Nul besoin d’être gamer pour être immergé littéralement dans « Knit’s Island, l’île sans fin », documentaire ovni réalisé à Montpellier par trois copains – Ekiem Barbier, Guilhem Causse et Quentin L’Helgouac’h.
Explorant le terrain du jeu vidéo comme contexte à la réalisation d’un documentaire, les réalisateurs, ou plutôt leurs avatars, s’embarquent dans un monde postapocalyptique infesté de zombies. Objectif ? Rencontrer des joueurs et les interroger sur leurs relations au monde virtuel.
Sans aucun temps mort, les documentaristes cavalent et déambulent dans un décor qui adopte les codes du jeu vidéo (gestuelle saccadée des joueurs…), mais emprunte des éléments de langage cinématographique (travelling, plans longs). Les références sont nombreuses, on pense à Ready Player One de Spielberg, à l’univers de Terrence Malick, aux frères Coen. Les images sont léchées, l’esthétique irradiante, rythmée de moments poétiques, contemplatifs voire mélancoliques.
Mais l’ambiance reste glaçante et la galerie de personnages rencontrés passionnante : une psychopathe cannibale qui dégaine plus vite que son ombre, un révérend aux allures de cow-boy qui devise avec sagesse… Entre virtuel et réalité, un joueur évoque sa solitude contemporaine exacerbée par la crise sanitaire « je ne suis pas sorti de chez moi depuis 20 jours, je me perds dans les forêts numériques » tandis qu’un autre philosophe : « On ne sait jamais où s’arrête notre part d’ombre avant d’avoir dominé quelques personnes, c’est une expérience sociologique et c’est aussi réel qu’on veut bien le croire. On influence l’histoire autant qu’on veut mais quand les masques tombent, il ne reste que la réalité. » Quant à Marco et Slug, amoureux dans la « vraie » vie, ils jouent ensemble mais font tout pour maintenir leur enfant à l’écart des jeux vidéo.
Univers parallèle, point de jonction entre deux mondes, Knit’s Island est une expérience bouleversante à tous les niveaux, plein cadre ou hors champ. « Je suis sidéré par cette prouesse visuelle qui a également la capacité à susciter des textes littéraires. Faisant preuve d’une audace narrative et technique, les réalisateurs sont véritablement pionniers dans leur approche », commente admiratif Karim Ghiyati, directeur d’Occitanie Films.
Soutenu par la Région et la Métropole de Montpellier, Knit’s Island, l’île sans fin est sorti au cinéma en avril dernier. Il a été projeté dans une centaine de festivals dans le monde où il a reçu 14 prix et est en salles au Japon. Une vingtaine de projections sont encore programmées en région Occitanie en novembre dans le cadre du Mois du documentaire. (liste sur artdeville.fr/agend’Oc)

Interview

Boris Garavini, producteur de Knit’s Island

Parlez-nous de la genèse de votre maison de production Les Films Invisibles (créée en 2014 et implantée à Alès – NDLR).
Originaire de Montpellier, j’ai suivi l’option Cinéma au lycée d’Alès où j’ai rencontré une bande de copains qui allaient devenir mes collaborateurs. Entre-temps je suis parti au Canada, en République tchèque, aux Philippines… mais l’idée de faire du cinéma me taraudait. J’avais réalisé un premier film Manille, évoquant les différentes influences de l’identité des Philippins : du coup, avec mes amis (cinq associés), nous nous en sommes servis pour lancer notre maison de production et demander les premières aides.

Comment avez-vous rencontré les réalisateurs de Knit’s island ?
Notre équipe est animée par l’envie de traiter des sujets ayant trait à l’ethnobotanique, l’anthropologie, les rapports à l’environnement, aux nouvelles technologies… En 2017, nous avons produit pour Arte une mini-série documentaire « Chroniques végétales » puis j’ai découvert Marlow Drive, premier court-métrage de ces trois étudiants qui étaient aux Beaux-Arts de Montpellier. J’ai été époustouflé de voir un documentaire porté à l’écran dans un monde virtuel. J’ai pris contact avec eux et nous nous sommes lancés.

Quel a été le ressort de ce projet ?
Les gamers sont souvent vus comme des nerds (personnes extrêmement incompétentes socialement et généralement intelligentes – NDLR) n’ayant aucune vie personnelle. Pour autant, la pratique de jeux vidéo est hypergénérationnelle, j’aimais bien cette idée de ne pas porter de jugement, d’être sans a priori et de pouvoir rencontrer une communauté internationale.

Quelles ont été les difficultés ?
Le film a mis cinq ans à se monter. Le projet a été compliqué à financer car nous étions sur un terrain qui n’avait jamais été défriché : il a fallu comprendre comment filmer dans un jeu, puis se sont posées des questions juridiques. Il fallait acquérir les droits d’un éditeur de jeu, ce qui n’a pas été facile, mais nous avons fini par obtenir l’accord de l’éditeur tchèque de DayZ (jeu vidéo sorti en 2013 – NDLR). Les trois réalisateurs ont passé 1 200 heures dans le jeu, soit neuf mois de tournage et quelques 120 heures de rush. Au final le film a coûté environ 200 000 euros. L’expérience a été bouleversante.