Le battement d’ailes d’un papillon… À l’origine ? L’annonce par le Service départemental d’incendie et de secours (SDIS) de la Haute-Garonne de la fermeture de la caserne Vion d’ici à 2024 ; après un demi-siècle de présence et d’activité sur les allées Charles-de-Fitte, qui relient les quartiers Saint-Cyprien et Fer à Cheval sur la rive gauche de la Garonne. L’une des deux plus importants sites de l’agglomération toulousaine avec le centre de secours de Saint-Sauveur et la plus grande caserne du centre-ville est au cœur d’une réorganisation. Objectif pour les soldats du feu toulousains : être au plus près des populations grâce à un maillage plus serré de l’aire urbaine.
Voilà pour le papillon, dont le battement d’aile a soulevé la contestation dès le vote, par le conseil municipal, d’une délibération qui autorise la mise en vente sous pli de la caserne Vion. Le site est propriété de la mairie de Toulouse, mise à la disposition du SDIS de la Haute-Garonne, en effet. L’horizon 2024 signe donc le retour dans le giron municipal d’un bien d’exception, labellisé Architecture contemporaine remarquable par le ministère de la culture – un titre qui ne protège toutefois pas vraiment (lire page suivante). La caserne Vion s’étend sur 1 hectare. Ses espaces contiennent 85 appartements dans un immeuble de 12 étages, une halle en béton, un amphithéâtre, un bâtiment de bureaux et de logements, un gymnase, une piscine, une fosse de plongée, une tour de manœuvre et de séchage. Et ils ont une signature, celle d’un admirateur de Le Corbusier et ses « machines à habiter » : Pierre Debeaux, qui obtient le prix Beshard pour cette réalisation construite entre 1966 et achevée en 1972.

« Braderie » du patrimoine historique ?
Tandis que la délibération permet pour l’heure d’ouvrir les consultations, sans acter une vente de manière définitive, la riposte s’organise pour maintenir un bijou patrimonial et architectural dans le domaine public. Première initiative, une pétition en ligne « contre la vente de la caserne Vion à Toulouse » (Change.org) dont le nombre de signataires atteint à ce jour le nombre de 1 469 ; 1 000 un mois après sa publication. Motifs de la colère du collectif à l’origine de l’initiative, qui réunit des habitants et des associations du quartier Saint-Cyprien, les oppositions municipale et métropolitaine ? L’absence de concertation d’une part, d’autre part la dénonciation d’une « braderie » du patrimoine historique et emblématique de la ville au profit d’opérateurs privés.

« Encore » ! précise le texte ; à l’instar de Maxime Le Texier, élu municipal d’opposition de la liste Archipel Citoyen et conseiller métropolitain au sein du groupe Alternative pour une Métropole Citoyenne : « Ce sujet, celui de la vente à la découpe du patrimoine toulousain, on le suit depuis longtemps. La délibération qui concerne la caserne Vion n’est pas la première et confirme la philosophie de Jean-Luc Moudenc en matière de démocratie et de gestion du patrimoine : décider seul de la vente de sites remarquables sans chercher à les protéger. Conséquences, la gentrification s’accélère à Toulouse et les défis que posent le changement climatique et la question sociale en matière d’aménagement urbain risquent l’impasse. »

 

Une vue extérieure de l’amphithéâtre.

La façade

La fausse de plongée, toujours opérationnelle.

Le réfectoire

 

 

Un même souci, deux visions
L’avenir de la Ville rose, à l’instar du devenir de la caserne Vion, semble être le seul point qui fasse sens commun ; le sujet divise lorsqu’il s’agit de définir la direction à suivre. Côté mairie, auprès de nos confrères toulousains, l’adjoint au maire Sacha Briand déclare poser à chaque fois la question de l’intérêt de conserver ou pas un site, en fonction des coûts qu’une réhabilitation générerait ou des interdits que les plans de prévention des risques poseraient si un service public s’installait par exemple. L’élu en charge de la modernisation de la collectivité dénonce en même temps le « romantisme » d’une opposition, qui considère que « tout ce qui est ancien est nécessairement beau et bien ».
Les élus, les associations et les habitants du quartier Saint-Cyprien alertent quant à eux sur la nature précipitée d’une décision qui ne prendrait pas suffisamment en considération l’intérêt public, et qui ferait fi de toute « vision stratégique et de long terme » en matière d’aménagement urbain. « Un quartier, ça se pense à l’échelle d’une ville et d’une métropole, indique Christine Torrent, la présidente de l’association “Saint-Cyp’Quartier Libre” signataire de la pétition. S’agissant du devenir de la caserne Vion, il y a lieu de ne pas se presser. Nous avons fait part de cette réserve, de nos propositions aussi, lorsque Jean-Luc Moudenc a rencontré récemment les interlocuteurs du quartier. Une vente à la découpe du site ne permettrait pas à la Ville de récupérer autant d’argent qu’elle le souhaiterait. Nous sommes convaincus par ailleurs que la caserne, comme d’autres lieux, doit être protégée de la spéculation immobilière pour préserver l’accès à un quartier, Saint-Cyprien, dont l’histoire populaire reste marquée par l’accueil du plus grand nombre et la solidarité. »

Cohérence
L’ambition de la majorité d’inscrire Toulouse au patrimoine mondial de l’Unesco en valorisant l’image touristique de la Ville rose notamment, demande certainement de trouver de l’argent : la troisième ligne de métro et le Grand Parc Garonne demandent des financements conséquents ; 30 millions et 28 millions d’euros respectivement. Mais, en toute cohérence, préserver le patrimoine toulousain semblerait sûrement mieux défendre cette inscription à l’héritage commun de l’humanité ; la vente de ce bien pouvant de surcroît être interprétée comme un mauvais signal adressé au ministère de la Culture, auprès de qui un premier dossier de candidature doit être validé. Sans compter que la caserne Vion, ensemble immobilier exceptionnel, offre de belles possibilités pour maintenir et renouveler le lien social. « Il est question de soutenir la vie qui fonde la mémoire de ce quartier, Saint-Cyprien. Et ce souci est tout à fait susceptible de parvenir à un accord gagnant-gagnant qui associe les pouvoirs publics et leurs structures, les associations et les habitants », insiste Maxime Le Texier. C’est d’ailleurs le cas pour l’Espace Job, dans le secteur des Amidonniers, qui a permis la renaissance du bâtiment autour d’un projet culturel et artistique depuis une gouvernance partagée.

Et l’élu de poursuivre en citant Paris, dont le Plan local d’urbanisme (PLU) intègre le recensement des sites patrimoniaux quartier par quartier, par les maires et les citoyens. « Tandis que le PLUi-H (Plan local d’urbanisme intercommunal-Habitat) est à nouveau à l’élaboration, après son annulation au printemps dernier, nous pousserons cette revendication du “recensement-protection-concertation” », conclut l’élu. Une position soutenue par Christine Torrent : « On compte mobiliser la population pour défendre l’idée que la caserne Vion pourrait accueillir pendant et après sa transformation des espaces, éphémères ou pas, pour du logement social, des activités associatives, la santé et l’action sociale. » EV