L’enjeu vital que représente l’arbre pour nos villes et territoires urbanisés n’est plus à démontrer. On sait désormais que la présence d’arbres matures est un des moyens les plus efficaces pour réduire de 1 à 3° les îlots de chaleur en période de canicule. Ainsi, les projets de plantation se multiplient. Mais réalisés parfois dans la hâte, ils sont souvent nocifs pour les arbres et contre-productifs pour nos villes.
Caroline Mollie est architecte-paysagiste et a conduit pendant dix ans un programme de protection et de valorisation des arbres en ville pour le ministère de l’Environnement. Elle nous livre au travers d’exemples les résultats d’études et recherches menées dans différentes villes du monde et d’Occitanie.
Pour que les arbres jouent un rôle essentiel dans le rafraîchissement urbain et la qualité de l’air, « ils doivent être volumineux et se développer sans entraves, dans un espace aérien suffisant et en l’absence de toute taille », nous dit-elle. Ils doivent avoir accès à de la terre et de l’humidité en quantité suffisante. Pour cela, il faut favoriser l’infiltration des eaux de pluie par la désimperméabilisation et la réalisation de sols poreux.

Lorsque l’on plante trop près des façades ou en trop grande densité, les arbres rentrent en compétition pour chercher la lumière, croissent en hauteur, s’étiolent, et deviennent plus sensibles aux maladies. Les racines, également en compétition dans le sous-sol, peinent à trouver les ressources nécessaires. Le quartier Antigone comme le cours du Millénaire sont à ce titre cités à titre d’exemples, à Montpellier. Mais lorsqu’il faut abattre quelques arbres, ces opérations sont difficilement acceptables par les politiques et les riverains et le dialogue est indispensable. « La municipalité a lancé une nouvelle charte de l’arbre accompagnée d’un comité, d’une campagne de communication auprès du grand public avec intervention d’experts et de formations ouvertes aux aménageurs du territoire », souligne Caroline Mollie.

Les plantations d’arbres en pot, une mode coûteuse et inefficace, selon Caroline Mollie, pour qui il est totalement illusoire de croire que cela pourrait créer rapidement des îlots de fraîcheur. De même, les toits végétalisés seraient peu efficaces au regard du rafraîchissement urbain mais sont un bon isolant thermique pour le bâtiment. Quant aux murs végétaux dont la mode a fait florès dans les années 2000, ils sont un isolant thermique peu efficace et très consommateur d’eau et d’énergie. En revanche, l’auteur défend les revêtements de plantes grimpantes qui peuvent être une manière efficace de végétaliser les murs d’une ruelle et d’apporter de la fraîcheur. Exemple de la rue Roucher, à Montpellier (photo page de droite). La ville accompagne d’ailleurs les habitants désireux de planter par la percée de trottoir en pied de bâti l’installation de support et la fourniture de plantes grimpantes.

Interview

« Il faut savoir qu’en ville les arbres souffrent. »
Caroline Mollie

Vous avez la dent dure sur les tours végétalisées…
Les arbres volants… Pour moi, c’est grave parce que ça fait penser aux gens, et notamment aux architectes, qu’on peut tout faire avec le vivant. C’est incongru. Pour moi, c’est le même type d’atteinte au vivant que lorsqu’on enferme des animaux en cage.

C’est un problème philosophique ?
Un problème de fond surtout : un problème d’investissement et d’entretien. Quand vous plantez un arbre, c’est pour les générations futures car c’est ce qu’elles attendent de nous. Ces arbres sont en survie artificielle, il faut des superstructures très importantes, on les fait venir en hélicoptère ; en termes de bilan carbone, ça ne veut rien dire ! Ensuite, pour l’entretien, il y a des testeurs d’humidité et des systèmes d’irrigation très sophistiqués.
Donc, la tour Occitanie programmée à Toulouse qui entend faire monter des arbres à 150 m, c’est une absurdité ? De même que l’immeuble Effervescence à Montpellier ?
Oui, on peut dire que c’est du green washing. Les architectes aiment faire des grands gestes mais, à mon avis, pas vraiment utiles. C’est pas vraiment là qu’il faut investir pour apporter du confort et du plaisir aux habitants. C’est aussi une vision à long terme dans le développement urbain de faire en sorte que la ville soit plantée et bien plantée.
Mais la ville se développe en hauteur pour économiser l’espace. Quelle autre solution pour rendre les conditions d’habitabilité plus agréables et amener un peu de nature aux habitants de ces tours ?
Il faut rester raisonnable, c’est bien d’avoir des terrasses et c’est mieux qu’elles soient inscrites dans la construction de façon que les jardinières fassent quand même une épaisseur de 80 cm avec 50 cm de hauteur et si possible prévoir le drainage ainsi qu’un point d’eau et là-dedans les gens font ce qu’ils veulent, des potagers, des arbustes à fleur. C’est la plantation d’arbres, de végétaux à grand développement que je trouve absurde.
Vous parlez des arbres de compagnie comme des animaux de compagnie. Est-ce à dire que vous êtes contre toute domestication du vivant ?
De toute façon, il faut savoir qu’en ville les arbres souffrent. Il y a un rapport d’attention et de soin avec l’élément vivant qu’est l’animal de compagnie ou qu’est l’arbre [Caroline Mollie fait un lapsus et dit l’Homme] qui fait qu’on arrive à en tirer le meilleur. Qu’est-ce qu’on attend le plus des arbres dans la ville, c’est l’ombre, c’est qu’on ait des arbres relativement bien développés qui prennent leur place dans la ville, qui discutent avec l’architecture dans une composition urbaine agréable. Donc, ce sont des arbres de 10 m, 20 m et le reste, pour moi, c’est pas très raisonnable.
Certains parmi vos confrères disent : « Planter, c’est se planter. » 50 000 arbres à Montpellier, 100 000 à Toulouse, et même 1 million à Milan…
À Milan, on arrive à des densités d’arbres qui n’ont pas de sens, plantés en style forêt urbaine, ce qui est imbécile ; c’est de la broussaille inaccessible, au lieu de créer des petits lieux avec deux bancs, trois arbres et une fontaine pour que les gens soient contents.
Que préconisez-vous ?
Travailler en amont en termes de projet global et de conception. Déjà faire un point de l’existant et un bilan de santé des arbres en place – est-ce qu’il faut en enlever, en planter ? Ce serait formidable pour conforter le patrimoine dont on dispose aujourd’hui et ensuite intégrer les nouvelles plantations dans ce patrimoine existant de façon à planter mais, pas trop, aux bons endroits, pour que cette ville devienne plus vivable.

À l’ombre des arbres, Planter la ville pour demain
Caroline Mollie – Éditions Delachaux et Niestlé – 27 €