Ancien et moderne ne se querellent plus. À Toulouse, la couleur les réconcilie. La réhabilitation du centre historique, conduite en 2013 par le Catalan Joan Busquets dans le cadre de l’aménagement des espaces publics de la ville, s’appuie sur une palette chromatique générale réalisée par la société Nacarat Color design, déclinée par époque et par type de bâtiment, façade par façade. Sept guides établissent l’âge visible du cœur de la capitale haut-garonnaise. Leur contenu oriente le service d’urbanisme municipal, les promoteurs immobiliers et les particuliers pour des opérations de ravalement de façade notamment. Une manière de valoriser le patrimoine architectural et de réaffirmer l’identité de la Ville rose en même temps, de parfaire la candidature de Toulouse à une inscription au Patrimoine mondial par l’Unesco aussi.
Côté moderne, Nacarat Color Design accompagne Oppidea, la société d’économie mixte d’aménagement (SEM) de Toulouse Métropole, pour la métamorphose d’une friche urbaine en éco-quartier, entre les secteurs de Saint-Cyprien et Purpan : « Sur ce projet, nous avons été missionnées pour travailler en concertation avec les équipes de maîtrise d’ouvrage et de maîtrise d’œuvre retenues sur les différents lots », précise Xavière Ollier, l’une des coloristes de l’agence toulousaine de design global, experte en couleur et autrice d’une thèse soutenue en 2015 à l’université Toulouse Jean-Jaurès (1) sur l’archéologie de l’imaginaire chromatique appliquée à la ville et la spécificité du métier de coloriste designer. Objectif pour la zone d’aménagement concerté (ZAC) La Cartoucherie : garantir la cohérence entre esthétique urbaine et bâtiments, les uns par rapport aux autres selon leur fonction et leur usage, pour en faire un nouveau centre urbain.

Approche globale, action locale
Principe de base, lorsque de tels projets sont initiés, comprendre que la couleur n’est jamais seule. Un paysage, un environnement est composé d’un ensemble de teintes qui crée une géographie et une identité. La couleur, lorsqu’elle s’applique aux champs de l’architecture et de l’urbanisme, devrait donc être appréhendée comme une écologie visuelle. Le coloriste conseil ou le coloriste en architecture s’applique à explorer un lieu et son identité, afin d’étudier les effets des coloris dans leur relation avec les habitants. De nombreux exemples montrent que la couleur et son usage, la coloration, ont une portée sociale : « [Elles donnent] une plus-value visuelle et symbolique aux bâtiments de logements collectifs ou pavillonnaires », soutient Anne Petit lorsqu’elle rédige en 2015, à l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes, une thèse de doctorat sur la couleur, ses effets et leurs méthodes d’approche dans la démarche de projet architectural et urbain (2).
Ainsi, en Occitanie comme partout en France, Nacarat Color Design a élaboré la charte chromatique de plusieurs cités labellisées « Art et Histoire » par exemple : Toulouse, mais aussi Nîmes dans le Gard et Castres dans le Tarn. L’équipe a également travaillé l’intégration paysagère du mobilier urbain et des terrasses sur la place Nationale à Montauban. « Cet intérêt pour la couleur comme levier de la fabrique urbaine, c’est plus qu’une tendance », confirme Xavière Ollier, indiquant que chaque plan local d’urbanisme (PLU) intègre la notion d’« aspect extérieur des constructions ». La couleur peut ainsi changer le visage et l’ambiance d’une ville. La métamorphose de Trentemoult, ancien village de pêcheurs situé face au port de Nantes sur la commune de Rezé, peut en témoigner. Au point que certaines métropoles financent parfois, et dans un cadre défini, la coloration de façades des particuliers.

Parmi les centres anciens régis par une charte chromatique, celui de Toulouse est célèbre pour sa couleur rose. Mais son nuancier comporte de nombreuses autres teintes. @ Nacarat Color Design

@ Nacarat Color Design

 

De symbole, la couleur serait donc susceptible d’incarner une pratique au service d’une politique, un levier de l’aménagement des territoires et des villes au-delà de la seule recherche d’une conservation patrimoniale ou d’une cohérence chromatique. « La couleur est un élément très important, insiste celle qui dirige Atelier Chroma dans le Morbihan et exerce le métier de coloriste en architecture sur Nantes, Brest et le Grand Ouest. Il ne s’agit pas de mettre de la couleur pour la couleur, à tout prix, plutôt de trouver comment celle-ci peut s’insérer dans un contexte local. » Anne Petit recense une vingtaine d’effets chromatiques, répartis en cinq catégories dont certaines pourraient être investies comme des outils de projet : optique, climatique et lumineuse ou psychomotrice. Les choses semblent aller dans ce sens, car secteurs public et privé, particuliers sollicitent les conseils et les formations des coloristes pour des raisons très variées.

Place Nationale, à Montauban, la charte graphique des terrasses et son mobilier contemporain inspiré d’Ingres. @ Nacarat Color Design

Contre le réchauffement climatique aussi ?
L’une d’entre elles, sinon la première à laquelle on pense au moment où le GIEC publie le troisième et dernier volet du rapport d’évaluation, viserait la réduction des émissions à effet de serre : l’usage de la couleur permettrait de lutter contre le réchauffement climatique et, mieux, contre les îlots de chaleur dans les espaces urbains. Pour rappel, si l’atmosphère terrestre se réchauffe, celle des villes également avec cette particularité : présenter des températures moyennes plus élevées de 2 °C à 12 °C en fonction de la morphologie, du nombre d’habitants, des matériaux ou des activités. Steven Chu, prix Nobel de physique nommé dans l’administration Obama, proposait en 2009 de peindre en blanc les toitures et les trottoirs dans le monde entier : blanc strict pour les toits plats, couleurs froides pour les toits inclinés, gris clair pour les routes.
L’effet est là. Un supermarché de Quimper dans le Finistère, par exemple, a réduit les émissions de gaz à effet de serre de plus de 175 tonnes équivalent CO2 à la suite de l’installation d’un « toit frais » de 7 000 m2 en 2015. Mais, comme le rappelle Frédéric Bonneaud, le directeur du Laboratoire de Recherche en Architecture de Toulouse, « ce qui fonctionne le mieux, c’est de combiner les différentes recommandations bioclimatiques qui existent » : la couleur des revêtements, certes, mais aussi l’ombre, l’eau et le vent travaillent ensemble pour rafraîchir les espaces urbains délimités en îlots. C’est d’ailleurs à Toulouse, en 2017, et depuis le laboratoire dirigé par Frédéric Bonneaud, qu’un projet baptisé « Îlots de fraîcheur urbains » (IFU) était réalisé sur la ZAC Montaudran, à 6 km à peine du centre au sud-est de la Ville rose.

Du règlement faire un levier d’action
Reste que la méthode et les compétences spécifiques de coloriste, où elles existent, semblent encore relever de sensibilités individuelles. Restent, également, des résistances pour intégrer des coloristes aux services d’urbanisme, alors que le nombre de cabinets de couleur français est faible.
« La perception de la couleur et la relation que l’on entretient avec elle est complexe, une histoire de goût si on l’explique de façon réductrice. Or la couleur est partout dans les espaces, urbains comme ruraux », répond Anne Petit.

Conséquence de ce qui semble relever d’un manque de considération : « L’information légale ou réglementaire s’avère souvent fragmentée (plans locaux d’urbanisme qui investissent peu le sujet, chartes chromatiques municipales, guides génériques), note Jean Leviste dans la publication du think tank L’Hétairie en janvier 2021. En outre, ces documents ont souvent une ambition conservatrice (définition d’une palette chromatique stricte, d’une gamme de matériaux ou de techniques de construction), certes nécessaire pour conserver la cohérence chromatique d’un espace, mais ils ne se saisissent que rarement de la couleur comme un levier d’action. » Couleur(s) sur la ville, oui, à condition de savoir bien la manier et de bien le vouloir.

(1) OLLIER Xavière, « La poïétique urbaine du coloriste designer : pour une archéologie de l’imaginaire chromatique. »
(2) PETIT Anne, « Effets chromatiques et méthodes d’approche de la couleur dans la démarche de projet architectural urbain. »