Façonner ses propres conditions de vie, tel était son credo. Valentine Schlegel (1925-2021) fait partie des figures les plus inventives et polyvalentes du XXe siècle. Sa contribution artistique à l’architecture, à la sculpture et à la céramique fut des plus significatives. Elle est pourtant restée dans l’ombre mais sans jamais chercher la consécration. « Je n’ai pas essayé de faire une œuvre », écrit-elle dans des notes en 1978. Un choix de vie et une volonté d’indépendance qui ont tracé la voie de cette Sétoise de naissance, passée par l’École des beaux-arts de Montpellier. Tout au long de sa carrière, elle a su transformer l’espace domestique en une expérience intime. Une signature bien à elle, à contre-courant de l’époque, entremêlant l’art à son quotidien pour des intérieurs sculptés.

Démiurge de la matière
C’est le caractère inamovible de la plupart de ses conceptions destinées aux particuliers qui a rendu son travail si méconnu. La reconnaissance publique, on la doit à l’artiste-plasticienne Hélène Bertin. Ses recherches démarrées en 2012 l’amènent à lancer une première exposition en 2017 au Centre d’art de Brétigny, accompagnée d’une bio-monographie Je dors, je travaille nourrie de photographies. Une seconde est organisée deux ans plus tard au CRAC de Sète. Des mises en lumière qui n’ont pas manqué de faire grimper la cote de cette artiste hors normes, féministe et lesbienne, qui vivait de sa passion en toute discrétion. De ses premières armes auprès de Jean Vilar dès l’inauguration du Festival d’Avignon en tant que régisseuse-accessoiriste, Valentine Schlegel a bâti son savoir-faire entre Sète et Paris. Car c’est en s’installant dans la capitale qu’elle démarre la céramique, confectionnant des vases biomorphiques, inspirés de la nature et du paysage méditerranéen de son enfance. Elle expérimente ainsi divers matériaux vernaculaires, recréant l’esprit de sa ville natale ; du calcaire de la Camargue à l’ondulation de la mer et des voiles des bateaux de ce joli port de pêche.

Valentine Schlegel assise devant ses caisses à munitions transformées en caisses à outils, Sète, circa 1960

Corps sculpturaux
Son œuvre atteint cependant son apogée dans la réalisation d’une centaine de cheminées en plâtre dont une pour l’appartement de Jeanne Moreau, rue du Faubourg Saint-Honoré. Des paysages mouvants qu’elle imagine comme « l’extension et la dynamisation des murs ». Un concept qu’elle décline en étagères, en tables, en bancs, en lits superposés. L’artiste fait ainsi des objets usuels de véritables « sculptures à vivre », intimement liés à son mode de vie. Parmi ses grandes amitiés émerge Agnès Varda, rencontrée sur les bancs de l’école à Sète. C’est aussi compter sur le couturier Raf Simons, qui contribue à la faire renaître lors d’enchères de sa collection de céramiques, comprenant l’un de ses vases, et d’un défilé haute couture de Dior. Atteinte d’Alzheimer, Valentine Schlegel disparaît le 16 mai 2021 à 96 ans, trois mois après sa compagne Yvonne Brunhammer, ancienne directrice du musée des arts décoratifs à Paris. « J’aime le quotidien exceptionnel », avait-elle écrit dans ses notes. C’est ce qu’elle nous lègue, l’exceptionnel, pour des créations qui capturent l’essence du monde organique par son approche innovante et imaginative.