresse du puzzle.
En tout, près de 15 milliards d’euros auront été dépensés, et les objectifs des lois climats et de protection de la biodiversité respectés ? Les bouchons résorbés ? Rien n’est moins sûr.
Dossiers de DUP et polémiques
Un périphérique n’est pas fait uniquement pour contourner une agglomération, il est aussi fait pour y pénétrer plus facilement. Et c’est bien ce que souligne l’avis n° 2021APO84 de la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe Occitanie), en date du 28 septembre 2021 : « Il n’est pas démontré que le projet de LIEN, et notamment la section ouest, réduise la dépendance automobile et agisse sur les comportements, compte tenu du trafic induit qu’il pourra générer. »

Mandatés par la Ville, les urbanistes réputés Bernardo Secchis et Paula Vigano, en 2013, lors d’une présentation de leurs travaux pour Montpellier 2040, à la Maison de la démocratie. Les projets routiers (A709, COM…) et ferroviaires (LGV) n’avaient pas leur agrément. © FM/artdeville

DUP… Une phonétique en aveu pour cet acronyme de déclaration d’utilité publique ? Des déclarations qui vont et qui viennent. Car une DUP peut être abrogée lorsque ladite « utilité publique » est remise en question. 7,8 km de l’infrastructure nouvelle du LIEN font l’objet d’un avis émis en 2014 par le préfet de Région pour un projet de DUP. 2018, l’arrêté de DUP est signé par le préfet de l’Hérault, également préfet de Région, ce qui laisse un vice substantiel sur ce dossier du LIEN. Le Conseil d’État demande ainsi en juillet 2021 au préfet de l’Hérault de régulariser cette situation en sollicitant un avis de la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe), une autorité indépendante.
Les projets d’infrastructures régionaux, départementaux ou municipaux font de plus en plus polémiques. Souvent anciens, ils sont désormais jugés en considération de la crise climatique et de celle de la biodiversité, comme si commençait un nouveau siècle des Lumières, celui des citoyens contre les atteintes à l’environnement, c’est-à-dire, en l’espèce, contre l’inertie à mettre œuvre la transition écologique inscrite dans la loi.

Janvier 2022, c’est décidé ! Le Conseil d’État confirme que la société Vinci Autoroutes financera à 100 % le COM, environ 350 M€, et que son usage se fera sans péages. André Deljarry, président de la CCI de l’Hérault, se félicite : « Le monde économique dispose désormais d’une vision, d’un cap, celui de 2030 pour avoir une véritable rocade autour de Montpellier. » Tout aussi réjoui par l’avancée de « ce dossier majeur pour les mobilités du territoire », Michaël Delafosse, maire-président, annonce pour 2028 la future Zone à faibles émissions (ZFE) qui interdira tous les véhicules diesel dans Montpellier. Et dès ce 1er juillet, la mise en place des vignettes Crit’air excluront peu à peu les véhicules en fonction de leur âge. Paradoxe ? Dans le même temps, enthousiaste, M. Deljarry explique malgré le contre-exemple de l’A709 et ses bouchons persistants, que ce COM permettra aux « consommateurs du centre-ville de ne plus être découragés par les problèmes de circulation. » Et il ajoute, en parlant au nom des chefs d’entreprise du territoire : « Pour avoir une desserte optimale et complète, nous appelons de nos vœux la finalisation du LIEN. » Le collectif « SOS-oulala » dénonce « un projet d’un autre temps », « un mensonge politique » et « un carnage écologique. » Pour Anna Tubiana, représentante de l’association, ces infrastructures sont un prétexte pour pouvoir construire au nord de la métropole de Montpellier, alors que le sud est saturé. Et sa conviction : « Un autre futur est possible, les habitants l’inventent. »

Avec la création de Zones à faibles émissions (ZFE), les véhicules polluants seront interdits de circuler en ville. © FM/artdeville

« De bons rails »
Du béton sur 28 m de hauteur, pour un viaduc de 1,4 km… En barque sur l’étang de Thau, dans la crique de l’Angle classée Natura 2000, il sera possible d’entendre et voir passer les trains à 320 km/h. La 1re phase de la LGV Montpellier-Béziers en est maintenant au stade du protocole d’accord financier. Sète Agglopôle Méditerranée (SAM) s’engage à apporter 12,40 M€, idem pour la métropole de Montpellier à hauteur de 85 M€. Ce sont les contributions de ces collectivités aux 2,4 Mds nécessaires à la réalisation du projet. « La ligne nouvelle Montpellier-Perpignan (LNMP) est enfin sur de bons rails », titre le communiqué de la métropole héraultaise. Certes, son aboutissement se verra à l’horizon 2040. Un timing qui laisse à toutes les révolutions technologiques la possibilité d’imposer un nouvel aiguillage vers un nouvel équilibre. Autre DUP, en septembre 2021, pour l’autre LGV Bordeaux-Toulouse, le Conseil d’État a rejeté la demande d’annulation de déclaration d’utilité publique réclamée par un collectif d’opposants.

Fuite en avant ? Projet structurant pour les uns, projets inutiles et écocides pour les autres, où est la voie ? Quid de leur obsolescence potentielle face à la transition écologique ? « On ne va pas revenir aux charrettes pour porter des containers », lance François Commeinhes maire de Sète et président de l’Agglomération, conscient néanmoins du problème. S’il défend encore le doublement de la D600 « nécessaire au tissu économique », il précise que c’est le Département qui a pris cette décision, un chantier de 60 M€. Il regrette d’ailleurs au passage que SAM soit contrainte d’en financer les bassins de rétention. En outre, l’élu se montre inquiet : « C’est comme la ligne LGV, on nous demande de financer, mais on ne tient pas compte de nos remarques (…), ça va avoir un impact catastrophique sur la source d’Issanka, sur le paysage. Je ne pense pas que l’impact environnemental va être compensé par les avantages que les habitants du territoire vont en retirer (…), notamment sur la diminution des TGV en gare de Sète. Actuellement, il y en a huit, à terme, il n’y en aura plus que deux. »
L’association ALT veut faire entendre la voix des citoyens du bassin de Thau : « Demain ne nous appartient plus ! Mobilisez-vous ! » Réunions, mobilisations et pétitions s’enchaînent pour contester un tracé qui date des années 90. Pour Simon Popy, de France nature environnement, antérieurement favorable à cette LGV, même analyse que M. Commeinhes : les dégâts seront « incompensables ». Selon l’ancien scénario, le bilan carbone des travaux devait être compensé en 32 ans ; selon les nouveaux objectifs légaux, on sait aujourd’hui qu’il faudra en réalité 240 ans ! « Mais il ne faut pas regarder que le bilan carbone », prévient M. Popy pointant les atteintes irréversibles à l’habitat d’espèces endémiques, « sur la biodiversité, ce projet est le pire qu’on ait vu ». Felix Caron, président de « voix citoyenne 34 », l’affirme : « pour les grands projets d’État, il faudra à l’avenir repenser la manière dont les citoyens sont consultés et mis à contribution. »

Image virtuelle du projet de la ligne 3 du métro toulousain dont les opposants dénoncent le bilan carbone incompatible avec les objectifs des lois climats. © Toulouse Métropole

La couleuvre d’Esculape et la rainette méridionale
Dans l’Hérault, un insecte, le Grand Capricorne et son vieux chêne vert ont réussi à détourner des engins de chantier qui œuvraient au service d’une urbanisation à la parcelle controversée. Pour l’heure, s’il y a des voix difficiles à entendre, ce sont bien celles de la couleuvre d’Esculape et la rainette méridionale. Elles font partie des nombreuses espèces qui présentent un statut de protection réglementaire, dans la finalisation du projet de liaison de 32 km entre Baillargues et Grabels, soit la liaison entre l’A9 et l’A750.

2004, Charte de l’environnement, extraits : « Les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l’émergence de l’humanité (…) l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel (…) l’environnement est le patrimoine commun des êtres humains. » Montpellier, Cour d’appel décembre 2021, la justice reconnaît les droits fondamentaux des citoyens à « assurer la défense d’un chêne du fait de sa qualité “d’arbre remarquable” abritant une espèce protégée, le Grand Capricorne Cerambyx Cerdo ». Elle rappelle ainsi la valeur constitutionnelle de la chartre de l’environnement de 2004, en ces termes : « La préservation de l’environnement ayant par conséquent une valeur équivalente au droit de propriété et à la liberté d’aller et venir… »

Ainsi, avec ou sans ZAD, ces zones à défendre que des militants jusqu’au-boutistes proclament, les victoires sont possibles. Celle qui protège désormais le chêne de Castelnau-le-Lez en est une, et l’abandon fin 2021 du projet de centre commercial Oxylane, à Saint-Clément-de-Rivière, en est une autre. L’action citoyenne permet parfois de faire triompher la loi. Promulguée le 9 août 2016, celle pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages veut « protéger les espèces en danger, les espaces sensibles et la qualité de notre environnement. » Pour autant, l’inertie de cette économie de l’abondance est réelle, et continue d’entrer en contradiction avec les lois et les consciences. Elle nourrit le ressentiment. En l’état, les ZAD risquent de se faire plus nombreuses.

La mobilité intelligente
Le numérique s’est développé dans les transports sous le nom d’ITS (Intelligent Transport System). Les ITS améliorent l’efficacité des déplacements : autopartage, covoiturage, multimodalité, ils permettent de modifier les comportements et de transformer les usages. L’ITS, c’est aussi la connaissance et le suivi des émissions par modes de transport pour faciliter la responsabilisation des différents acteurs du secteur.
Alors que la création d’une agence de la mobilité est à ses prémices, sous la responsabilité du Préfet de région, M. Guyot, la planification (ou la non-programmation) de grandes infrastructures va-t-elle se faire plus cohérente ? Car, pendant ce temps, l’ennemi rôde. Tueuse invisible, la pollution de l’air est la quatrième cause de décès avec son dioxyde d’azote (No2) et ses particules fines PM10, PM2,5. La pollution atmosphérique « c’est plus de 40 000 décès prématurés en France, et un coût social et économique de 101 Mds € chaque année », explique la Perpignanaise Agnès Langevine, présidente d’Atmo Occitanie et par ailleurs vice-présidente du conseil régional. ZFE, gratuité, mobilités actives, l’enjeu sera de réussir à financer une transition écologique socialement juste.

La crique de l’angle, à Balaruc, est l’un des 6 sites classés Natura 2000 impactés par le projet de la LGV. Elle le franchirait par un viaduc de 1,4 km et 28 m de haut (à droite de la photo, hors champs, à 100 m). © FM/artdeville

À Toulouse, seize associations et collectifs dénoncent les mauvais résultats du PCAET (le plan climat-air-énergie territorial). Tandis que l’objectif fixait la baisse des émissions de gaz à effet de serre de la Métropole à -15 % en 2018, elle n’a été que de -3 %. Sur la trajectoire actuelle, en 2030, elle serait de -9 % au lieu de -40 %, l’objectif fixé en 2016.
Selon France3, « le collectif insiste particulièrement sur la question de la mobilité » et le maire de Toulouse, Jean-Luc Moudenc, aurait promis « plusieurs temps d’intelligence collective », jusqu’à l’automne. Mais il maintient le projet de troisième ligne de métro. Or parmi les membres du collectif, Les Faiseurs de ville (6 personnes dont 4 ingénieurs en aéronautique, spacial, médecine et intelligence artificielle) préconisent son abandon : « On aime bien les chiffres et le bilan carbone de sa mise en œuvre n’est pas compatible avec l’objectif, explique l’un de ses représentants à artdeville. Avec le prix de la ligne, on pourrait payer 3 vélos électriques à l’ensemble de la population », plaisante-t-il. Sur leur site, un scénario alternatif plus sérieux.

Entre autres projets alternatifs, il en est un qui veut rendre gratuit le transport collectif interurbain avec des bus à hydrogène (fabriqués à Albi). Objectif : fluidifier le trafic routier, limiter la pollution, notamment aux entrées de villes et de leurs futures ZFE. Certes, un bus standard transporte entre 50 et 63 passagers tandis que le rail, lui, prend en charge un volume bien plus conséquent. Mais l’un est opérationnel immédiatement et l’autre dans un terme très hypothétique et aux coûts financiers et écologiques exorbitants. 550 conducteurs.trices de cars scolaires sont actuellement en cours de recrutement pour le réseau régional liO. Pourquoi pas le double ?
Le transfert modal désigne le report d’une partie des flux d’un mode de transport vers un autre. Exemple : de la route vers le rail, de la voiture vers le bus ou du vélo vers le tram. « On est la seule région de France où le nombre d’usagers sur le transport collectif a augmenté. » (conférence de presse, janvier 2022) « Pour les moins de 26 ans, le train est gratuit », rappelle Carole Delga, « et on va travailler sur la baisse des abonnements. » La présidente de Région souligne : « Aujourd’hui, une personne active, qui se rend à son travail en Occitanie, ne paye pas plus d’un euro le trajet, c’est un mécanisme qu’on a monté. D’ailleurs, Faroudou (Jean-Pierre Faroudou PDG de la SNCF – NDLR) dit bien que le TER le moins cher de France, c’est en Occitanie. »
Collectivement, individuellement, l’enjeu est bien de modifier les comportements, au nom de notre climat, et de notre santé. Avril 2021, une centaine de chercheurs du CNRS, du Cirad, ou de l’Inrae, se sont engagés à « ne plus utiliser les lignes aériennes Montpellier – Paris pour leurs déplacements professionnels. » Et ils souhaitent que le projet d’extension de l’aéroport soit stoppé.

Un million d’habitants supplémentaires sont prévus d’ici 2040, en Occitanie. Tout l’art de la gestion des villes et des territoires se pose face aux défis en termes d’aménagements, d’équipements et d’infrastructures qu’ils représentent. 2022, lors de ses vœux, la présidente de Région Carole Delga souhaite retourner « à la rencontre de tous les habitants d’Occitanie, notamment des jeunes, pendant le Printemps citoyen, pour leur montrer que oui, tout est possible ! »