L’été 2022, un été meurtrier ? Alors qu’on a encore en tête celui de 2003 et ses 15 000 morts, une étude de Santé Publique France a déploré pour l’année dernière une surmortalité de 509 décès corrélée aux trois vagues de chaleur en Occitanie. Mais, pour l’heure, ces données ne sont pas connues à l’échelle plus locale. À ce jour, à Toulouse, l’Inserm Occitanie n’a pas lancé d’étude sur le sujet. Pas d’image précise des conséquences délétères de la canicule là où elle est censée faire le plus de dégâts : au cœur de l’îlot de chaleur urbain.
« Ombrières » et « voiles d’ombrage »
La municipalité toulousaine a néanmoins décidé de prendre enfin le problème à bras-le-corps. « Concrètes et efficaces, ces mesures, nous les avons prises sans attendre pour que les effets bénéfiques qui favoriseront la fraîcheur dans la ville se ressentent dès cet été », annonce Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse. La ville va ainsi tester des « ombrières » et « voiles d’ombrage » dans quelques places et rues. C’est le cas notamment de la rue Alsace-Lorraine qui sera couverte sur 350 mètres d’un léger plafond de rubans, afin de rendre son parcours plus supportable sous la « cagna ». La débitumisation de 15 420 m² de rues va être expérimentée au travers de 109 opérations de voirie. Les écoles, particulièrement exposées aux grandes chaleurs, vont bénéficier de petites « oasis », avec végétalisation, ombrage et point d’eau. Les classes seront équipées de brasseurs d’air et de petites climatisations mobiles. Problème : aucune isolation des murs et des toits n’est annoncée. Autre objectif : d’ici à 2030, la Ville entend ajouter 100 000 arbres dans ses rues, sachant que 35 000 ont déjà été plantés.
Dans l’opposition, les écologistes du conseil municipal considèrent que l’effort est très insuffisant : « Il faut aller plus loin en créant de véritables espaces de pleine terre avec de petits écosystèmes humides », préconise Antoine Maurice, président du groupe Toulouse écologiste, solidaire et citoyenne, à la municipalité et à la métropole. « Nous portons par ailleurs un plan de rénovation énergétique des bâtiments municipaux et de végétalisation bien plus conséquent que celui de la majorité. La Ville a un faible endettement, ce qui laisse de larges possibilités pour investir sur le long terme ».
Végétaliser jusqu’à 75 % des espaces publics
La ville dispose-t-elle de données scientifiques permettant d’établir l’ampleur des transformations urbaines à mettre en œuvre ? À l’évidence, non, puisqu’elle demande à Météo France de simuler l’évolution de la température consécutive à plusieurs types d’actions. En l’occurrence : végétalisation de 25 %, 50 % et 75 % de l’espace public avec calcul du volume d’eau d’arrosage nécessaire ; éclaircissement des murs, dit coefficient albédo, à augmenter de 0,1, 0,2 et 0,3. Et enfin la désimperméabilisation de 25 %, 50 % et 75 % de l’espace public disponible doit également être testée. Pour chaque scénario, la mairie souhaite obtenir une baisse de 1 °C de l’îlot de chaleur urbain, les trois actions conjuguées étant « susceptibles de s’additionner pour aller au-delà de 1 °C », indique prudemment la mairie à artdeville.
Paris a déjà mené ce type d’étude. La capitale vise, elle, l’horizon 2100 et avec l’objectif de faire tomber la température de 4 °C pendant la nuit. En 2020, 8 chercheurs issus de plusieurs laboratoires scientifiques publics – dont le Centre national de recherches météorologiques à Toulouse – ont livré leurs conclusions. In fine, il est nécessaire de transformer 10 % de la région parisienne en espaces verts, en plus de ceux existant et des forêts. Il faudra également éclaircir les bâtiments. Le blanchiment pur et simple n’est pas recommandé afin d’éviter les éblouissements qu’il pourrait provoquer. En outre, cette réflexion maximisée du rayonnement solaire pourrait renforcer la chaleur dans les rues.
L’immense besoin de végétalisation renforce l’enjeu autour de l’eau
Autre contrainte lourde : la végétalisation massive recommandée par les auteurs de l’étude s’accompagne d’un important besoin en eau d’arrosage. En période de vague de chaleur, les surfaces vertes supplémentaires demanderaient un volume d’eau quotidien équivalent à six fois l’eau potable consommée chaque jour par les Franciliens. Le problème sera bien sûr du même acabit dans toutes les aires urbaines. « Les Villes sont appelées à engager un profond changement de paradigme urbanistique en matière de gestion de l’eau. Par exemple, à Toulouse, nous ne devons plus nous limiter à pomper l’eau dans la Garonne pour alimenter la ville, la consommer puis la rejeter dans le fleuve. Il est désormais nécessaire de capter par tous les moyens l’eau de pluie et de réutiliser tant que possible les eaux usées traitées », met en perspective Christophe Audouin, délégué Occitanie de Suez.
La Ville de Toulouse a pris conscience de cet enjeu crucial alors qu’une grave sécheresse frappe la région. Une partie des eaux de la station d’épuration de Ginestous va bientôt être réutilisée, par exemple, pour le nettoyage des rues ou des rames de la future troisième ligne de métro. La municipalité va également expérimenter des « tranchées de Stockholm », rue de Metz et grande rue Saint-Michel. Le principe : installer un lit de pierres sous les arbres qui y sont plantés. Ainsi, les racines pourront plonger plus profondément dans les anfractuosités ouvertes entre les pierres, constituant un nouvel espace de stockage de l’eau de pluie. Une sorte de mini-nappe phréatique.
Des matériaux poreux sont à l’étude pour remplacer le bitume. Ils permettraient de conserver l’eau de pluie pour ensuite s’évaporer en période chaude, contribuant à limiter la hausse du thermomètre.
Les actions présentées aujourd’hui suffiront-elles à faire baisser les températures dans les appartements toulousains pendant les prochains étés ? C’est peu probable. Pour autant, à quelque chose malheur est bon : pour faire face au réchauffement climatique, la Ville devra se transformer en profondeur, en redonnant ses droits à la nature après des décennies de bitumisation et de bétonisation.