Érigé en deux tours de 9 et 16 étages, reliées par de spectaculaires serres aériennes, accessibles et conviviales, Evanesens ne laissera a priori personne indifférent. En tout cas pas ses futurs propriétaires. L’ensemble immobilier, conçu à énergie positive, accueillera 74 logements aux dimensions généreuses – 75 m2 par exemple pour le T3. Ils seront quasi entièrement recouverts d’une résille qui servira de tuteur à une végétation abondante, grimpante et variée. Sous la structure du plateau central, des miroirs prolongeront le regard sur cette perspective végétale en un effet indéniablement esthétique. La parcelle de 2 000 m2 se situe en bordure du Lez, juste derrière la mairie de Montpellier conçue par le même architecte, François Fontès, avec son ami et associé, Jean Nouvel. Seuls bémols peut-être, la relative proximité de l’A709, à 500 m, et on s’en doute, le prix, annoncé à 7 000 euros le m2. 16 logements seront toutefois en abordable.

Figure locale de réputation internationale, à la fois promoteur et acteur culturel dynamique – producteur de cinéma et éditeur – François Fontès recevait artdeville dans ses bureaux de Montpellier, en centre-ville, le 29 mars dernier.

 

Interview

Evanesens a fait sien le concept de biodiversité positive souvent évoqué dans ces pages, selon lequel construire, c’est aussi produire du vivant. Est-ce à dire que désormais tous vos projets seront bâtis ainsi ?
Je crois que je ne pourrai jamais dire que systématiquement ce sera ma façon de créer, parce que je crois essentiellement à une chose, c’est la valeur de la contextualité. Si je suis dans un endroit de la ville où ce type de projet se justifie, oui. Mais ça peut ne pas se justifier tout le temps, parce que la ville a une histoire, une densité historique, où dans certains endroits la minéralité l’emporte. Comme dans le centre historique. Ce sont des espaces minéraux, mais qui ont une saveur, un charme, une poésie, qui ne nécessite pas forcément d’avoir ce type d’architecture. Par contre, dans les premières périphéries, les abords des villes, compte tenu des enjeux climatiques et de la vision que j’ai, qu’il faut réenchanter les choses, je pense qu’effectivement, par ce rapport de proximité avec la nature, végétaliser les bâtiments, c’est apporter à la fois de la beauté mais également un support à la biodiversité.
C’est aussi le cas de vos projets tels que Gimel, à Grabels (nord de Montpellier) et Lattes (sud) ? Et à Assas aussi (nord) ?
À Assas, non. Mais aux Hauts de Lattes et à Gimel, oui, cette thématique sera fortement présente.
Avec un bilan biodiversité positif, donc ?
Bien sûr ! Par exemple, pour le projet Roxim, on imperméabilise au sol finalement assez peu de terrain, de l’ordre de 2 000 m². Par contre, on crée 10 000 m² de surface végétale en hauteur.
Pour ce programme, vous vous êtes entouré d’une star en la matière…
Comme toujours, quand je fais des projets, je préfère avoir les meilleures compétences. Laura Gatti est cette paysagiste italienne qui a fait notamment le Bosco verticale à Milan. C’est un succès qui existe depuis plus de dix ans [architecte Stefano Boeri – voir artdeville n° 55 (nov. déc. 2017)].
Vous dites vouloir utiliser des matériaux biosourcés « le plus souvent ».
Dès qu’on peut, on est preneur.
Mais là, ce sera quand même majoritairement du béton qui sera utilisé.
Alors, il y a une polémique : est-ce que le béton est un matériau biosourcé ou pas ?
Le sable est devenu un matériau rare…
Sauf que, maintenant, on concasse beaucoup. On ne va plus chercher dans les rivières où il y avait à la fois du gravier, des galets. Elles sont classées. Mais qu’est-ce qui est intéressant au-delà du biosourcé ? C’est surtout les circuits courts, le béton ici, dans cette région. C’est un circuit court parce qu’on a les carrières de la Madeleine, on a des usines de béton. Si je vais chercher de l’aluminium, là il viendra d’Ukraine, du Canada…

Les Collines de Santa Cruz, à Nîmes. Dix logements sociaux évolutifs, avec la possibilité d’aménager ou d’agrandir sur les terrasses privatives, selon les besoins de ses occupants. Huit sont en ossature bois, doublage intérieur en OSB. © Sophie Belloni-Vitou

Le béton est-il incontournable ? Ne peut-on pas s’en passer ? Son bilan carbone est mauvais.
Moi, d’abord, je ne veux pas qu’on s’en passe parce que c’est un matériau qui va très bien pour l’architecture. Quand il est produit pas très loin. On ne va peut-être pas lui donner la caractéristique de biosourcée autant que le bois, mais c’est quand même un matériau issu de calcaire et d’argile. Alors, bien sûr il y a de la dépense d’énergie pour fabriquer le ciment, etc. mais pour faire venir du bois de Pologne ou [d’ex] Tchécoslovaquie, c’est pire.
D’accord, mais lorsqu’on passe près de Mireval, sur la route de Sète, par exemple, on voit bien que la carrière aussi a un impact important sur l’environnement.
C’est une gigantesque carrière, la carrière Lafarge. Moi, je suis comme vous… Par contre, je sais que pendant des siècles, pratiquement chaque village avait sa carrière. J’ai mené une étude à l’époque par laquelle on a identifié 360 carrières dans le Languedoc-Roussillon, avec la plus grande diversité de pierres du monde. On a les granits dans les P.O., dans le Sidobre, on a les calcaires coquillés, au Pont du Gard et à Castries. Autrefois, il y avait à Cournonterral des carrières de marbre fantastiques. Ceux qui ont servi à faire les cheminées de Versailles viennent de Laurens, juste au-dessus de Béziers. Il y a les porphyres, une variété de granit de couleur rouge ou verte, et ça dans l’Escandorgue… On a un potentiel de gisements absolument extraordinaire. Je vais en parler avec Carole Delga [présidente de la Région – NDLR] : j’aimerais qu’on active une filière pierre pour le Languedoc-Roussillon, parce que ces petites carrières sont disséminées sur tout le territoire.

Projet d’écoquartier Gimel, à Grabels (34), architecture : François Fontès en association avec Architecture Environnement et Portal Teissier. © Farid Channaoui

Une filière pierre ?
Il ne faut pas croire que les gens qui construisaient les villages à l’époque allaient chercher les pierres à 200 km ! Dès qu’ils trouvaient un matériau sur place qu’ils pouvaient utiliser pour la construction, ils s’en servaient. Parfois, des carrières ouvraient le temps de la construction d’une maison et souvent le carrier était aussi le maçon. J’ai fait réactiver les carrières, par exemple, de Pompignan, je leur ai permis de trouver un nouvel essor en faisant tous les dallages du lycée Jean Monet, il y a vingt-cinq ans. Pour le lycée Marc Bloch, à Sérignan, j’ai utilisé énormément de pierres ; ça a créé du travail pour les carriers, pour les tailleurs de pierre et pour les monteurs de pierre. J’utilise également beaucoup la pierre pour toute une série de logements sociaux dans la région, à Prades-le-Lez, au Crès… On a un matériau, autant l’utiliser ! Pour qu’il y ait une aide technique, commerciale. Cette potentialité, nous pouvons la vendre à l’extérieur et nous en servir également, sans avoir à aller courir au Portugal ou dans des pays lointains, comme souvent. C’est idiot !
De la même manière, ne pourrait-on pas créer une filière de matériaux biosourcés ?
Par exemple, la filière bois. J’ai fait des logements sociaux en bois notamment à Palavas.
Oui, mais sur une armature béton.
L’armature est béton, mais toutes les façades sont en bois du Vigan. Je ne suis pas allé le chercher dans les Vosges ni dans le massif central. On a une scierie au Vigan qui exploite une forêt de pins douglas, autant se servir là.
Pour reparler de l’immeuble de Roxim, peut-on considérer l’immeuble comme un immeuble post-confinement ?
Je l’avais conçu avant.
Les espaces sont plus grands que ceux qu’on a l’habitude de voir sur le marché. Vous disiez, il y a peu, avoir été sensible au rapport Leclercq.*
Je crois que c’est l’intelligence d’un tandem avec Roxim, un promoteur qui pense l’avenir et qui se dit qu’on ne peut pas continuer à produire exclusivement des logements de 60 m² qui valent à Montpellier 350 000 euros. C’est beaucoup d’argent, ça ne permet pas de loger tout le monde et le plaisir d’habiter est voisin de 0. Les gens aujourd’hui cherchent le plaisir d’habiter, la beauté, le vivre ensemble. C’est pour moi les trois grands thèmes. Et la surface, c’est le plus grand luxe. Alors Evanesens est un immeuble un peu de luxe, même s’il y a quelques logements abordables. Mais je viens de terminer une opération à Nîmes en logement social. Des logements sur des grandes plateformes de béton et une partie normalisée qui est déjà pour un P3 à plus de 70 m². Devant, vous pouvez rajouter une véranda ; vous allez l’utiliser 80 % de l’année. Sur cette plateforme, vous pouvez poser aussi un container pour vous faire un atelier ou vous faire une pièce supplémentaire, si vos vieux parents viennent chez vous. Tout ça fonctionne bien : la surface comme une vertu d’un luxe accessible à tous.
La modularité est aussi un enjeu…
La modularité est quelque chose d’intrinsèque à l’évolution des familles. C’est-à-dire : vous avez au départ un appartement de 70 m², vous êtes un jeune couple, après, vous avez des enfants, vous les logez, et si vous avez la capacité d’étendre votre logement, c’est formidable !
Question plaisir d’habiter, vous avez intégré des espaces variés pour Evanesens. Déjà, ces deux tours reliées par des espaces conviviaux…
Oui, par des grandes serres. Elles sont justement là pour permettre à certains logements d’avoir des espaces, un petit peu de nature interne…
On reste cependant très vertical. Or, dans le rapport Leclercq, on cite feu votre confrère Jean Renaudie pour qui la complexité faisait la vertu, et une part du plaisir d’habiter.
Je connais bien l’œuvre de Jean Renaudie qui, lui, s’étalait un peu plus. Il a fait aussi des immeubles assez hauts. Mais la complexité est une forme esthétique si elle est réussie, bien entendu. Ce n’est pas parce que c’est complexe que c’est beau ; c’est une forme où le regard va pouvoir vagabonder. Si on est trop strict, on a une perception à l’échelle territoriale, mais quand on est près des bâtiments, ce n’est pas la même chose. Ce foisonnement d’espaces, modulaires, crée la diversité, et notamment grâce aux jeux de lumière qui est quand même l’apanage de l’architecture méditerranéenne.
Ne pensez-vous pas cependant que cette complexité, l’innovation architecturale, s’est perdue ? Pourrait-elle revenir ?
En tout cas, quand on a une vision optimiste comme moi, on peut penser que ça va se réaliser. Pourquoi ? Parce que les promoteurs ne sont pas des gens stupides. Ils voient bien que leurs acquéreurs souhaitent de plus en plus des choses belles et agréables à vivre. Donc, il faut qu’ils comprennent que ça doit être un argument de vente. Je ne suis pas convaincu, en dehors du problème de prix, que l’appartement de 60 m² soit vraiment un lieu de plaisir : pas de rangement, des balcons qui servent de dépotoirs… C’est complexe. Mais je pense que ce principe est en route. Je crois qu’on a cette capacité de réenchanter la ville. Parce que la ville autrefois était enchanteresse… Pour les gens qui visitent une ville, parce qu’ils savent que dans le centre historique, ils vont trouver un espace d’aventure, presque. Qu’ils vont découvrir des choses, avoir des surprises esthétiques. On va pas visiter les Zup ni les Zac en tout cas pas celles de mauvaise qualité. Je crois que cette vision du réenchantement est une clé de réussite économique ; je suis promoteur, vous le savez aussi…
Justement, cela ne provoque-t-il pas chez vous une sorte de schizophrénie dans laquelle vos intérêts divergent ?
Moi, je cherche toujours à me dire : qu’est-ce qui va faire du sens ? Je vous l’ai dit, je pense que c’est la poésie, la beauté, le plaisir de vivre, d’échange. Mais c’est également pour que ça existe, que ça devienne un système économique.

L’agence Fontès travaille sur un projet de résidences hôtelières haut de gamme, Hôtel H. Ici à Oman. « Notre concept s’articule autour de notre admiration pour le lieu et son identité. » Les hôtels combineront écotourisme et tourisme scientifique. Au grand regret de François Fontès, on ne devrait pas trouver de tel projet sur le territoire français où la réglementation l’interdit. D’autres sont cependant prévus en Islande et au Laos. (cf. agence-fontes.fr) © Farid Channaoui / Nicolas Saint-Aime

N’est-ce pas pour cela que vous déléguez parfois la partie architecturale à des confrères ?
Très souvent je le fais. Avec Rudy Ricciotti, Jean Nouvel, etc. Ce qui m’intéresse, c’est de donner l’impulsion. Les choses ne peuvent pas changer comme ça du jour au lendemain. Je crois qu’il faut impulser cette volonté humaine d’aujourd’hui. Autrefois, on cherchait à tout prix à se loger. N’importe quoi qu’on trouvait faisait l’affaire. Mais, aujourd’hui, y compris chez un promoteur social, la qualité a quand même largement changé.
Votre confrère belge, Vincent Callebaut, qui vient de décrocher un programme à Montpellier, est très concerné par l’écologie. Il affirme que l’architecture contemporaine doit se faire métabolique et créative. Qu’en pensez-vous ?
Oui, je suis parfaitement en phase avec ça. Le métabolisme, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que l’architecture est un organisme vivant, voilà. La ville déjà est un organisme vivant. Mais la vie, c’est à la fois assurer des ressources pour la physiologie du corps, et également pour l’esprit, la philosophie. Ce qui fait les relations humaines, ce sont quand même des objets sentimentaux.
On n’y est pas encore, mais on y va ?
Moi, je n’ai pas l’habitude d’encenser les politiques. Quand je suis critique, je suis critique. Je pense que cette volonté qui semble être le cœur de la pensée de Michaël Delafosse [maire-président de Montpellier Métropole – NDLR] et de son équipe municipale, qui est de dire réenchantons la ville, c’est déjà un signe fort.
Ce n’est donc pas une certaine frustration créative qui a fait que vous vous intéressiez au cinéma ?
Ce que j’ai toujours aimé dans la vie, c’est la transversalité, sinon on reste dans une espèce de sécheresse intellectuelle et sentimentale. Ce qui est abominable. L’homme est à la fois un être de raison et un être de sentiment. Ça, c’est la vision nietzschéenne de l’homme apollinien et de l’homme dionysiaque : il faut ce point d’équilibre en convergence entre les deux. Bien sûr qu’il faut de la raison, bien sûr qu’il faut de la programmation, mais il ne faut jamais oublier que l’intelligence est là pour servir l’expression sentimentale des choses. C’est mon avis, peut-être pas partagé par tous.
Avez-vous des tournages en cours ?
Là, je viens de terminer une coproduction avec Nicolas Bedos avec comme acteurs principaux Isabelle Adjani, Pierre Niney… On a terminé le montage, il va sortir en salle prochainement. On attend de voir si Cannes nous le prend. C’est une critique un peu acerbe mais ironique de la société, de la Côte d’Azur.
Vous aviez déjà coproduit un film de Nicolas Bedos…
La belle époque. C’est un grand succès dans les salles avec 1,7 ou 1,8 million d’entrées. Il y a eu aussi I feel good qui était également sympa, avec Kervern et Delépine comme metteurs en scène. Il n’a pas trop mal marché. Je regarde des scénarios. C’est en fonction des scénarios que je m’émerveille et que je me dis si je vais y aller ou pas.
Pour la librairie Sauramps, c’est moins rose…
Oui, Sauramps, c’est compliqué. Parce que Amazone a envahi un petit peu le marché, et [comme pour la reprise en 2009 du magazine Architecture d’aujourd’hui], moi j’aime bien prendre des choses qui sont des chefs-d’œuvre en péril ! Sauramps est un chef-d’œuvre en péril qui date de 1946. C’était un organe culturel fondamental pour la ville et pour la région. Quand j’ai vu comment ça partait, je me suis dit qu’il fallait essayer de sauver le soldat Sauramps. Mais c’est compliqué.
Le projet de la rue Maguelone ?
Le projet de la rue Maguelone a été attaqué par quelqu’un d’indélicat. On a gagné la procédure et on va donc reprendre le dossier. Je souhaite que ce soit un lieu de jeunes, les attirer avec des produits qui ne soient pas uniquement des livres – même s’il y en aura, par exemple beaucoup de mangas. Je voudrais qu’il y ait beaucoup d’objets sur le futur et beaucoup de représentations de ce qu’est notre territoire, peut-être des produits de réalité virtuelle. Tout ce qui sort de novateur dans le monde et qui plaît aux jeunes. Pour reprendre ce mot « réenchanter », j’ai envie de réenchanter la rue Maguelone car elle souffre. C’est un axe important pour aller à la gare Saint-Roch. Alors, en liaison avec le MO.CO [centre d’art contemporain – NDLR] qui est à côté, ça peut être un relais.
Un grand projet architectural avec Jean Nouvel, Rudy Ricciotti ou un-e autre ?
Pas d’actualité directe, mais on a ce grand projet à Istres, à côté de Marseille. Ensemble puisqu’on s’est associés tous les trois Rudy, Jean et moi. Là aussi, on va mettre en place des choses assez novatrices sur le plan des matériaux.
Quel genre ?
On envisage même d’avoir des rues ou des places en terre battue pour être très absorbantes, d’avoir recours à nouveau à l’utilisation de la pierre, beaucoup, peut-être de la terre armée. C’est un peu comme le pisé mais auquel on rajoute des liants hydrauliques et des armatures pour assurer la stabilité. On a la chance d’avoir à Alès une des meilleures écoles de technologie du bâtiment qui est l’École des Mines qui est vraiment fantastique.
Et le conflit à la Philarmonie, c’est réglé ?
C’est réglé. Tout simplement parce qu’on a tout mis à plat et le maître d’ouvrage, mélange de l’État, la Ville de Paris et d’autres collectivités, a accepté d’allouer un budget à Jean Nouvel pour qu’il puisse terminer son œuvre. Toutes les procédures sont donc éteintes, c’était il y a quatre mois.

* Référentiel de la qualité d’usage du logement publié en septembre 2021 et rédigé par MM. Girometti et Leclercq sur commande de l’État.