Peu de chahut malgré l’attroupement inhabituel d’enfants qui s’est formé le 19 octobre dernier devant le musée Cérès Franco, à Montolieu. Parmi eux, les animateurs de l’association One-One de Carcassonne y veillent. Les portes de l’ancienne coopérative viticole du célèbre village du livre de l’Aude sont grandes ouvertes, et outre les jeunes Carcassonnais – c’est mercredi, 15h –, un public relativement nombreux et âgé patiente amusé par l’enthousiasme régnant. Tous sont venus assister à la « visite rappée » de l’exposition Féminin Plurielles par les Nancéiens Lobo El et Cotchei qui les accueillent sur le seuil. Sourires, bienveillance sont au rendez-vous. Le talent aussi.

Réputés maîtres de l’improvisation, les rappeurs Lobo El et Cotchei n’en ont pas moins préparé leur performance. Tandis que l’un vient de lancer l’accompagnement musical idoine sur son smartphone, tous deux, antisèche en main, présentent en rythme et en rimes l’exposition Féminin Plurielles proposée par la curatrice Michela Alessandrini, avant de laisser entrer ce public transgénérationnel. Aux premiers applaudissements nourris succèdent alors quelques explications protocolaires liées à la visite, qui se veut participative, pendant laquelle des volontaires seront invités à choisir les œuvres qu’ils préfèrent. Beaucoup d’index dressés très hauts s’agitent.
Au fil des œuvres ainsi sélectionnées, flows poétiques à propos, improvisations toniques selon le « vibe » qu’elles inspirent, animent la petite foule qui papillonne de tableau en tableau. Lobo El et Cotchei ont aussi leurs coups de cœur. Devant Dearest Art Collector, de Guerrilla Girls (1986), par exemple, le beat de Cotchei illumine les visages et rend aussitôt intelligible le propos ironique de l’œuvre, une affiche en anglais, qui critique la faible représentation des artistes de genre féminin dans les collections. Grâce notamment aux aigus toniques qui ornent ses vibratos finaux – une signature harmonique instantanément reconnaissable –, le rappeur capte toute l’attention de l’auditoire. Avec Lobo El, l’improvisation part plus à la recherche de rimes riches qu’elle trouve et qui font mouche. Jusqu’au bout, l’exercice de style hip-hop du duo est joyeux, brillant et sympathique. La dimension pédagogique de cette médiation culturelle originale atteint au final pleinement ses objectifs : outre ceux d’une mixité sociale, territoriale, artistique réussie… celui d’un vrai moment de bonheur partagé.


La collection d’art brut

L’exposition Féminin Plurielles clôt un cycle de huit années d’expositions, de conférences, de rencontres de personnalités du monde de l’art, autour de la Collection Cérès Franco. La coopérative-musée éponyme a en effet fermé ses portes le 30 octobre 2022 pour trois années de travaux. Ouverte depuis 2015 à Montolieu, le lieu d’art a pris ses marques dans le paysage culturel de la région grâce aux soutiens institutionnels tels que Carcassonne Agglo, le Département de l’Aude, la Région Occitanie, la DRAC… Sa création est le fruit d’une amitié entre Henri Foch, son propriétaire et mécène, Cérès Franco et sa fille Dominique Polad-Hardouin. La galeriste et collectionneuse franco-brésilienne décédée à Toulouse en novembre 2021 avait souhaité faire don de sa collection à une commune de l’Aude. C’est ainsi que près de 1700 œuvres d’art brut des années 60 à 2000 ont été confiées à l’association pour la valorisation de la collection Cérès Franco. Dirigée par Cecilia Metteucci, l’équipe a engagé une procédure afin d’obtenir le label Musée de France. Les travaux d’agrandissement et de rénovation ont été confiés au cabinet Passelac & Roques, qui a été associé à RCR arquitectes pour le projet du musée Soulages à Rodez.


Balayer les idées reçues

À l’initiative du projet « De la rue au musée », l’association One-One qui œuvre pour le développement des cultures urbaines dans l’Aude et les départements voisins ; des passionnés du mouvement hip-hop, danse, graffiti, rap, beat box… qui tentent avec succès de « balayer les idées reçues autour de ces disciplines et de ceux qui les pratiquent ». Fort de valeurs telles que « Peace, Unity, Love and Having fun » (« Paix, Unité, Amour et Prendre du plaisir »), le mouvement hip-hop favorise la mixité, la diversité et donc la cohésion sociale. Au travers de cette culture, One-One a vocation de transmettre ces valeurs.

 

Lobo El et Cotchei devant l’œuvre de Guerrilla Girls.

Le public se faufile à travers The Breathe – Zone of Nowhere, de Kimsooja.

Les enfants de l’association One-One jouent à chi-fou-mi pour décrocher une participation à la performance des rappeurs.