Depuis plus de vingt ans, la compagnie franco-catalane Baro d’evel (Grand dieu ! en manouche) qui a choisi de s’implanter en région toulousaine ne cesse de nous surprendre. Elle tourne depuis octobre à travers la France et l’Europe avec trois spectacles : « Là », « Falaise » et « La Cachette ». Une spectatrice rencontrée à la sortie de leur spectacle « La Cachette » et qui les suit depuis leur début a trouvé les mots justes pour parler de leurs créations : « Avec Baro d’evel, chaque spectacle est un cadeau », rit-elle, avec une certaine connivence, comme on s’adresse à une amie. Inconnues jusqu’ici mais unies pour avoir traversé ensemble ce moment de poésie intense et fragile. Il n’y avait qu’à voir, ce 8 janvier au théâtre Daniel Sorano, à Toulouse, le public se lever comme un seul homme et applaudir à tout rompre pour comprendre que quelque chose d’autre s’était joué : l’instant Baro d’evel !

Ce baiser, qu’ils échangent
Dans leur maison baignée de soleil, autour d’un thé, Camille Decourtye et Blai Mateu Trias, les fondateurs de la compagnie, racontent comment ils inventent leurs spectacles où se mêlent le théâtre, la danse, le chant, comment ils cherchent l’équilibre entre toutes ces disciplines. Un art total brut, abstrait, rythmé. Et ce baiser, qu’ils échangent de longues minutes dans leur spectacle « La Cachette » pendant qu’ils se contorsionnent, roulent l’un sur l’autre, se déplacent en dansant sans jamais que leurs lèvres ne se séparent, combien de temps dure-t-il ? « Je ne sais pas, il y en a eu d’encore plus longs dans d’autres spectacles », précise Blai en riant. Car chez les Decourtye-Mateu, les spectacles naissent les uns des autres « comme un prolongement ou un pas de côté », enchaîne Camille. Des spectacles qui posent la question de notre rapport au monde, à l’autre, à l’art, où le corps parle souvent à la place des mots, où le rire s’invite. « On touche par moments à la tragédie et au désespoir, mais on utilise beaucoup l’humour pour éviter une forme de complaisance avec soi-même », poursuit Blai. Quel étonnement d’apprendre qu’une de « leur référence cinématographique est le cinéaste hongrois Béla Tarr ». Si noir, si sombre mais dont les images sont d’une splendeur visuelle inouïe.
Camille Decourtye et Blai Mateu Trias prennent trop soin des autres pour expédier les spectateurs dans un univers aussi tragique que celui de Béla Tarr. Eux revendiquent la tendresse, ce sentiment perçu comme désuet et qu’ils mettent en avant. De la tendresse il en faut pour jouer sur scène, comme ils le font, avec des animaux comme Gus le corbeau pie qui partage leur vie depuis huit ans, des pigeons damascènes qui s’envolent pendant les spectacles ou un beau cheval blanc. « Nous avons adopté ces animaux, nous vivons avec eux. Ils sont intégrés à la pièce comme le serait un enfant », précise Camille. Une présence qui demande d’être constamment sur le qui-vive, ouverts.

L’utopie de trimballer une troupe
Camille et Blai se sont connus en 1996 au Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne (Marne) et, depuis, partagent leur vie à la ville comme sous le chapiteau. Elle a passé son enfance auprès des chevaux, a fait des voyages en roulotte, sa famille pratiquait aussi l’équithérapie avec des enfants en souffrance. Lui est catalan, a grandi dans les courants artistiques post-franco et vient d’une famille de clowns. Son père Jaume Mateu Bullich, dit Tortell Poltrona, fonde l’ONG Payasos sin fronteras (clowns sans frontières) et intervient dans des zones déshéritées et auprès de populations bouleversées par la guerre : camps de réfugiés au Liban, Bosnie…
Avec leur troupe d’une quarantaine de personnes et leurs deux filles, Camille et Blai ont parcouru les routes de France, Espagne, Portugal ou Belgique pendant plus de dix ans avec notamment leur spectacle « Bestias » joué sous chapiteau. « L’utopie de trimballer une troupe sur les routes est un rêve commun qu’on portait de nos familles », ajoute Blai. Un jour, ils ont eu envie de poser leur immense travail dans un magnifique livre Les Beaux Gestes, riche de photos de spectacles, d’interviews et de textes. « Faire monde, former des mondes faits d’écoute et d’attention extrêmes… une manière de se tenir au bord, sur le bord, prêt à l’inattendu, prêt à l’inachevé, prêt à ce qui échappe, toujours, et célébrer la tendresse, cette qualité de tendresse. »

Baro d’evel
La Bourdasse
31310 Gensac-sur-Garonne
Dates de la tournée sur : barodevel.com