Voir son travail exposé jusqu’en mars 2023 au Musée de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême, véritable temple du 9e art, voilà une reconnaissance qui en ferait rêver plus d’un. Fabcaro, alias Fabrice Caro de son vrai nom, en est presque gêné : « Ça fait un peu hommage de fin de vie, genre les rétrospectives qu’on consacre aux artistes morts ou en fin de vie. » Le type d’événement qui pourrait faire prendre une sacrée grosse tête au passage. Ce qui n’est pas le cas. Sans fausse modestie, l’artiste héraultais préfère se présenter comme « un gamin qui rêvait de vivre de l’écriture et du dessin et qui se retrouve à faire ça à 49 ans, en étant resté exactement le même gamin ».
Sur 400 m2, entre des dessins originaux et des témoignages vidéo inédits, l’exposition « Fabcaro sur la colline* (*Zaï zaï zaï zaï) » nous plonge dans l’œuvre et le parcours d’un auteur-dessinateur-scénariste discret, né à Montpellier en 1973, lequel aime dessiner sur sa table de cuisine en formica, chez lui, à Bédarieux. Et dénombre pas moins de vingt ans de carrière ainsi qu’une quarantaine d’albums au compteur. C’est l’occasion de découvrir un fan de Gotlib et Goscinny ayant fait ses premières armes dans des fanzines dans les années 2000 avant de réaliser Le steak haché de Damoclès en 2005, son premier livre solo aux éditions La Cafetière. L’une de ses deux maisons d’édition « historiques » avec les éditions 6 Pieds sous terre, fer de lance de la bande dessinée indépendante made in Montpellier(1), chez laquelle il publie La Bredoute, un catalogue délirant, en 2007. Depuis, il y concocte un livre tous les deux ans, tout en collaborant avec d’autres éditeurs. Car avec 6 Pieds sous terre, c’est « une histoire éditoriale qui s’est transformée en histoire d’amitié », confie Fabcaro à artdeville. Ce « solitaire dans le boulot » avoue aussi aimer « faire des projets à plusieurs », d’où des collaborations régulièrement avec ses potes, dont le dessinateur montpelliérain Fabrice Erre, « histoire de partager un truc, comme quand tu es ado et que tu montes un groupe de rock avec des copains ».

Blockbuster de la BD
Appréciés des connaisseurs au fil des ans, ses livres se vendent entre 3 000 et 4 000 exemplaires. Ce qui est plutôt pas mal. C’est le cas de Carnets du Pérou, carnet de voyage parodique édité par 6 Pieds sous terre en 2013, retenu dans la sélection du prestigieux festival de BD d’Angoulême. Sans être récompensé. Arrive 2017 et le succès inattendu de Zaï Zaï Zaï Zaï, pastiche de road movie racontant l’histoire cocasse d’un auteur de BD en cavale après avoir oublié sa carte de fidélité, poireaux frais à la main. 6 Pieds sous terre fait un premier tirage à 2 500 exemplaires, l’ouvrage est en rupture de stock en un mois… Ses ventes s’élèvent aujourd’hui à plus de 300 000 exemplaires. Ce blockbuster de la BD reçoit de nombreux prix (dont le Grand Prix de la Critique), engendre des adaptations au cinéma comme au théâtre, mais aussi des sollicitations de toutes parts. Quand on lui demande ce que Zaï Zaï Zaï Zaï a changé à son quotidien, Fabcaro répond amusé : « Le téléphone sonne vingt fois plus et j’ai cinquante fois plus de mails, mais à part ça je suis plutôt content. »
Si d’après Miquel Clemente, directeur des éditions 6 Pieds sous terre, « ce succès est quasi inexplicable », il n’en demeure pas moins mérité : « Fabcaro a un talent d’écriture qu’il a su optimiser pour être au plus juste en restant simple et efficace. Il y met ses angoisses, ses doutes, les travers de la société, en rit et nous faire rire, toujours à contre-pied, ça fait du bien. » Le succès perdure. Après Et si l’amour c’était aimer et Formica, son dernier album chez 6 Pieds sous terre, intitulé Moon River et sorti en 2021, dépasse les 85 000 exemplaires. Par effet de ricochet, la mise en lumière de son humour absurde a révélé une face presque cachée de Fabcaro : l’amour des mots. En 2006, il avait discrètement sorti le roman Figurec chez Gallimard. Devenu bankable, il enchaîne plusieurs fictions sous son vrai nom, Fabrice Caro, toujours chez Gallimard : Le Discours en 2018, Broadway en 2020 puis Samouraï en 2022. Les critiques sont dithyrambiques, il est invité sur tous les plateaux, dont celui de La Grande Librairie, preuve comme une autre qu’il séduit un public aussi large qu’exigeant.

« Un des nouveaux maîtres de l’humour »
En complément de l’exposition, une monographie « Fabcaro sur la colline » est co-éditée par les éditions 6 Pieds sous terre. Cet « album-catalogue d’exposition », tiré à seulement 5 000 exemplaires, compile « des témoignages, des articles d’analyse, de vieux fonds de tiroir, dont des inédits ». Résultat ? Une plongée de 128 pages dans l’univers d’un auteur passionné de rock et de rapports humains qui s’est approprié l’auto-fiction grâce à des personnages aussi loosers qu’attachants. Le tout en multipliant les expérimentations sur la narration et le graphisme, comme autant de variations de l’absurde. En introduction, Vincent Eches, DG de la Cité internationale d’Angoulême défend « un hommage sincère et joyeusement irrévérencieux » à un « écrivain du ratage élevé au rang de la poésie », le présentant même comme « un des nouveaux maîtres de l’humour ». Rien que ça. À noter : un hommage dessiné de Gilles Rochier(2), un de ses potes dessinateurs. Et un texte à mourir de rire de l’humoriste Blanche Gardin, qui dit de lui : « Fabcaro lui, il est sur le toit du monde, il a gardé toutes ses angoisses, résultat : toutes ses planches sont à pisser de rire. » L’exposition sera bien évidemment visible lors du FIBD d’Angoulême, dont la 50e édition se déroulera du 26 au 29 janvier 2023. Ironie du sort, il n’y a toujours pas été primé.

(1) 6 Pieds sous terre fête ses 30 ans en 2022 et organise « Hony’s festival », le premier festival de la BD indépendante de Montpellier du 9 au 11 décembre prochain.
(2) L’auteur de BD Gilles Rochier est actuellement en lice pour le prix des Inrockuptibles avec son album Faut faire le million (6 Pieds sous terre), il avait reçu le prix Révélation du FIDB d’Angoulême en 2012 avec TMLP – Ta Mère La Pute (6 Pieds sous terre).