
En mai 2023, Maurice Lévy, président d’honneur de Publicis, lance avec son fils Stéphane, une plateforme numérique artistique, YourArt, financée par une levée de fonds de 9 millions d’euros et boostée à l’intelligence artificielle. Collectionneur, l’ancien publicitaire, qui fut président du Palais de Tokyo à Paris, affiche de larges ambitions : démocratiser l’art en le rendant accessible au plus grand nombre, et offrir aux artistes une visibilité internationale. À peine vingt mois plus tard, il signe l’acquisition d’ArtMajeur, site marchand et galerie d’art en ligne montpellierain. D’ici l’été prochain, les deux structures auront totalement fusionné, donnant naissance à ArtMajeur by YourArt, mastodonte numérique qui ambitionne déjà de s’imposer parmi les premiers acteurs planétaires. Entretien avec Laurence Bonicalzi-Bridier, CEO de YourArt.
Alors que la concurrence est déjà rude sur le marché de l’art en ligne avec Artsper, Singular, Artsy…, pourquoi Maurice Lévy et son fils ont-ils souhaité lancer le projet YourArt ?
Maurice Lévy avait cette idée depuis des années, après la lecture d’un rapport estimant qu’un grand nombre d’artistes émergents n’étaient pas représentés et n’avaient pas les moyens de faire connaître leur pratique artistique. Son fils centralien Stéphane et Jonas Botbol, diplômé de polytechnique, ont allié leur expertise pour élaborer une plateforme dotée de nouvelles technologies au service de tous les artistes, sans sélection ni jugement à l’entrée.
En décembre dernier, YourArt a acquis ArtMajeur, plateforme lancée à Montpellier par Samuel Charmetant et Yann Sarazin. Pour quelles raisons ?
Nous souhaitions aller à l’international. En place depuis vingt-deux ans, ArtMajeur opère dans soixante-dix-huit pays avec une markeplace robuste qui a éprouvé des solutions comme les certificats d’authentification, le transport… autant d’outils qui vont nous faire gagner du temps. De son côté, YourArt offre son savoir-faire en matière d’intelligence artificielle mais aussi de 3D ou 4D. Cette puissance va nous permettre de devenir le premier acteur mondial avec plus de 3,6 millions d’œuvres, 130 000 artistes et 700 galeries.

Quel rôle joue l’IA dans la plateforme ?
Sur YourArt, la première couche de l’IA était pour les recherches sémantiques et visuelles ou encore les contextualisations de l’histoire de l’art. Mais l’an dernier, une étape a été franchie avec Iris qui fait fonction de guide pour les amateurs d’art, et d’assistant pour les artistes : Iris aide à écrire leurs bios, leurs références et peut même stimuler leur créativité. Sa capacité d’application objective et clinique est sa grande force. Sur le tiers des artistes qui l’ont testée, 70 % se sont montrés satisfaits, particulièrement sur les propositions de documentation de référence (analyses de l’œuvre) qui viennent nourrir le paysage artistique et la pratique : trouver le nom des œuvres, répondre à un appel à projet, raconter sa démarche. Les avis sont plus partagés sur la stimulation de la créativité.
Des questionnements quasi philosophiques…
L’IA est une révolution pour l’Art ! Un changement radical d’approche, à condition bien sûr de protéger les artistes et leurs créations, l’ensemble des données restant leur entière propriété (contrat avec l’ADAGP- société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques – NDLR). Il y a trois ans, il était question de metavers, de crypto art, mais le grand public n’a pas suivi. Là, c’est différent car l’IA ouvre une porte d’entrée sur l’art : j’insiste sur le fait que cela va permettre à tous ceux qui n’ont pas les codes de trouver des œuvres ou de dialoguer avec des artistes. Cette notion d’accessibilité continuera d’être essentielle pour ArtMajeur by YourArt.

Quel est votre modèle économique ?
Il repose sur deux piliers : un abonnement pour les artistes et galeries de 10 à 15 euros par mois selon les fonctionnalités IA et services choisis, et une commission sur les ventes de l’ordre de 10 à 30 %.
Vous annoncez 130 000 artistes. Mais comment justement les amateurs peuvent-ils se retrouver dans ce dédale artistique ?
Nous avons fait en sorte que les technologies et les curateurs aident à se repérer dans la plateforme. Nous proposons ainsi des curations hebdomadaires avec des experts du marché de l’art, l’IA s’occupe des tris, filtres… et en parallèle, nous générons du contenu attractif. Nous travaillons sur la messagerie en chat pour dialoguer, sur un fil d’actu encore plus nourri et sur la 3D et 4D avec une déambulation guidée dans une galerie virtuelle. Nous sommes à la fois une marketplace, un réseau social et un média.
Reste qu’il y a art et art. Où est l’émotion dans tout ça ?
Ce n’est pas du tout antinomique. Ne pas voir une œuvre dans sa réalité n’est pas un frein, je dirais que ce n’est même pas le sujet. Aujourd’hui, lorsque vous habitez au fin fond de la Corrèze, il n’y a pas de galeries ; nous offrons une autre manière d’accéder à l’art. La crise sanitaire a été un catalyseur important et a permis de lever les freins et les réticences des acheteurs. Selon le dernier rapport Hiscox sur le marché de l’art en ligne, 78 % des collectionneurs d’art déclarent avoir acheté des œuvres en ligne contre 38 % seulement en 2013. Même les grands collectionneurs, qui achètent d’habitude en galerie ou sur des foires, commencent à s’y mettre. À l’instar du marché du design en ligne, qui a explosé, j’espère que le marché de l’art en ligne représentera très prochainement la moitié des ventes.