Dans le programme du Printemps, vous publiez un éditorial du maire de Montpellier, Michaël Delafosse, qui s’interroge sur la façon qu’a le Printemps de se réinventer. Il s’interroge : « Comment en rajouter encore, comment… ? » Je vous retourne la question.
Comment faire mieux, je sais pas. En tout cas, c’est le festival qui jalonne l’histoire de notre pays. Que ce soit en Avignon, en 1947 – qui est le festival de la reconstruction – ou Le Printemps des comédiens, en 87 – qui le festival des lois de décentralisation Mitterrand/Defferre… Ce sont des méga évènements qui concentrent beaucoup de spectacles dans un seul temps. Cette histoire des festivals s’est multipliée. Aujourd’hui, il n’y a pas une commune sans festival, pas un quartier sans festival. Comment se réinventer et comment nos grands festivals peuvent participer de la vie de la cité et ne pas être simplement un lieu de consommation, un lieu éphémère de rencontres avec les artistes ? Au Printemps, nous nous sommes lancés dans plusieurs chantiers. D’abord la production : comment devenir une maison de production et donc accompagner au mieux les artistes dans leur travail de création, de diffusion… Et on l’a fait, cette année, à deux reprises avec Après la répétition/Personna, mis en scène par Ivo van Hove, et Bérénice, mis en scène par Castellucci. Donc la production, la formation avec l’accompagnement dès le collège, mais aussi avec la formation professionnelle avec Campus et, demain, avec la CCI, le projet d’un centre de formation des apprentis des métiers du spectacle.

Lorsque vous êtes arrivé, il y a treize ans, à la direction du Printemps, vous avez franchement réorienté la direction artistique vers le théâtre, la mise en scène plus traditionnelle, autour du texte, et moins de cirque ou de formes un peu différentes…
Il ne vous a pas échappé que le festival s’appelle le Printemps des comédiens ?

Effectivement. Néanmoins, parmi ces formes, le théâtre de rue est absent. Comment l’expliquez-vous ?
D’abord, je n’ai pas l’impression que le Domaine d’O [site principal du festival] ait des rues. Pour faire du théâtre de rue, il en faut [Le site est entièrement traversé par une large et longue allée de près d’un kilomètre et de nombreux espaces propices]. Et puis il y a d’autres manifestations sur le territoire métropolitain qui explorent ce genre : il y a Festin de pierre, à St-Jean-de-Védas, les Zat [mêlant arts vivants, arts visuels et projets participatifs, organisés par la Ville de Montpellier mais qui n’a pas lieu cette année], donc, nous, on est sur un autre endroit que le théâtre de rue.

Vous avez donc décidé de faire l’impasse sur cette forme et de la laisser aux autres…
C’est un festival de théâtre qui explore beaucoup de formes. Il y a une indiscipline au théâtre, ça ne nous a pas échappé, avec de la danse, de la vidéo, de la performance, du théâtre de texte, mais pas du théâtre de rue. Mais rien ne dit que demain, il n’y en aura pas. Mais ce n’est pas notre cœur et d’autres le font très bien.

Le renouvellement le plus récent, c’est la création de la Cité européenne du théâtre, sauf qu’on ne sait pas exactement ce qui la constitue…
D’abord, ce qui la fonde et, c’est à noter, c’est une volonté politique très forte, puisque vous le nommiez en entame, de Michaël Delafosse d’affirmer la place des arts au cœur de la cité.

C’est son idée ?
Oui et, dans cette place des arts, c’est de conforter le Théâtre d’O et d’unir les forces du Printemps des comédiens et du Domaine d’O pour qu’il y ait un continuum d’activités. Justement pour réfléchir à l’évolution de ces formes festivalières. Et avoir tout au long de l’année des artistes en résidence, de la création, de la formation, des conférences, un genre de jardin d’Épicure qui fonctionnerait en permanence et qui permettrait à nos concitoyens d’être en lien avec le sensible du 1er janvier au 31 décembre. Dans ces missions, il y a celles que j’ai décrites à l’instant : la formation, la production, la diffusion.

Il avait déjà été question de cette Cité européenne du théâtre sous la mandature de l’ancien maire, Philippe Saurel. C’est donc bien vous qui en portiez le projet ?
Nous, nous ne sommes rien sans la volonté politique. Nous sommes des pourvoyeurs d’idées, des animateurs de lieux. Nous sommes là pour faire avancer des projets, mais il faut qu’ils soient soutenus par un engagement très fort. C’est ce qu’on appelle le théâtre public, cette rencontre entre les artistes, les animateurs des lieux et une volonté politique. Là, il y a une concordance temporelle et une volonté ; il faut la saisir. Ce lieu extraordinaire qu’est le Domaine d’O est le résultat de quarante ans de politique publique. Le Printemps est né, il y a trente ans. C’est lui qui a fondé la vocation artistique du lieu sous Gérard Saumade [ancien président du conseil général), avec un enrichissement qui ne s’est jamais démenti, tant d’activités que de lieux, d’équipements. Aujourd’hui, il faut passer une étape, cette étape, elle passe par l’union du Domaine d’O et du Printemps pour qu’il y ait justement cette continuité-là.

Ces derniers temps, la direction du Domaine d’O a changé à plusieurs reprises, ce qui forcément a un peu désorganisé les équipes et a pu causer aussi un certain mal-être en leur sein. Qu’en est-il aujourd’hui ? Les choses se sont-elles apaisées ?
Nous sommes dans une phase de transition. Il y a cette Cité du théâtre qui doit juridiquement naître dans les mois à venir. Le conseil de métropole, le conseil municipal de Montpellier et l’État se sont unis pour mettre en place cette nouvelle structure. Je pense que le discours politique des directions est que, aujourd’hui, il faut embarquer vers ce nouveau projet. Quand une maison a un projet artistique fort, puissant, les équipes trouvent de quoi déployer leur talent, leur énergie et nos équipes, tant au Domaine qu’au Printemps, ne manquent ni de talent ni d’énergie, ni d’engagement.

Il n’y a pas si longtemps, au Domaine d’O, il y avait plusieurs directions artistiques, chacune dédiée à une discipline particulière. Ça a disparu pour revenir à une programmation plus centralisée. C’est une volonté assumée qui va rester en l’état ou peut-on s’attendre à des évolutions ?
Une maison ne peut fonctionner que si elle est portée par une direction artistique, une direction générale qui s’entoure de compétences. Mais c’est une direction, c’est une feuille de route donnée par le politique et développée par la direction – en accord d’ailleurs – qui peut embarquer l’équipe. Voilà. Une maison de théâtre ne peut pas être balkanisée, morcelée. On travaille dans ce continuum. Que ce soit pour le jeune public, la musique, le théâtre, il faut que les choses se renvoient, se répondent, s’enrichissent. Pour ça, il faut une direction.

Cela semblait bien marcher, malgré quelques difficultés çà et là.
Ça ne marchait pas. L’enjeu, aujourd’hui, c’est de porter ce Domaine d’O à un autre endroit. On verra, c’est un projet d’évolution.

Avec cette montée en puissance au niveau national, international par cette Cité européenne du théâtre, juste à côté d’Avignon, quel rapport allez-vous entretenir avec cet autre monument qu’est ce festival ?
Nous avons intérêt les uns et les autres à collaborer et à rêver ensemble. C’est ce que nous avons fait l’an dernier lorsque le Printemps des comédiens a accueilli en création la production de Julien Gosselin, qui s’est créée chez nous et qui a été repris ensuite à Avignon. C’est ce que nous allons faire cette année, du côté d’Avignon, en allant créer le spectacle de Marina Otero à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon.

On peut tout de même se demander s’il n’y a pas un message subliminal adressé au festival d’Avignon, puisque le titre du spectacle est Kill me, alors que ses précédents s’appelait Love me et même Fuck me (sur le ton de la plaisanterie) ?
(Amusé) Il n’y a aucun message subliminal. Tiago Rodrigues [directeur du festival d’Avignon] a été souvent invité au Printemps des comédiens et depuis très longtemps. Nous réfléchissons ensemble, nous construisons des choses ensemble et nous avons conscience, l’un et l’autre, de nos responsabilités. Qui sont de montrer nos capacités à travailler à unir nos forces pour que ce théâtre public puisse se déployer encore longtemps. Il n’y a pas de rivalité en matière de culture, plus elle est riche plus la demande est là. Il y a une complémentarité, une capacité à terme à faire circuler des publics, les œuvres et les artistes et à les soutenir. Dans les temps difficiles que nous traversons, si nous ne sommes pas en mesure de montrer une fraternité, nous ne sommes pas dignes des missions qui nous sont confiées.

Quelle place faites-vous aux auteurs de théâtre ? Peuvent-ils toujours venir présenter leurs textes ?
Il y a le Warm up, des maquettes de théâtre et, parfois, les auteurs sont présents. Mais justement la recomposition du calendrier qui va naître de cette cité européenne du théâtre va redistribuer les cartes et vous aurez des lectures à l’année, des conférences, des chantiers. Le Printemps des comédiens sera une épiphanie, un point d’acmé de cette activité foisonnante à l’année, c’est le projet.

Au programme

ette 38e édition du Printemps des comédiens sera dirigée largement vers la jeunesse. 2024 coïncide à la fin du cursus de trois ans à l’école nationale supérieure d’art dramatique (ENSAD) de Montpellier. Ses élèves monteront trois spectacles dont un mis en scène par Georges Lavaudant himself, sur un texte de Peter Handke Le malheur indifférent. Le 2e spectacle se crée par Katia Ferreira, elle-même issue de l’ENSAD, du Warm up et passée entre-temps chez Cyril Teste. Ce sera un texte d’Anja Hilling, Tristesse animal noir. Le 3e spectacle, Arche, est écrit et mis en scène par le directeur de l’ENSAD, Gildas Milin. Les trois spectacles seront joués séparément puis… à la suite, pour 10h30 de représentation, ce qui en fera un des événements du festival. Indéniablement une manière, pour les néo comédiens, d’entrer en grande pompe dans le monde professionnel.
La jeunesse s’exprimera également dans le cadre d’une invitation lancée auprès de six universités européennes.
Leur feuille de route : présenter des maquettes de spectacles à partir de l’histoire de leurs pays respectifs.

Imaginée dans le cadre de feue la candidature de Montpellier au titre de Capitale européenne de la culture en 2028, cette programmation de la Cité européenne du théâtre se veut solidaire. En témoigne, rappelle Jean Varela dans sa présentation du festival, l’accueil en 2019 d’artistes polonais malmenés par leur gouvernement de l’époque et venus jouer au Printemps. Cette année, le regard se tourne vers l’Argentine, où le cas est similaire. La performeuse Marina Otero questionnera sa propre souffrance en compagnie de cinq autres performeurs atteints de troubles mentaux. À partir de l’œuvre du chorégraphe Ninjisky, lui-même schizophrène, le spectacle sera joué à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon ; des bus seront affrétés spécialement pour l’aller et le retour.
Deuxième artiste à bénéficier de ce coup de pouce, Guillermo Cacace. Présenté par Jean Varela comme l’enfant terrible du théâtre argentin, avec Gaviota, il propose une revisite très particulière de La mouette de Tchekhov où public et personnages s’installent à la même table.

Parmi les près de 26 spectacles dont il sera question au Printemps de comédiens, 20 sont consacrés au théâtre, 2 au cirque, 4 au cabaret ; il y aura un film et un concert.
De grands noms du théâtre, certains habitués du festival, en tout cas, comme Georges Lavaudant mais aussi Cyril Teste, Jean-François Sivadier, Wajdi Mouawad, Joël Pommerat, Emma Dante… seront présents.
L’événement se fera autour de la création de Journée de noces chez les Cromagnons, écrit et mis en scène par Wajdi Mouawad. Outre par le talent de cet éxilé libanais, désormais directeur du Théâtre de la Colline, à Paris, ce
spectacle se trouve bien malgré lui sous les feux d’autres projecteurs, ceux tragiques de l’actualité, braqués sur lui par la guerre Israël/Hamas. Prévu pour être créé au Théâtre Le Monnot de Beyrouth, du 30 avril au 19 mai 2024, les représentations ont été annulées « en raison de pressions inadmissibles et de menaces sérieuses » exercées à l’encontre de son personnel, selon le communiqué du théâtre Le Monnot. Sa création au Printemps des comédiens percute ainsi les temps présents alors que son argument décrit le quotidien d’une famille qui se débat entre les bombes au cours d’une improbable cérémonie de noces. « À bout de nerfs on s’invective, on rit, on se querelle, on se réconcilie », dit le synopsis de la pièce.
Cyril Teste nous emmènera Sur l’autre rive où sa nostalgie de quitter un spectacle de La mouette (encore Tchekhov) lui inspire comme une grande fête autour de Platonov qui mêle comédiens et spectateurs (et encore cette idée !). La pièce sera aussi le sujet d’un film, projeté pendant le festival.
Jean-François Sivadier peint une fresque épique et tragi-comique où Hommes et Dieux s’affrontent dans un bain de sang délirant. Une création au Printemps nommée Portrait de famille, une histoire des Atrides.
Joël Pommerat présentera la pièce Marius de Marcel Pagnol, créée en prison, à la manière d’un conte. Dans le public, « les larmes coulent ; c’est une pièce qui a la puissance des tragédies antiques », prévient Jean Varela.

Également connectés à l’actualité, trois spectacles abordent la condition des femmes et ne manqueront sans doute pas de lui faire écho. Les Messagères d’après Antigone de Sophocle, mis en scène par Jean Bellorini, réunit les 9 comédiennes de l’Afghan Girls Theater Group qui ont pu fuir in extremis les Talibans. Une assemblée des femmes, aujourd’hui coréalisé par Roxane Borgna, Jean-Claude Fall et Laurent Rojol, revisite Aristophane dans un dialogue entre la comédie grecque antique et la réalité des femmes palestiniennes d’aujourd’hui. Balkony – Pieśni Miłosne (Balcons – Chants d’amour) d’après John Maxwell Coetzee et Federico García Lorca, mis en scène par Krystian Lupa tisse une histoire toute en nuances entre des femmes que deux sociétés patriarcales emmurent.

Enfin, Madame L’Aventure de Lionel Dray et Clémence Jeanguillaume qui cultivent l’art du bizarre au service d’un grand récit plein d’humour, et Re Chicchinella, librement inspiré de Giambattista Basile, par Emma Dante, un « joyeux tintamarre » qui conte le règne d’un Roi Poule, « affligé d’une poule en appendice fessier… ».

Le reste de la programmation est à découvrir sur :
printempsdescomediens.com

 

Légendes :

  • Jean Varela, dans la pinède du Domaine d’O, bientôt Cité européenne du théâtre.
    © Marc Ginot
  • Re Chicchinella, mis en scène par Emma Dante, les 18, 19 juin.
    © Masiar Pasquali
  •  Marius, mis en scène par Joël Pommerat, les 13, 14, 15 juin.
    © Agathe Pommerat