Ce dimanche 2 avril 2023, plus de soixante personnes ont pris le tracé du LIEN que nous avions inauguré en novembre dernier avec la coalition nationale contre les projets routiers la Déroute des routes. Après avoir franchi le cours d’eau de la Mosson, nous avons traversé champs, collines, plateaux, zones humides et forêts. Arpenter la garrigue, sentir le thym, le romarin, déguster les rosettes de coquelicots, ou simplement prendre le temps de vivre, d’échanger ou de nommer les plantes comme le glaïeul douteux, le grémil ligneux ou le muscari. Chacun a pu découvrir à sa guise tout en partageant les savoirs d’un écologue et d’une cueilleuse de Lozère venus tout spécialement nous accompagner ce jour-là. Lors de la découverte des milieux humides, des étages de végétations, des milieux ouverts ou de mares, Yves Bas, écologue du CNRS qui suit depuis plus de deux ans les évolutions des écosystèmes proches du tracé du LIEN, souligne que la « Mosson est une rivière qui coule toute l’année et nombreux sont les animaux qui y séjournent comme la loutre d’Europe, une espèce en voie d’extinction. D’autres cours d’eau semblent à sec mais leurs vasques profondes abritent de nombreux batraciens toute l’année. Or le tracé du LIEN passe le long de ces cours d’eau, voire les franchit comme celui de la Mosson. Il déstabilise l’ensemble des écosystèmes et aggrave les conditions de conservation de la ressource en eau ». Arrivés au bord d’une mare pour la pause repas, nous avons ensuite réalisé un grand jeu sur les espèces protégées, suivi d’ateliers de peinture, de reconnaissance des plantes sans oublier la sieste.
Ensemble, nous avons cherché à nous inspirer des mille stratégies des plantes. Ensemble nous avons appris, écouté, senti. Autour du jeu des espèces protégées, de guirlandes et d’exposition des 136 espèces retenues dans la liste du chantier du LIEN, nous avons rappelé les conditions du combat actuel.
Le chantier éventre les reliefs, racle les sols et prévoit d’édifier ponts, route bitumée et bassins de rétention. « Sans oublier qu’avec la route, s’ajoute l’urbanisation, les ZAC et les terres agricoles expropriées », rappelle Romain. Anna, du Sos Oulala rajoute un peu plus tard : « L’extractivisme des milieux et des personnes existe parce que l’on s’est construit sur un imaginaire erroné du vivant, fonctionnant sur la loi du plus fort. Or le vivant est surtout la coopération (exemple des relations entre les plantes et les champignons). Les écosystèmes ne se résument pas aux quelques spécimens d’espèces protégées, que l’on pourrait déplacer, remplacer ou détruire après compensation. Le LIEN ne va pas détruire seulement 136 espèces protégées, mais les 5 000 qui peuplent la garrigue tout en saccageant les milieux environnants. La biodiversité, c’est la vie qui grouille, les relations tissées au fil des siècles, les milieux interconnectés entre eux, qui se mélangent, qui s’aident à s’adapter les uns les autres. Pour l’instant on est aux balbutiements de la compréhension des écosystèmes. On découvre des interactions tous les jours. Le vivant n’est pas un musée où on conserverait quelques exemplaires de chaque espèce comme des reliques. Ce sont des cultures entières avec des langages, des usages, des techniques de vie adaptées aux milieux. Le vivant n’est pas un patrimoine passif à conserver dans du formol. Le vivant est l’allié de nos luttes et notre inspiration pour le futur. »
Depuis que le Département a obtenu son permis de détruire (deux dérogations sur les espèces protégées, une première en 2019 et une additionnelle en 2021), collines et garrigue sont broyées et éventrées. Paradoxalement, c’est celui qui détruit qui fixe lieux et modalités des compensations à mettre en œuvre pour les dommages causés. Un peu comme si un criminel fixait lui-même les conditions de sa peine ! Pour le LIEN, le Département, après avoir calculé, les montants et les hectares à compenser, décide ainsi d’allouer une partie des fonds au Domaine de Restinclières, écrin de nature au nord de Montpellier, qui est sa propriété. Le Département verse d’une main et reprend d’une autre. […]
D’autant que les compensations n’empêchent ni la destruction des espèces ni celle des écosystèmes. Elles sont des autorisations de détruire. Ainsi, les berges de la Mosson seront totalement modifiées, avec une artificialisation inévitable du milieu qui impactera notamment la loutre, une espèce protégée emblématique. Comme les autres individus, cette dernière n’échappera pas aux collisions car elle se déplace le long des berges et dans les milieux environnants, notamment par temps de pluie. La liste des espèces vouées à l’extermination s’alourdit. Les morts ne se remplacent pas, ne se compensent pas.
[…] Contre le projet de mort porté par le Département, nous sommes la garrigue qui se défend !
Sos Oulala – Hélène Ilbert
Le 4 avril 2023