Le bâtiment de l’École des Beaux-Arts de Sète est lié aux artistes dès 1824, année de sa construction. « De par son architecture style Empire, son parc savant de 2 ha, véritable viatique philosophique, on sait que son premier propriétaire, François Léonce Bonjean (1799-1872), était un homme très cultivé », raconte Philippe Saulle, actuel directeur des lieux. Grâce aux longues recherches qu’il a entreprises, on sait aussi que des ventes par lots ont nettement réduit la parcelle. Si pour l’heure, aucune trace de la fréquentation artistique du lieu n’est formellement établie, la vente de la maison en 1870 en atteste, elle, directement. Cousin par alliance du nouveau propriétaire Urbain Grange, l’artiste peintre Antonin Marie Chatinière trouve en effet en ce jardin d’Éden un sujet de toiles idéal ; le tableau, de 1871 (ci-contre), est aujourd’hui au musée Paul Valéry. En 1898, le peintre deviendra résident permanent de la demeure lorsque son épouse en hérite, par legs.
C’est au tour de Marius Chauvain de l’acquérir en 1904. Proche d’artistes célèbres tels que François Desnoyer ou Maurice-Élie Sarthou, Marius Chauvain la décore et l’aménage richement. On lui doit entre autres la grande verrière à vitraux. La future école des beaux-arts devient enfin la propriété de la mairie de Sète en 1964 qui y voit l’opportunité d’agrandir le lycée Paul Valéry, à ses portes. La « Villa Erialc » telle qu’elle se nomme désormais (le prénom de la femme de Marius Chauvain, inversé) accueille un temps les réfugiés du grand incendie du port de Sète, toujours en 1964, puis un centre aéré, mais échappe finalement à la démolition. L’école des beaux-arts de Sète s’y installe en 1970.

Des artistes de renommée internationale
L’école a vu le jour quant à elle en 1893 pour former des jeunes à la sculpture ornementale dédiée à l’architecture : ronds de bosse, stéréotomie, bas-reliefs en pierre, stucs, ciments, etc. Période haussmannienne oblige, la ville se transforme et a des besoins. Mais deux guerres mondiales, et l’ambitieux projet ne laisse à sa place qu’une modeste académie de dessin municipale. En 1961, Madame Éliane Beaupuy-Manciet, Grand prix de Rome en 1947, en reprend les rênes ; elle en fera l’une des écoles des beaux-arts les plus réputées de France. Parmi ses élèves, Hervé Di Rosa, Robert Combas, André Cervera, etc., des artistes de renommée internationale.
« C’est Noëlle Tissier en 1987 qui prend la direction de l’école. Elle est jeune, artiste elle aussi, enseignante à l’école des beaux-arts de Toulon. En outre, elle connaît bien le réseau international d’art contemporain », raconte Philippe Saulle. Noëlle Tissier transforme la maison en résidence d’artistes et crée une association dénommée La Villa Saint Clair qui naturellement rebaptisera la Villa Erialc. « C’est un succès national et international important. Très vite, elle attire les projecteurs des médias et des ministères sur cette maison de rêve où les artistes travaillent avec une certaine joie et un grand confort intellectuel », souligne l’actuel directeur de l’école.
À l’école d’art et à ses résidences est associé un lieu d’exposition, l’espace Paul Boyé ; un dispositif complémentaire qui conforte la réputation de l’école et de sa directrice, et justifiera la création du centre régional d’art contemporain de Sète, en 1997. Noëlle Tissier en prendra logiquement la direction.
C’est alors à Jacques Fournel, son ami, que revient la direction de l’école ; il met en place une maison d’édition (éd. Villa Saint Clair) et continue à accueillir des artistes.
En 2007, Murielle Lepage la dirige pour trois ans, avant de passer la main à Philippe Saulle, en 2010.

N° inv. 83.7.1 Desnoyer François, La Grande Verrière aux trois femmes, 1960, Huile sur toile 129,5 x 195 cm. © Sète, Musée Paul Valéry

#LuiFaireUneBeauté
Des projets de réhabilitation et d’extension sont alors mis à l’étude, en 2011, mais leur prix est une difficulté. À la mairie, en 2015, on songe à vendre le domaine. Une issue heureuse est finalement choisie, et son inscription au titre des monuments historiques est déposée (toujours en cours). Cela ne sauve pas pour autant l’édifice qui, plus que jamais, a toujours besoin de soin, mais cette étape décisive émeut, notamment celles et ceux qui ont fréquenté l’école et son jardin.
En mai 2017, une nouvelle équipe d’architectes est mandatée tandis que le projet d’une grande vente publique voit le jour pour récolter des fonds. 120 artistes réunis autour de l’association des amis de l’école des beaux-arts de Sète ont offert des œuvres. C’est finalement au Théâtre Molière, sous le marteau du commissaire-priseur de la prestigieuse Maison Artcurial, que 180 000 € sont collectés : pour #LuiFaireUneBeauté selon le titre de l’événement. L’association prendra en charge les études du jardin, l’avant-projet sommaire et le projet définitif.

Début septembre 2021, les travaux ont enfin commencé. La verrière a été démontée. Ils devraient se terminer en janvier 2023, alors que les travaux du parc démarreront au mois de juin 2022.

Les façades avant et arrière de la Villa St Clair, avant les travaux. © DR

Interview

Philippe Saulle,
directeur de l’école des beaux-arts de Sète

À part Antonin Marie Chatinière, que sait-on des autres artistes qui ont fréquenté, voire représenté le domaine dans leur œuvre, avant l’école ?
Il faudrait faire d’autres recherches pour savoir si entre 1904 et 1960 il y a eu d’autres passages d’artistes. Nous savons que La Grande Verrière aux trois femmes, peinture réalisée en 1960 par François Desnoyer (Musée Paul Valéry – voir page suivante) a été peinte dans la verrière. L’analyse de la toile le démontre sans équivoque et une des femmes qui pose dans cette toile est un membre de la famille Chauvain. Maurice Sarthou a peint et dessiné les grands pins parasols du parc vus des fenêtres du premier étage.
Avez-vous rencontré madame Manciet ?
À sa maison de retraite d’Arcachon ; elle avait 92 ans. Elle y avait monté un atelier de peinture ! J’ai pu lui parler, l’enregistrer. Elle était assez fatiguée et est morte six mois plus tard. Éliane Manciet était Grand prix de Rome en 1947, à l’âge de 26 ans. C’était rare les femmes grand prix de Rome portées en triomphe par les étudiants des beaux-arts de Paris. Elle a eu aussi le prix Velasquez, le grand prix de la Ville de Paris, celui de Bordeaux, etc. Au début des années 60, elle s’oriente vers l’enseignement, et l’école des beaux-arts de Bordeaux, cherche un enseignant en peinture qui pourrait prendre la direction. Vu les prix qu’elle avait, ça ne devait être qu’une formalité. Sauf qu’elle est militante communiste. Or le maire de Bordeaux, à l’époque, Chaban Delmas, voit d’un très mauvais œil qu’une femme communiste prenne la tête d’un établissement bordelais.

Philippe Saulle, dans la cour de l’ancien conservatoire de Sète, où l’école des beaux-arts a trouvé refuge le temps des travaux à la Villa St Clair. © FM/artdeville

Mais n’est-elle pas résistante comme lui ?
Oui, mais sa candidature n’est pas retenue, et ça la perturbe beaucoup. Elle se tourne donc vers une ville communiste, Sète donc – il se trouve aussi que son mari est conchyliculteur – et en 1961, elle est nommée professeur d’arts plastiques au collège et donne des cours dans la petite académie de dessin vieillissante. Et elle remonte l’école des beaux-arts en la faisant agréer par l’État dès 1961. Elle crée aussi dès 1961 la première classe prépa art de France, parce que les concours d’entrée dans les écoles supérieures d’art deviennent de plus en plus compliqués. L’école des beaux-arts et la classe prépa seront agréées par le ministère en 1966.
Et vu son succès aujourd’hui, l’école doit s’agrandir…
Plusieurs directions vont faire connaître ce lieu, et j’ai voulu contribuer à la valorisation des pratiques artistiques amateurs adultes, enfants, ados… ce qui a gonflé les effectifs. On était trop serrés dans cette maison qui était dans un état de délabrement avancé. Il a fallu détruire la terrasse qui tombait en ruine. Pour la maison, il a fallu choisir. Sète est une île, le foncier est rare et les pouvoirs publics étaient très sollicités par les promoteurs immobiliers et les entreprises. Je pense que ce qui a fait pencher la balance (plutôt que la vendre – NDLR) est bien sûr qu’il s’agit d’un patrimoine architectural. Mais c’est surtout un patrimoine mémoriel.
Les mécènes qui se sont mobilisés aussi, non ?
Les mécènes, c’est une autre histoire. Dans le programme de rénovation et d’extension de l’école, il n’était question que du bâtiment. Or j’ai trouvé qu’il était important de valoriser aussi le parc qui avait été morcelé au début du XXIe siècle, avant-guerre et après, dans les années 50. Tous les chemins étaient en impasses, ce n’était plus vraiment un jardin, en fait.
L’esprit originel s’est perdu ?
Voilà. Or j’ai eu la chance de rencontrer Gilles Clément (sommité internationale des jardins – NDLR) et en 2018, il a accepté de travailler à un projet de rénovation. J’ai alors décidé de créer une grande vente aux enchères, fin 2018. François Tagean qui est malheureusement décédé l’an dernier m’y a beaucoup aidé en m’ouvrant les portes d’Artcurial. Le commissaire-priseur Stéphane Aubert est venu à ses frais et ceux sur les ventes ont été offerts. Sandrine Mini, la directrice du théâtre Molière, a prêté le théâtre ; il était rempli ! Les gens ont acheté des pièces parfois assez chères et sont repartis directement avec ! Ce qui a même étonné Stéphane Aubert. Au-delà de l’école d’art, il y a une ferveur pour l’art ici dans cette ville. L’art, c’est l’histoire de Sète.
Qui sont les architectes retenus pour la rénovation et l’extension ?
La consultation s’adressait à des tandems : à chaque fois, un architecte patrimoine associé à un architecte DPLG, une vingtaine d’architectes ont été retenus. II y a eu une short list de 5 tandems et le choix s’est porté sur Ugo Nocera et A + P (dont Claire Foronzanou d’Aix-en-Provence) qui préconisaient la démolition de verrues à l’arrière de la maison qui abîmaient la maison originelle et c’était les seuls qui préconisaient cela.
L’école a-t-elle une couleur particulière ? Quelle est son âme ou dans quel courant contemporain pourrait-elle s’inscrire ?
Son ouverture d’esprit est à 360°. On peut travailler aussi bien avec des artistes singuliers, voire bruts, qu’avec des artistes extrêmement cérébraux et pointus en art contemporain. On peut travailler avec des philosophes, des anthropologues, des sociologues… L’idée est de faire ressentir aux étudiants et au public adulte des pratiques amateurs, que l’art aujourd’hui est très ouvert, et que l’art peut s’emparer d’absolument de tout, dans toutes les niches de la société et de mille façons différentes. Même si on a encore des cours de nu.
Y a-t-il embouteillage pour s’inscrire ?
L’école des beaux-arts a une très bonne réputation, objectivement. D’autre part, la Ville de Sète a aussi une très bonne réputation. Bien sûr, il y a la mer, mais il y a aussi une énergie en matière de culture, un dynamisme culturel qui se sait. Voilà. Quand je suis arrivé en 2010, il y avait à peine 40 candidats. Aujourd’hui, on a plus de 300 dossiers ; en présentiel, on reçoit 150 candidats pour 30 places.
Quels artistes issus de l’école des beaux-arts sont aujourd’hui connus, disons, depuis dix ans ?
J’ai pas de nom en tête, c’est toujours difficile. Des étudiants diplômés il y a 4/5 ans commencent à avoir une carrière, des artistes émergents. Mais il ne faut pas perdre de vue que seulement 13 % des diplômés d’une école supérieure d’art deviendront vraiment artistes. Les écoles d’art servent aussi à ajouter beaucoup de créativité et de transversalité dans beaucoup d’endroits, aussi bien dans l’administration, dans l’enseignement, évidemment, mais aussi dans la publicité, à la télévision, le cinéma, le théâtre, l’art vivant… On en trouve partout, ce sont des couteaux suisses, des gens assez libres dans leur tête et qui ont une forme d’émancipation, quelque courage formel, qui peuvent aussi s’engager dans des choix plus facilement que d’autres.

Vue 3D de la façade rénovée, de nuit. © DR

L’école, sa rénovation et l’extension, c’est :

• 23 personnes, dont 7 professeurs/artistes qui ont une actualité artistique (dont une écrivaine)
• Un grand atelier d’environ 180 m² avec 4 m de hauteur sous plafond
• Un atelier gravure dessin d’environ 65 m² à l’étage
• Un atelier supplémentaire sous la terrasse de la façade d’environ 70 m²
• La surface de la maison passe de 610 m² à 870 m²
• La terrasse sera entièrement refaite à l’identique, en avancée, sous laquelle le garage deviendra un atelier
• Dans le jardin, 5 spots de travail extérieurs, ou plutôt 4 plus un théâtre de verdure
• Un coût global de 3 millions, 800 000 € financés par l’État, 450 000 € la Région et le reste par la Ville de Sète

 

Légende photo d’entête :

N° inv. 33.1.1 – A. M. Chatinière – Personnages dans un parc, 1871 – Huile sur toile 111 x 150,5 cm.
© Sète, Musée Paul Valéry