Bourges : « Territoires d’avenir »

Par son logo très nature et graphiquement impeccable, la candidature de Bourges accrochera indéniablement l’œil écolo du jury européen. Sur ce critère, la préfecture du Cher paraît ainsi mieux placée que les autres. Héloïse Lesimple, cheffe de projet du think tank français le Shift Project, apporte d’ailleurs, outre sa caution morale, la promesse d’une mise en œuvre écologique du projet Bourges 2028, soit celle du moins d’impacts négatifs possible grâce à un protocole bien pensé. Par ailleurs, les « 150 ha de marais dans le périmètre communal et deux parcs gigantesques en centre-ville, plusieurs autres parcs dans le quartier nord, la candidature de Bourges traduit déjà une réalité forte en termes de nature et de biodiversité », énumère Louise Vernilllon, chargée de mission déléguée à la candidature. La Ville veut également créer « une Internationale des fleuves en profitant des développements du Parlement de la Loire, fleuve sauvage classé au patrimoine mondial de l’UNESCO ». La culture comme levier contre le changement climatique est toutefois l’axe deux du projet qui en comporte trois.
En point un, un contre-pied plutôt accrocheur également. Archétype de la « ville moyenne de la diagonale du vide » selon les promoteurs du projet eux-mêmes, Bourges tourne intelligemment sa géographique a priori ingrate à son avantage, rappelant que 15 M d’européen.ne.s vivent dans des villes de moins de 100 000 habitants. Par cette candidature très politique puisqu’elle figurait au programme électoral du maire, la Ville appelle à une « démétropolisation culturelle » qui prolongerait la « décentralisation culturelle » engagée par Malraux, premier ministre des Affaires culturelles de la France. Sa politique a doté Bourges de la première maison de la culture (1963), d’un Printemps musical célèbre (créé en 1977) et, aujourd’hui, d’une ambition de « redynamisation de la ville par la culture », énumère Louise Vernilllon. La mémoire de l’écrivaine George Sand, et son attachement à son village d’Indre, malgré son activisme culturel et politique, contribuera aussi à étayer solidement cet argument-là.

Troisième axe fort, Bourges 2028 veut « mettre l’artiste et l’autrice.eur au centre de son projet en imaginant à Bourges une cité européenne des artistes et des autrices.eurs », explique encore la chargée de mission déléguée à la candidature. Bourges 2028 entend « questionner un nouveau langage commun sur la production artistique européenne. » La cité « entend devenir un véritable pôle ressources pour les artistes et les autrices.eurs en proposant notamment des services supports dans les domaines juridiques de la propriété intellectuelle, des droits intellectuels et droits d’auteurs, mais aussi un service de traduction dans les 24 langues de l’Union européenne ».

En pratique, une « matrice » constituée de 15 villes européennes entend coconstruire avec les habitant.e.s des projets culturels prototypiques et déclinables au niveau européen. Depuis 2022, trois ont déjà vu le jour : Métro Europa, RER Europa et les agoras de Métro Europa. Il s’agit de la mise en œuvre de plusieurs circuits artistiques à effectuer en car (fonctionnant au Biométhane), vélos, trottinettes ou à pied, à la rencontre d’événements et sites culturels ou naturels, des « lignes » thématiques telles des stations de métro : un trajet de 4 heures dans la ruralité du Val-de-Loire et de moins de 2 000 mètres dans le tissu urbain, avec les lignes « nuit Lumière », « Bourges Contemporain » et « Jardins ». Au fil de l’avancement du projet de la « démétropolisation », d’autres rendez-vous s’agrégeront le long de ces lignes comme cet été 2023, les lignes Campus, Gastronomie, Musique et Eau.

Atout et faiblesses : L’ambition écologique du projet et sa gouvernance partagée (matrice) sont deux points forts qualifiés par le jury. Son budget de 46 M €, par contre, est jugé pour l’heure insuffisant pour porter sa mise en œuvre. D’autre part, dans le périmètre de la candidature, si les auras de Malraux et George Sand sont convoquées pour éclairer Bourges 2028, celle tout aussi monumentale de Jack Lang reste dans l’ombre. L’ancien ministre de la Culture, co-initiateur du titre de Capitale européenne de la culture avec ministre de la Culture de la Grèce Melina Mercouri, fut aussi le maire de Blois, ville associée à la candidature. Or, il fait savoir à artdeville le 8 juin qu’« il soutient la ville de Saint-Denis et ne souhaite donc pas faire de confusion en doublonnant. » Saint-Denis est pourtant déjà hors course…

Clermont-Ferrand : « Terre du milieu »

La candidature de Clermont-Ferrand à la Capitale européenne de la Culture marque l’aboutissement d’un long processus politique initié dès 2014 par le maire, Olivier Bianchi. Postuler seule n’ayant aucun sens, la Ville (147 865 habitants) entraîne avec elle tout le Massif central, soit plus de 85 000 km2 d’un territoire « un peu dans les marges parce que plus enclavé, plus montagneux, plus rude ». Aujourd’hui, plus de 600 communes du Massif central et 14 départements ont adhéré au projet. « C’est la première fois, à ma connaissance, qu’une candidature européenne concerne une géographie aussi vaste, précise Patrice Chazottes, directeur général de l’association Clermont-Ferrand Massif central 2028. Axé autour du concept de « Terre du Milieu », le projet vise à créer des passerelles entre les espaces ruraux et urbains, et à imaginer un nouveau réseau de transport solidaire qui irriguerait l’ensemble du territoire avec des programmes culturels itinérants (pièces de théâtre, lecture, projections, ateliers pratiques, espaces numériques), réactivant ainsi l’histoire moyenâgeuse du colportage.
« Personne ne doit passer à côté de cette formidable ouverture sur le monde : ce projet inclusif est pensé avec tous les habitants », rappelle Patrice Chazottes. Des événements tests comme Effervescence ou Altitude 2028 ont d’ailleurs prouvé l’intérêt que portent les habitant(e)s à ce projet. »

Si la candidature de Clermont-Ferrand Massif central est retenue, plusieurs actions seront mises en place dès 2024, à commencer par l’ouverture d’une Université populaire européenne ouverte à tous (écoles, associations…) et d’une Assemblée des Jeunes (16/30 ans).
Sans rentrer dans les détails car Clermont ne souhaite pas dévoiler sa programmation, quatre « grandes traversées » s’enchaîneront au rythme des saisons, alternant des expositions internationales, des créations inédites, de nouveaux formats itinérants d’opéras, l’inauguration d’une diagonale des arts (centre culturel), des explorations transdisciplinaires (designers, chercheurs…) ou encore des expériences sonores immersives.
« Mais notre candidature va au-delà d’une programmation événementielle, assure Patrice Chazottes. Le Massif central est capable de bousculer les frontières en tissant des ponts entre les régions européennes. Nous souhaitons ainsi proposer à tous les massifs européens de moyenne montagne de se réunir sous la forme d’un laboratoire d’idées, un Forum des Massifs pour penser les grandes transitions du XXIe siècle et réinventer de manière collective les pratiques culturelles. »
Le budget de fonctionnement du projet sur la période 2024-2028 est estimé à 72,9 millions d’euros (financement public à hauteur de 90 %).

Ses atouts : Le jury a trouvé le concept de « Terre du Milieu fascinant et intéressant ». Préparé depuis huit ans, le dossier de Clermont-Ferrand est solide avec un projet inclusif pensé avec les habitants. En lien avec l’Europe, l’association Clermont-Ferrand Massif central 2028 a déjà commencé à imaginer des partenariats avec la République tchèque dont l’une des villes sera l’autre capitale européenne de la culture en 2028.
Ses faiblesses : L’accessibilité (transports, hébergement…) qui pourrait entraver la revalorisation des territoires ruraux.

Montpellier : « Partager nos imaginaires »

La Ville « continue de faire se tourner les regards vers elle, pleine de talents, forte de ses convictions, déterminée à défendre la culture et l’Europe » s’est réjoui son maire, président de la Métropole, Michaël Delafosse, lors de la qualification. Le thème de la candidature, « Partager nos imaginaires » et ses trois piliers Relier, Acter et Célébrer, avec un questionnement transversal sur les thèmes de l’eau et de la mutation « ont été des marqueurs de notre projet validé par le jury », affirme le communiqué de presse.
Réunissant désormais 173 communes incluses entre les diagonales qui relient le Larzac-Lodévois au pays de Lunel, et le Grand Pic St-Loup à la communauté de commune d’Agde, cette candidature s’est d’abord forgée par le rapprochement de Montpellier et de Sète.
Le budget total s’élève à 62 millions d’euros.

Mais passée l’étape des qualifications, reste à conquérir le titre. « Notre victoire se jouera sur l’artistique », prophétise Fabrice Manuel, initiateur de cette candidature, qui voit le match principalement se jouer entre Clermont-Ferrand et Montpellier.
Avec deux appels à projets qui ont sélectionné 50 lauréats pour le premier et 35 pour le second, Montpellier 2028 s’est engagée entre autres à valoriser une Europe à échelle humaine, changer notre rapport au vivant, célébrer la paix, la solidarité, la science… grâce à des coopérations locales et internationales. « L’eau qui nous relie, Le futur en séries, Trans ? » sont les trois axes artistiques par lesquels s’exprimeront ces objectifs. L’eau, en effet, « parcourt des territoires » et « est constitutive de cultures » tandis qu’elle « nous constitue ». Elle est aussi « une ressource rare et menacée ». Ce premier axe coche donc la case de l’enjeu écologique de la candidature, qui est un des principaux critères de la sélection. L’axe « Le futur en séries » entend quant à lui « construire de nouveaux récits de la mutation ; faire évoluer le rapport à l’œuvre pour l’intégrer dans un processus créatif, bâtir des esthétiques évolutives, intégrant le réel et la science ». Enfin, l’axe « Trans ? c’est ce qui passe, ce qui s’écoule » et interroge « notre époque : transnational, transgénération, transmédia, transition, transdisciplinaire… […], c’est aussi un des états de la célébration. »

Atouts et faiblesses : Si le jury a pointé une « candidature sérieuse » et « cohérente » qui « s’efforce d’inclure la voix des personnes de tous niveaux et de tous milieux culturels », il note cependant que « les impacts sociaux et économiques à long terme pourraient être mieux expliqués ». Par ailleurs, « le concept ambitieux et pertinent du programme, notamment en ce qui concerne l’urgence climatique et les tensions géopolitiques aiguës, bénéficierait d’un renforcement de son caractère unique et territorial ». Enfin, la coopération étroite avec l’Afrique, ambitionnée par Montpellier 2028, fait partie « des éléments très intéressants ».
Place de la Comédie, il se dit aussi que le phrasé par trop intellectuel du dossier pourrait handicaper la candidature, qu’« il faudrait casser l’image costume, cravate et barbe propre ». Mais indéniablement, « la ville jouit d’une vie culturelle très riche et d’une grande expérience dans l’accueil d’événements culturels internationaux à grande échelle », a apprécié le jury, citant le Festival de Radio France et la Biennale des arts de la scène… En notant aussi une certaine autosatisfaction.

Rouen : la Seine, en fil conducteur

C’est toute la Seine normande, et ses dix portes, de Giverny au Havre en passant par Honfleur, que Rouen embarque dans sa candidature. La cité de Flaubert, qui a connu des crises industrielles successives aux conséquences sociales et environnementales désastreuses – tout le monde ici garde en mémoire l’incendie du Lubrizol, en 2019 –, est aussi l’une des agglomérations européennes les plus exposées aux risques liés à la montée des eaux. Parrainé notamment par Thomas Pesquet, son projet de réconcilier la nature, la science et l’humain par le biais de la culture est ambitieux. Indissociable de son histoire passée, présente et future, La Seine en est le fil conducteur, le lien de reconnexion.
« Notre candidature s’inscrit physiquement, géographiquement, historiquement, écologiquement dans le cours de la Seine. Tout nous ramène à elle, estime Christine de Cintré, présidente de l’Office de Tourisme de Rouen, élue à la métropole en charge du projet Capitale européenne de la Culture. Nous l’assumons comme un parti pris qui donne sa cohérence à notre vision. Les territoires des fleuves ont beaucoup à dire sur le monde dans lequel nous vivons ! »
Avec ses 115 000 habitants au cœur d’une métropole qui en compte 500 000, Rouen veut insuffler « l’art partout, par tous, pour tous et tout le temps », tout en dialoguant avec d’autres fleuves d’Europe et du monde. Des projets transversaux en itinérance structureront la programmation en intégrant événements festifs, installations, performances.
Pas question pour autant de construire de grands équipements, mais plutôt de réhabiliter l’existant en rendant notamment accessibles les friches industrielles qui jalonnent la Seine.
« L’idée est de reconnecter le fleuve aux habitants, confie Christine de Cintré. Une politique de renaissance des friches le long de la Seine par des projets artistiques et culturels est amorcée. Nous nous appuyons sur des initiatives d’acteurs locaux (Seine de cirque et ses caravanes fluviales, Europe in Rush et ses bateaux-clubs, Détours et méandres…). Ainsi la filature Levavasseur à Pont Saint-Pierre (Eure), qui date de la fin du XIXe, devrait être confiée à des artistes pour un spectacle tiré de l’histoire ouvrière. Nous réfléchissons également à des modes de déplacements alternatifs : slow train sur des voies désaffectées, bacs artistiques traversant la Seine, tyroliennes, chemins de traverse à emprunter à vélo, etc. »
Avec la création de l’Assemblée de Seine, le projet, pensé collectivement, a déjà commencé à mobiliser l’ensemble des acteurs – habitants, scientifiques, entreprises et artistes. Le budget est estimé à 80 millions d’euros.

Ses atouts : Un dossier de candidature bien peaufiné, soutenu par des personnalités de renom : Thomas Pesquet, Karin Viard, Pierre Sauvageot, Wax Tailor, Michel Bussi… ainsi que l’association l’Armada (l’un des plus grands rassemblements de voiliers au monde). Le jury a estimé que l’offre de Rouen était « claire, ambitieuse, bien pensée avec un programme solide comprenant de nouvelles idées de projets conçues pour être transdisciplinaires, participatives et inclusives. » Élaboré autour de la Seine, ce projet qui fait dialoguer passé et futur trouvera certainement un écho auprès de nombreuses villes situées à proximité des fleuves et confrontées à des défis climatiques similaires.