C’est comme une triple faille temporelle qui s’est activée cet automne à Mende. L’une de 27 ans puisque le vieux musée associatif Ignon-Fabre, présidé jusqu’en 1995 par l’abbé Peyre, avait fermé à cette époque ; il a ressuscité le 18 octobre dernier. Le vétuste hôtel Buisson de Ressouches s’est métamorphosé entre-temps en un écrin architectural contemporain de belle facture, musée du Gévaudan tel qu’il est nommé aujourd’hui, labellisé musée de France.
La seconde faille temporelle qui s’est rouverte a été actionnée par la vocation même de la collection. Propriété de la Société des lettres, sciences et arts de la Lozère depuis 1820, elle renvoie à nouveau ses visiteurs jusqu’à 300 millions d’années en arrière grâce à son fonds de 16 000 pièces. Gérés désormais par la Ville, la collection et le musée ainsi rénovés entrebâillent une troisième porte spatio-temporelle, celle « d’une fabrique d’avenir » selon la volonté de ses promoteurs, au premier rang desquels le maire de Mende, Laurent Suau.

L’entrée a été soignée et l’effet « waouh » voulu par les architectes du cabinet Nebout, en charge du chantier, est réussi. L’ancienne cour de l’hôtel a été couverte d’une verrière à près de 12 mètres de haut, enchâssée aux murs du XVIIe siècle par une structure métallique, alors que l’une des façades intérieure a été entièrement habillée de bois. L’ambiance générale est un enchantement.
Outre l’accueil, on y trouve l’espace de médiation Les Établis et son exposition Sur les chemins qui invite le visiteur à parcourir la Lozère du néolithique à nos jours. De part et d’autre, deux petites salles accueilleront sous peu la boutique du musée et un espace de coworking où le café est « à prix librement consenti ».
L’entrée du musée elle-même est d’ailleurs gratuite ; une volonté de faire de ce temple patrimonial « un espace de vie accessible à tous », où le troc de jeux, de livres et même de graines y est encouragé, organisé.

 

Et de fait, par une sorte de syncrétisme muséal qui passe du tiers lieu urbain au musée traditionnel, de l’écomusée au centre d’art contemporain, la scénographie présente des pièces très hétéroclites, voire surprenantes. Sur 1 200 m2 répartis en trois niveaux et douze salles, la thématique Nature & Culture a pris le parti « d’une expérience plaisir et d’éviter de jargonner », comme l’explique la directrice des lieux Nadia Harabasz. Quatre salles entrelacent ainsi les époques en présentant le Gévaudan grâce à des matériaux bruts et des objets du quotidien, du crâne d’ours des cavernes jusqu’à cette bouteille de pastis Gévo du XXe siècle !
Les salles suivantes s’en tiennent à un récit chronologique et témoignent des évolutions de la culture locale à partir de pièces archéologiques, objets ethnographiques, jusqu’à des peintures et sculptures contemporaines. Sur le parcours, on croise des artistes lozériens du XIXe et XXe siècles, et bien sûr des évocations de la Bête du Gévaudan, revisitée notamment par Lionel Sabatté lors d’une résidence (cf. photo). Quelques contours de vitrines restent en finition, mais d’ores et déjà, le nouvel équipement culturel de Mende séduit. Alors que la Ville escompte 17 000 à 20 000 entrées annuelles, l’ouverture et les vacances de la Toussaint en ont déjà drainé 6 000, selon Nadia Harabasz, heureuse et confiante.

La surprise des travaux

« Le petit bijou » du musée, tel que le surnomme la directrice Nadia Harabasz, était resté méconnu des Mendois jusqu’à ce que l’hôtel Buisson de Ressouches soit relié à l’hôtel Moré par deux passerelles. Dans ce qui fut une cuisine, sous les assauts du temps et la voûte d’un cabinet de l’ancien bâtiment historique, se cachaient de fines peintures murales représentant des scènes allégoriques. Inspirée des quatre vertus cardinales peintes par Simon Vouet, cette reproduction étonnante est celle d’une œuvre destinée à la reine Anne d’Autriche. Elle a été identifiée grâce à une délicate et importante restauration dirigée avec perspicacité par Nadia Harabasz.

Jean-Marc Chevalier, président de la Société de lettres depuis 2009, rappelle qu’une pétition a nettement contribué à la réouverture du musée. Signée par 2 000 Mendois(es) impatient(e)s qui ne comprenaient pas qu’« à Lodève, Rodez, St-Jean-du-Gard… des musées ouvraient ou allaient ouvrir alors que celui de Mende restait fermé ». Parmi les signataires, le célèbre architecte Jean Nouvel. À la veille des élections municipales de 2008, le futur maire de la ville, feu Alain Bertrand, s’en émeut auprès de Georges Frêche, alors président de la Région, qui accepte de cofinancer les travaux nécessaires. Acteur majeur de ce renouveau lui aussi, Jean-Marc Chevalier accompagna les opérations avec diplomatie.

 

Gérard Lattier
Une histoire de La Bête

La légende du Gévaudan est également contée à Maison rouge, le musée des vallées cévenoles. Elle a inspiré le peintre-conteur Gérard Lattier qui y expose jusqu’au 31 décembre. Ce peintre narratif que l’on rapproche parfois des artistes naïfs ou de l’art brut s’empare à sa manière de cet événement tragique survenu entre 1764 et 1767, d’un loup qui s’attaque aux hommes. Une série de 43 tableaux, histoires dans l’Histoire, traités avec humour et poésie.

 

La Bête de poussière de Lionel Sabatté.
© FM/artdeville

La nouvelle architecture du musée est signée du cabinet Nebout.
© Julian Suau

Près de 16 000 pièces figurent dans la collection.
© Julian Suau

La salle des vertus, découverte lors des travaux.
© Julian Suau