Le nouveau directeur des lieux, Clément Nouet, inaugure de belle façon ses nouvelles fonctions. À la tête de l’institution par intérim depuis deux ans, le voilà nommé officiellement depuis janvier. Faut-il voir à cette aune la programmation de cette saison au MRAC, riche, enthousiaste, œcuménique ? Quoi qu’il en soit, Clément Nouet signe les quatre commissariats, avec Laure Martin-Poulet pour l’exposition Mémoire en Filigrane.

My Prehistoric Past

La visite commence au rez-de-chaussée par My Prehistoric Past et les œuvres de Laurent Le Deunff. Inspiré par le titre d’un court-métrage de Charlie Chaplin, où Charlot s’imagine soudain en homme préhistorique, l’accrochage construit une fable pleine d’humour dans un monde tellurique supposé antédiluvien. On y découvre un bestiaire, présenté en dioramas figurant des grottes ; des parures monumentales ayant potentiellement orné le cou d’un éléphant ; une massue géante dont on doute qu’elle ait pu servir à Néandertal ou Homo Sapiens. Bien d’autres pseudo-fossiles ponctuent l’espace immersif et chacun semble ainsi inviter à piocher virtuellement parmi ces éléments, tel dans les rushs d’un film que l’artiste nous laisserait monter. Dans ce centre d’art préhistorique contemporain, des pièces se distinguent par leur humour anachronique (Le sapin à chats, le chewing-gum…) ou par leur caractère très insolite (Galerie de taupes).
Né en 1977 à Bordeaux, Laurent Le Deunff est présent dans de nombreuses collections, publiques et privées. Il a notamment été exposé à Paris, au Musée d’art moderne et au Palais de Tokyo, ainsi qu’au MoCo-La Panacée, à Montpellier.
Jusqu’au 20 mars

Sur le plateau de tournage…

À l’étage, dans le cabinet dédié aux arts graphiques, Valérie du Chéné et Régis Pinault nous invitent plus directement « sur le plateau de tournage ». Mais pour y mêler des « objets à suppléments d’âme et tir à l’arlequin ».
Les deux artistes ont en effet écrit le scénario et tourné le film Un ciel couleur laser fuchsia, entre 2017 et 2019

Vue de l’exposition « Sur le plateau de tournage, objets à suppléments d’âme et tir à l’arlequin » de Valérie du Chéné et Régis Pinault. © Aurélien Mole.

à Cerbère, et postulent que l’art est un va-et-vient entre réalité et fiction. Pour Valérie du Chéné, il s’agit, entre autres, de « rendre visible un morceau de réalité » tandis que pour Régis Pinault, déconstruire le réel serait une manière de s’en affranchir Grâce aux mots, aux formes et aux langages.
Ainsi, sur un mur du cabinet d’art graphique un « tir à l’arlequin », peinture polychrome, cible abstraite, darde-t-il ses rayons à travers l’espace. Par le prisme des vitrines, leurs reflets, l’œuvre crée autant de liens entre elle-même et celles exposées sous verre.
Comme on traverse ici le miroir, l’exposition noue soudain un lien visible entre les objets exposés, issus du films, affiches, éléments de décor… et le film dont seul le teaser passe en boucle. Au-dessous, 226 dessins soigneusement rangés dans des tiroirs renvoient également au film, tel un possible story-board, « un scénario dessiné », préfère Régis Pinault. Quoique invisible, le long-métrage se trouve ainsi déconstruit, puis recomposé par strates fragmentaires en un autre état artistique.
On pense au Rayonnant, de Daniel Buren, la sculpture monumentale à l’entrée de Sérignan, et à l’omniprésence colorée de l’artiste concepteur des vitres du musée, « Rotation », et de « La Cabane éclatée… » qui a sa salle. Une rencontre de pur hasard puisque les deux œuvres préexistaient indépendamment avant de se retrouver dialoguant, en formes de ce double kaléidoscope.
Jusqu’au 26 juin

Nouvelle exposition des collections

Dans l’espace dédié habituellement aux collections du musée, à côté, le nouvel accrochage annuel dévoile les dernières acquisitions à avoir rejoint le fonds, constitué de 560 œuvres. Pas de chronologie ni thématique dans la présentation, mais des rapprochements selon le dialogue qu’a voulu faire naître Clément Nouet entre les œuvres. Ces allers et retours entre techniques et générations, jeux de couleurs ou de formes… permettent de découvrir ou redécouvrir des artistes de tous horizons, dont de nombreux régionaux. Citons les rencontres entre Jean Messagier et Andrea Buttner, Guillaume Le Leblon et Côme Mosta-Heirt, ou Daniel Dezeuze et Farah Atassi. Un focus spécial sur les briques en terre cuite, de Nicolas Daubanes, qu’il érige au rang d’œuvres d’art. Chacune porte en effet l’empreinte de la main de l’ouvrier qui l’a fabriquée. On y lit la révolte, mais aussi son apaisement puisque les briques sont aujourd’hui bien rangées sur leurs étagères. Prêtes cependant à être à nouveau saisies ?

Masaki Nakayama, « Body scale, circle triangle square », 1977. Installation photographique, photographie et acier 175 × 175 × 30 cm chaque, 3 éléments de l’artiste. Courtesy de Yumiko Chiba Associates, Tokyo et Galerie Christophe Gaillard, Paris. © Aurélien Mole.

Humour et gravité se côtoient d’une salle à l’autre, et l’impressionnant travail de Sylvain Fraysse parachève magistralement la visite. Son œuvre « 01:22/38/ 01/23/08 » décompose en 30 planches de 24 images chacune, 30 secondes d’un film de Bergman. L’artiste réussit la prouesse de restituer l’imperceptible expression de l’actrice d’Un été avec Monika.
Jusqu’en janvier 2023

La mémoire en filigrane

Les trois dernières ailes du musée consacrent les travaux d’Anne et Patrick Poirier, des années 60 à nous jours. jamais ou rarement montrés. En cela, l’exposition « La mémoire en filigrane » est déjà un événement. Complices et amis intimes d’Annette Messager et de Christian Botlanski, ils n’ont pas connu la même renommée en France mais de nombreuses expositions personnelles témoignent de leur notoriété internationale. Le monde, ils l’ont parcouru inlassablement à la découverte de civilisations, cultures et esthétiques, à la manière d’archéologues. Le couple, qui s’est formé voilà plus de cinquante ans à la Villa Médicis de Rome, se passionne pour les villes en ruines, l’architecture. De leurs souvenirs minutieusement retranscrits sur des carnets, des moulages parfois, ou des photos, Anne et Patrick Poirier conçoivent leurs œuvres avec une infinité de techniques et de médiums. De leurs déambulations parmi les ruines antiques romaines, dans les années 70, ils ont bâti de monumentales maquettes en charbon de bois et en terre cuite. L’exposition au MRAC en présente deux, la première dans un couloir sombre, en guise de sas d’entrée dans l’univers fragile et impressionnant du couple ; on est immédiatement saisi.
Dans la pénombre, des feuilles d’or plaquées sur un papier noir froissé mettent en exergue de mystérieux fragments d’inscriptions latines, que seule l’imagination saura décoder. On plonge dans leur histoire, également la nôtre, qu’on découvre peu à peu contée sous nos yeux. Dix momies réinventées, de possibles autels à ex-voto, des installations restituant fragments et empreintes d’un récit toujours en cours… campent un univers sensible dont on perçoit la puissance millénaire et, néanmoins, la vulnérabilité.
Contrastant avec les salles précédentes, l’avant-dernière pièce nous plonge dans une évocation spectaculaire et colorée de La Divine comédie de Dante, plus spécialement Le Purgatoire. Une suite de représentations graphiques de grands formats (110 x 306 cm chacun) réalisée pendant le confinement, en 2020, qui ne manquera pas de surprendre les connaisseurs de l’œuvre du couple, mais aussi de les émouvoir. Dans un style figuratif plutôt classique, les tableaux mettent en scène les 7 péchés capitaux et y représentent çà et là leur fils, mort à 30 ans. On sourit malgré tout en découvrant sur l’une des toiles le logo Pfizer, qui porte son message optimiste.

Vue de l’exposition de Anne et Patrick Poirier, « Dodici visi di una fontana morta ». © Aurélien Mole.

La dernière salle scelle à sa manière la fin de la visite. Une croix chrétienne gît sur un côté, comme renversée, nul n’étant éternel. C’est aussi une vitrine dans laquelle on distingue les empreintes de vestiges antiques sur du papier japonais. Au sol, un tapis de plumes, d’anges sans doute, tant cette figure de la mythologie est récurrente dans l’imaginaire d’Anne et Patrick Porier. L’ambiance générale céleste est créée par des néons bleutés nommant des constellations. Le paradis n’est pas loin.
Le visiteur prendra congé la mémoire bien remplie, des souvenirs en filigrane bien sûr.
Jusqu’au 20 mars

Stadio

Au passage, dans l’espace central du musée laissé jusqu’ici sans fonction car caché par l’escalier, on peut désormais prendre une pause. Olivier Vadrot, architecte de formation, y a créé Stadio, une structure en bois qui permet d’accueillir des groupes jusqu’à 40 personnes. Une gageure vu les dimensions contraintes. L’astuce ergonomique de l’artiste plasticien ? Créer des gradins élevés pour une assise jambes quasi tendues. Un Circo Maximo similaire à ce micro théâtre existe aussi dans le jardins de la Villa Médicis, qu’Olivier Vadrot a conçu là-bas lors d’une résidence.