L’exposition Niki de Saint Phalle, les années 1980 et 1990. L’art en liberté fait partie des dix expos phares de la rentrée et, le fait est assez rare pour être souligné, elle a lieu à Toulouse ! Pourquoi choisir ces années ? « Parce que c’est une période peu exposée, comme le sont souvent les deuxièmes parties de carrière des artistes, surtout si on est une femme et qui plus est une femme de plus de cinquante ans », souligne Audrey Palacin, assistante des commissaires de l’exposition au Musée des Abattoirs, où se tient l’événement. Pourtant, c’est pendant les vingt dernières années de sa vie que l’artiste s’est consacrée à son grand œuvre : la construction d’un parc de sculptures monumentales inspirées des 22 cartes du tarot de Marseille. Un parc qu’elle voulait encore plus grand que le Parc Guell de Gaudi à Barcelone ou que le Palais Idéal du Facteur Cheval à Hauterives, dans la Drôme. Et qu’elle financerait seule. Pour cela, elle a lancé un parfum, créé du mobilier ou des objets de décoration, également présentés dans l’exposition.

Le musée met en avant les étapes de la construction du Jardin des Tarots, ouvert à Capalbio, en Toscane, en 1998, depuis les maquettes des statues jusqu’au chantier, où photos et films retracent la naissance des imposantes statues colorées peuplant cet espace, dont l’artiste voulait faire « un jardin de joie ». Des personnages si grands, qu’elle a pu y réaliser un de ses rêves : vivre dans une de ses œuvres. Elle a choisi l’arcane de l’Impératrice et ses 15 mètres de haut pour y installer sa maison. « Elle a aménagé sa chambre à l’étage dans le sein droit, la cuisine dans le gauche et la salle à manger entièrement recouverte de morceaux de miroirs se trouve au rez-de-chaussée », poursuit notre guide. Derrière la chevelure s’étire une terrasse d’où, éco-féministe avant l’heure, elle pouvait admirer la nature.

Entre autres significations divinatoires, l’Impératrice, outre la féminité, la créativité ou l’abondance, représenterait également l’idée de redémarrage ou de nouveau départ. Tout un symbole pour l’artiste victime d’inceste qui, si elle refuse que son œuvre soit lue à travers cette épreuve, reconnaît que le viol subi à l’âge de 11 ans de la part d’un père, banquier et honorable, fait partie intégrante d’elle-même. Un père haï. Sa série Tirs, présentée dans une salle adjacente, la montre en train de tirer sur des tableaux composés d’objets hétéroclites et de poches de peinture qui dégouline quand un plomb les transperce. Elle voulait « faire saigner la peinture ». Néanmoins joyeuse, infiniment libre, Niki de Saint Phalle était également une artiste engagée dans la lutte contre le Sida, le racisme, pour les droits des femmes et notamment celui de l’avortement dont il y a plus de trente ans, elle pressentait déjà la fragilité aux USA. Un pays fantasmé depuis l’Europe mais qui s’est révélé violent et raciste quand elle est retournée y vivre. Son art dénonce tous ces travers et rend hommage aux Noirs, notamment à travers la série Les Héros, immenses statues installées dans l’espace public et destinées à sortir de l’ombre des athlètes ou des artistes de couleur. Plus d’une centaine d’œuvres nous entraînent ainsi dans la démesure et les combats d’une artiste et d’une femme libre.

Musée des Abattoirs, 76 allées Charles-de-Fitte, 31300 Toulouse. 05 62 48 58 00

 

Vue de l’exposition « Niki de Saint Phalle. Les années 1980 et 1990 : l’art en liberté ».
© 2022 Niki Charitable Art Foundation / Adagp, Paris
© photo Boris Conte

Niki de Saint Phalle.
© DR

© Giulio Pietromarchi, « L’Impératrice », « Jardin des Tarots », Garavicchio, Capalbio (Italie), 1987, photographie couleur, Collection Giulio Pietromarchi