De sa double formation – quatre ans d’ébénisterie à Uzès puis un master à l’École nationale supérieure de création industrielle de Paris – Samy Rio a puisé la quintessence de sa démarche et une vision très revigorante du monde du design. « Le métier de designer peut être très vertueux ou au contraire très dégradant. Produire et faire fabriquer a un impact. Les objets sont une opportunité pour nous questionner, aussi j’essaie de faire en sorte qu’ils aient un sens avec leur époque et leur environnement », synthétise le designer originaire de Montpellier.
Un sèche-cheveux en bambou
Avoir grandi dans les Cévennes, à proximité de la bambouseraie de Prafrance à Anduze, a laissé chez le futur designer des traces indélébiles : il sort diplômé de l’ENSCI avec un projet de recherche autour… des tubes de bambou. « L’écologie a toujours été pour moi une évidence mais c’est à cette période que j’ai pris conscience de mon désir de construire une pratique unissant étroitement artisanat et industrie, dans une logique de matériaux biosourcés ou géosourcés. Or si le bambou a des propriétés techniques et mécaniques très intéressantes, il est peu utilisé comme matière première en Europe. Je suis donc parti d’un terrain vierge avec l’idée de transformer ce matériau en objet semi-industriel, tout en prenant en compte les notions de durabilité, réparabilité et recyclabilité », raconte Samy Rio.
De ses recherches, naîtront un sèche-cheveux, des enceintes et une lampe qui lui vaudront, en 2015, le Grand Prix du Design Parade à la Villa Noailles. Et même si ces objets sont restés à l’état de prototypes – « je me suis alors heurté au mur du lobbying industriel qui commence seulement à bouger » –, Samy Rio poursuit encore aujourd’hui ses études autour du bambou pour l’ameublement, l’architecture d’intérieur mais également en tant qu’outil ou moule pour la pratique du soufflage de verre ou de céramique.
Économie circulaire
Loin de se cantonner au bambou, le designer multiplie les résidences pour pouvoir mener des travaux expérimentaux sur différents matériaux et toujours en questionner les usages, les modèles, les filières : cité de la céramique à Sèvres, Cirva (Centre international de Recherche sur le Verre et les Arts plastiques) à Marseille ou encore le NTCRI à Taïwan. Il vient de passer deux ans au sein de l’atelier Luma (labo de recherche en design) à Arles, sur un projet de valorisation des plantes exotiques envahissantes en Camargue, dans les calanques et les Cévennes. « Pour limiter l’expansion de ces plantes (agave, renouée du Japon, herbe de la pampa, baccharis, figuier de barbarie…) qui peuvent représenter un danger pour l’homme, des campagnes de destruction sont mises en place par les gestionnaires du territoire. En collaboration avec un chantier d’insertion, responsable des arrachages de la renouée du Japon et producteur de petits objets en bois dans son atelier de menuiserie, nous avons exploré les qualités et propriétés de cette plante pour la transformer en matériaux alvéolaires. C’est un vrai projet en économie circulaire », se réjouit Samy Rio qui a ainsi développé deux prototypes (une caisse et un tabouret).
Du Grand Palais aux châtaigneraies
En parallèle, le designer travaille pour des institutions prestigieuses. Il a été commissaire et scénographe au Musée du Louvre-Lens et vient de remporter deux appels d’offres : le premier d’une organisation internationale intergouvernementale pour l’aménagement intérieur (11 000 m2) de sa nouvelle école à Lyon, le second pour le Grand Palais à Paris. Deux chantiers colossaux qui dureront jusqu’en 2024. « Au départ, par crainte de green washing, j’étais méfiant sur les comportements des institutions face à l’écologie mais je suis rassuré sur les deux projets, assure le designer. Les maîtres d‘ouvrage me font confiance et me laissent beaucoup de liberté. Pour le Grand Palais, je vais utiliser par exemple des matériaux sourcés au plus proche de l’Île-de-France tandis qu’une technique d’extrusion des gravats et déchets du chantier va permettre de travailler la terre crue. »
Pour s’offrir un « temps de respiration » dans cet agenda overbooké, Samy Rio vient d’accepter une mission de recherche, subventionnée par le ministère de la Culture, sur le parc naturel des Cévennes. Il s’agit cette fois de mener un projet de revalorisation des châtaigniers cévenols, tombés en décrépitude. « L’idée est de reconnecter et de créer tout un écosystème de valorisation locale des bois et de ses dérivés. Cela passera par exemple par la création de colles, encore très polluantes dans la filière, à partir de tanin du châtaignier. Travailler dans ma région m’inspire ! »
Une actu bien chargée, donc. Ah, on oubliait : depuis un an, le designer autoproduit en petite série des pièces (luminaires, bancs…) à destination des architectes d’intérieur ou des restaurateurs. Il vient de sortir son premier objet industriel, en collaboration avec l’éditeur Petite Friture. Alliant durabilité, fonctionnalité et esthétisme, Quasar, petite lampe nomade en aluminium anodisé, est le parfait prolongement de la profonde réflexion engagée par le designer sur les matériaux. Quasar ou étoile brillante. Tout est dit.