On entend un son très années 70 dans votre musique, c’est voulu ?
Non, ce n’est pas particulièrement volontaire mais je suis contente que ça puisse vous évoquer ça, parce que c’est vrai, ça fait partie de moi. On ne m’avait jamais fait un tel retour, mais ça ne me surprend pas parce que c’est une période artistique qui touche aussi mon batteur et mon bassiste*

C’est aussi l’époque du jazz fusion…
Oui, c’est sûr qu’il y a pas mal de fusion dans notre musique. Mais ça reste un jazz moderne. C’est vrai aussi que, de plus en plus, j’utilise le clavier Nord Stage. Avec, on a ce côté synthétiseur qu’on retrouve dans la musique fusion des années 70, Herbie Hancock… Dans Dunkerque by starlight notamment, je l’utilise. C’est la seule compo qu’on a fait à trois, sinon, ce sont des compos personnelles. Dunkerque by starlight est un travail autour de deux films : Interstellar et Dunkerque.

Avec votre création Final cut, on comprend en effet votre cinéphilie. D’où vient-elle ?
Oui, tout à fait, elle vient de mon père notamment, qui est un passionné. Avec lui, je regardais les films qui m’ont inspirée pour les compositions du projet Final cut avec lequel on tourne avec le trio. Et les extraits que vous avez pu voir sur Youtube en sont tirés. Le diptyque en question est sur ces deux films-là, c’est une compo autour du travail de Christopher Nolan et Hans Zimmer [Réalisateur et auteur de la musique des deux films –NDLR]. Donc, c’est pas un projet qui s’inspire des mélodies de cinéma, mais des œuvres du 7e art, de certains films qui m’ont touchée. Par exemple La mort aux trousses d’Hitchcock, Hook… Là, c’est plus un film de mon enfance, il y a également Novecento, la légende du pianiste sur l’océan…

Et Le Livre de la jungle aussi dont la partition musicale est particulièrement jazzy…
Oui, mais sur Le Livre de la jungle, ce n’est pas une compo, c’est plus un arrangement. Un arrangement, d’ailleurs, qu’on a développé un peu : on joue la version de Serge Lazarevitch qui est mon mentor et professeur au conservatoire à Montpellier.

Vous chantez sur ce morceau. Le chant a-t-il pour vous autant d’importance que le piano ? Avez-vous des projets spécifiques autour du chant ?
En fait, oui ! Mon contact avec la musique a commencé avec le chant. Je chantais tout le temps quand j’étais petite, jusqu’à saouler tout le monde à la maison. Je me suis mise au piano ; ma mère était pianiste et chanteuse autodidacte. Et au final, c’est le chemin que j’ai pris parce qu’on me l’a proposé. Je suis rentrée au conservatoire, etc. ! Mais en fin de compte, rétrospectivement, je me rends compte que mon premier amour, c’est le chant en vérité. Plus j’avance et plus j’ai envie de chanter. Dans Final cut, je chante moins que ce que je joue du piano, mais dans le prochain projet ce sera l’inverse.

Le prochain projet, c’est une résidence à la maison pour tous Louis Feuillade, à Montpellier, qui s’éloigne un peu du jazz, paraît-il. Pourquoi ?
Oui. Mais seulement du style jazz. En fait, ça va rester de la musique improvisée. Disons que le projet s’éloigne du jazz parce qu’il faut toujours mettre les choses dans des cases. Mais je considère que le jazz est quelque chose de très vaste et, si ça ne perdait pas les gens, je dirais que ça restera du jazz en réalité. Ça va s’orienter vers la soul parce que je vais chanter plus. Ça ne sera pas ancré sur les standards comme on a l’habitude de l’entendre, c’est pour ça que je préfère dire que c’est moins jazz. Mais ce sera toujours empreint de cette même liberté qui, pour moi, caractérise le jazz.

Dans le jazz, pour émerger, c’est peut-être aussi plus compliqué ? Il faut savoir s’en éloigner ?
Alors, pour le coup, non. Le chant est vraiment mon premier amour et donc j’avais envie de plus chanter. J’aime beaucoup Puccini, mais là où je vibre le plus, c’est dans un style soul, néo soul et ces choses empreintes de gospel. Tout pour moi reste lié et connecté au jazz. Et si je pars dans cette direction-là, c’est parce que je suis mes goûts et mon cœur, tout simplement. Après, je vois ce que vous voulez dire, mais j’ai toujours vu les choses comme ça : aller plus loin vers ce que l’on aime, en tout cas, transcender un peu les genres et m’en libérer, mélanger, potentialiser encore pour le plaisir que je vais prendre à monter sur scène, que ça vienne de l’opéra, du jazz, de la pop ou de la soul. Je vais me laisser le droit de faire tout ce que je veux. Alors si c’est plus bankable, donc, tant pis, tant mieux !

Après Nîmes Métropole Jazz Festival, sur la même scène que Youn Sun Nah, avez-vous d’autres propositions de la part de festivals ?
Effectivement, une proposition de concert est tombée, à Carcassonne, je ne sais pas encore le nom de l’endroit. Et nous jouerons à Jazz à Vienne en 2023, sur la scène Cybèle que j’aime beaucoup. On n’est pas dans l’amphi, pas encore, mais ça ne va pas tarder (sourire) ! On croise les doigts !

Propos recueillis le 4/10/22
* Léo Chazallet (basse) et Julien Grégoire (batterie)


Sandra Cipolat

« C’est un peu comme ça que je suis faite. »

Classiquement, lorsqu’on présente un-e musicien-ne, on évoque sa formation et ses influences. Pour Sandra Cipolat, cela passe par les conservatoires de Perpignan et Montpellier dont elle est diplômée, et par la citation de trois artistes qu’elle aime : Dave Holland, Herbie Hancock et Tigran Hamasyan. Mais quelques lignes de plus resteront bien maigres pour décrire la personnalité riche et touchante de Sandra Cipolat. Son jeu expressif, tantôt exubérant tantôt profond, semble la porter vers une ascension fulgurante. Ainsi, si c’est au sein du Grand orchestre de jazz d’Occitanie (GROô 2018) que sa singularité est d’abord remarquée, dès l’année suivante elle ouvre la 12e édition du Koa Jazz Festival en trio avec Léo Chazallet (basse) et Julien Grégoire (batterie). Lauréate avec eux du Tremplin jazz du Nîmes Métropole Jazz Festival en octobre 2021, le Sandra Cipolat trio est tambour battant l’invité du même festival, édition 2022, au même rang que Youn Sun Nah, Erik Truffaz, Monty Alexander…

Maturité exceptionnelle
Lorsqu’elle se confie, Sandra Cipolat se présente comme à moitié française par sa mère parisienne et moitié italienne par son père romain. « D’où une accointance particulière pour l’opéra italien. C’est ma grand-mère qui m’a appris à parler, à lire, à écrire l’italien. Ça doit probablement beaucoup influencer ma musique par le côté un peu lyrique, toujours un peu dans l’emphase, hyper dramatique, très Puccini. Il faut que ça dégouline ! C’est un peu comme ça que je suis faite. »

Et puis… Sandra Cipolat est née à Perpignan un 12 juillet. « Vous voulez la date ? » La potentielle jeune femme souhaiterait esquiver la question. Non par coquetterie ou pudeur, mais contre cette curiosité « sociétale » qu’il aurait selon elle « à évaluer le travail de quelqu’un selon son âge. Surtout pour une femme ». Lors d’examens, d’auditions, de concerts… certains publics ou même programmateurs ont parfois semblé la juger à cette aune un peu hâtivement, donc. La question heurte désormais sa sensibilité.
Certes, pour paraphraser Brassens, l’âge ne fait rien à l’affaire : quand on est bon, on est bon. Et la maturité exceptionnelle qu’on décèle dans la musique de Sandra Cipolat n’a nul besoin d’être expliquée pour émouvoir. Et si, en effet, au même titre que son genre, sa couleur de peau, son âge n’a en cela aucune d’importance, il reste un indice plutôt objectif pour identifier le caractère émergeant d’un-e artiste, la découverte d’un nouveau talent étant toujours un grand bonheur.

Sandra Cipolat en convient : « Je comprends très bien toutes ces raisons-là. Je suis née un 12 juillet 1990, j’ai 32 ans. » Mais l’écueil existe bel et bien selon Sandra Cipolat. « De la même manière que j’essaie un peu de casser les murs des styles, aussi pour m’en libérer. Ce sont des choses qui m’empêchent, d’une certaine façon, d’être la personne que j’ai envie d’être et non pas seulement celle qui va convenir pour tel ou tel festival, telle ou telle programmation. Mais je comprends aussi la démarche, ça permet d’identifier la personne aussi. »