Cinq jeunes artistes en lien avec l’Occitanie* présentent leurs œuvres à travers différents médiums : Socheata Aing, Salomé Angel, Émilie Franceschin, Suzy Lelièvre et Sam Krack nous donnent à voir des objets brisés, fracturés, emboutis, fragmentés ou recousus… qui, chacun, content le récit d’un monde perdu, cabossé, ou fissuré, donc.

La performance participative de Sochaeta Aing, paradoxalement nommée S’occuper de ses oignons, a déclenché sourires et larmes, en préambule à la visite. Inévitablement, puisque la proposition était littérale : autour d’une table, à l’extérieur du CACN, chacun était invité à éplucher sa part d’oignons pour une soupe. Elle a été préparée plus tard dans la petite cuisine.

Passé le hall de cet ancien centre médico-social, au cœur du quartier Pissevin de Nîmes, plusieurs petites salles s’imbriquent, en effet. L’une d’elles accueille aussi une vidéo de Sochaeta Aing, La main à la pâte qui nourrit le même registre narratif. Elle s’inspire d’une cérémonie cambodgienne où les morts sont commémorés autour d’un repas préparé en commun. Mais pour Sochaeta Aing, un bâtiment abandonné est substitué aux morts et on prélève sa tapisserie en guise de préparatif. À côté de l’écran vidéo, au sol, elle la recompose en éléments d’un festin de papier.

L’installation de Salomé Angel, dans la salle suivante, nous campe un monde passé, à travers un patchwork de tissus posé sur une chaise et, en bande sonore, la voix grésillante de sa grand-mère colombienne. Ses mots sont autant de pixels a priori anodins qui forment pourtant un récit émouvant.

Le plus dur reste à venir est une œuvre entre sculpture et témoignage. Émilie Franceschin saisit dans la glace les vêtements portés lors d’une performance. La sculpture est posée sur un socle et vit sa fonte tout au long de l’exposition. Un geste mémoriel volontairement dérisoire à l’heure du réchauffement climatique.

Sur ses tableaux, Sam Krack présente, lui, les décollements d’un revêtement de sol en linoléum, déformations survenues dans les bas des murs, on le suppose, par des malfaçons. Allégorie de l’anthropocène qui montre comme ce sol industriel se dérobe sous nos pieds ?
La rigueur mathématique des sculptures de Suzy Lelièvre n’y pourra rien, malheureusement ! Dans ce contexte, l’humour et la poésie de ses tables choquées, ses crayons qui se contorsionnent, ce puissant granit qui s’entremêlent… semblent au contraire rappeler l’illusion d’un techno-solutionnisme illimité. C’est toute l’ironie formelle dont joue Suzy Lelièvre et qu’on aime tant !

* en partenariat avec Documents d’artistes Occitanie

Panache

Le titre de l’exposition, un monde fissuré, ne manque pas de résonner à Pissevin-Valdebourg où le CACN est installé depuis 2021. L’actualité quotidienne dans ce quartier en fournit une version très prosaïque, et parfois tragique. Après un temps d’itinérance, c’est au 4, place Roger Bastide que l’association (créée en centre-ville, en 2017) a accroché ses cimaises désormais. Non sans un certain panache.

 

Légendes

Vues de l’exposition :

1 – La performance de Sochaeta Aing.

2 – Les tables choquées de Suzy Lelièvre dialoguent avec les tableaux de Sam Krack.

3 – Émilie Franceschin devant Le plus dur reste à venir.