C’est à l’amitié qui lie les conservatrices des musées de Reims et de Lodève, leur respect professionnel réciproque, qu’on doit l’accrochage remarquable de cet automne. En route vers l’impressionnisme, titre de l’exposition, nous embarque picturalement vers de bien belles histoires.
À commencer par celle du transfert de ces tableaux majeurs vers la capitale du Lodévois & Larzac. Catherine Delot, directrice du musée des Beaux-Arts reimois, a en effet proposé à son alter ego Ivonne Papin de se servir, le temps d’un prêt, dans la formidable collection dont elle a la responsabilité. Les travaux d’agrandissement du musée champenois vont en effet le priver de visiteurs jusqu’au printemps 2025. « Comme il est doté d’un fonds très riche sur le thème du paysage, j’y ai vu une belle occasion de réécrire des histoires de cette peinture, dans le courant des xixe et xxe siècles », explique Ivonne Papin.

Vers la modernité
La conservatrice a donc choisi de guider nos regards à travers les chemins qu’ont empruntés des peintres prestigieux tels que Corot, Renoir, Monet, Pissaro, Boudin, Sisley, Courbet, Martin… traçant le leur vers la modernité. « Les petites touches de couleur, la finesse des feuilles […] Il faut regarder à l’intérieur des toiles », conseille Catherine Delot face à Mantes, la cathédrale et la ville vues à travers les arbres, de Camille Corot. « Il y a une infinie délicatesse ». Onze tableaux du maître, peintre de l’eau, sont présents. Différents moments clés jalonnent l’exposition, ceux de l’école de Barbizon, par exemple. Les artistes « pleinairistes » tels qu’on les surnomme (de plein air) qui représentent cette école ne forment pas véritablement un courant tant leurs différentes approches de l’art sont réelles. Mais ils témoignent de leur engouement partagé pour les paysages de sous-bois, d’étang et de campagne situés en lisière de la forêt de Fontainebleau. De merveilleux coins de nature rendus accessibles avec palettes et chevalets grâce au chemin de fer… et à l’invention du tube de peinture.

Plus noirs, c’est peut-être plus beau
D’autres précurseurs de l’impressionnisme aux côtés de Corot et de Boudin, s’adonnent aux paysages. Et à cœur joie. Leurs sujets sont aussi les scènes spectaculaires qu’ils saisissent sur les ports, les rivages, les falaises… En des touches plus ou moins rapides, précises ou lumineuses, ils remettent en question l’académisme de l’époque, peut-être malgré eux. Peindre la nature, les paysages in situ impose des contraintes y compris météorologiques qu’il leur faut dompter. Les moulins de Rotterdam, par Johan-Berthold Jongkind, (1870) ; Barques échouées, par Félix Ziem (1841) ; ou encore Grande marée à Villerville, de Georges-Jules Bertrand (1881) méritent à cette aune toute l’attention du visiteur.
Mais parmi les impressionnistes exposés à Lodève, Claude Monet et Les rochers de Belle-Île, l’une des trente-neuf célèbres toiles de l’illustre peintre, réalisées lors de son séjour sur l’île bretonne, témoignent sans doute mieux que tout autre de l’effort qu’il faut produire pour peindre de tels paysages. Dans le catalogue de l’exposition qui le cite, Monet raconte : « Je me suis mis bravement à travailler sous la pluie ; les rochers mouillés n’en sont que plus noirs, mais c’est peut-être plus beau. »

Sur les cimaises du musée de Lodève, soixante-treize tableaux en tout, dont ceux de peintres moins connus et parfois tout aussi remarquables, comme Daubigny, Lepine, Maufra – tous trois très présents. Leurs représentations des clairs de lune, couchers de soleil et autres marines montrent combien ces thèmes désormais classiques ont pu émouvoir et même troubler. Deux époustouflants tableaux de Frits Thaulow, véritable génie dans l’art de reproduire des mouvements d’eau, valent également qu’on s’y attarde longuement.
La visite fait encore quelques pas vers la modernité avec des tableaux du xxe siècle, dont deux sous la brosse contemporaine de Denise Esteban, flirtant avec l’abstraction.  Jusqu’au 19 mars 2023

 

Légendes :

Le coup de vent (vers 1865/1870) – Camille Corot (1796-1875).
Huile sur toile, Reims, musée des Beaux-Arts

Les moulins de Rotterdam (1870)
Johan-Barthold Jongkind (1819-1891).
Huile sur toile, Reims, musée des Beaux-Arts

Catherine Delot, directrice du musée des Beaux-Arts reimois, devant La Vesle en novembre (1911) de Paul Bocquet (1868-1947).
Huile sur toile, Reims, musée des Beaux-Arts