
Non, le conseil départemental de Haute-Garonne n’a pas amputé 50 % de son budget alloué à la Culture, contrairement à ce que l’article de Libération affirmait le 28 janvier dernier. Certes, l’erreur a été rectifiée le soir même à 22 heures, mais « elle a été largement reprise entre-temps par d’autres médias et réseaux sociaux », regrette-t-on au service presse du Département. Eh non, le conseil départemental de l’Hérault (CD34) ne coupe pas « 100 % du budget alloué à la Culture », comme l’a pourtant maintenu le quotidien national. M. Mesquida, président du CD34 avait pourtant rectifié lui-même, dès le lendemain. Tous les financements obligatoires, dans le cadre de la nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe), seront maintenus ainsi que 2 M€ consacrés à Hérault Culture, non obligatoire.
Reste l’émotion provoquée par cette annonce, aussi brutale qu’inattendue de la part d’un exécutif socialiste, qui porte tout de même sur 48 % de baisses, soit 5 à 6 M€.
Une étonnante obstination
Mais on ne prête qu’aux riches – façon de parler. Le président Mesquida n’en serait ainsi pas à sa première ponction brutale sur les ressources de la Culture. Si les subventions à Hérault culture sont maintenues, elles auront toutefois été amputées de 1 M€ depuis l’inauguration du domaine départemental de Bayssan, à Béziers, dont Hérault Culture assure la gestion. En plusieurs coupes, passant de 3 M€ en 2021 à 2,6 m en 2022, 2,2 M en 2024, jusqu’à 2 M pour 2025. Cette année, « le 8e symposium de la sculpture sur marbre n’aura pas lieu », annonce le domaine de Bayssan à artdeville.
En avril 2024 et de manière tout aussi brutale qu’inattendue, M. Mesquida a également annoncé la fin du prêt gratuit par le CD34 de son matériel scénique. Ce qui n’a pas manqué de provoquer la stupeur et une vive inquiétude auprès des associations et organisateurs de festivals qui en bénéficiaient. Juste à la veille de la saison estivale ; le coup fut violent. Raison invoquée : des loueurs privés auraient menacé le Département de procès pour concurrence déloyale. Elle n’a guère convaincu. Face au tollé, la décision a finalement été décalée au mois d’octobre 2024, soit après la période des festivals. Entre-temps, une solution a été trouvée : le matériel a été mis à la disposition des intercommunalités héraultaises. Question : pourquoi cette concertation n’a-t-elle pas été menée avant ? L’épisode a, quoi qu’il en soit, laissé des traces.

Comme en 2016, l’épisode du transfert de la compétence Culture du Département au bénéfice de la Métropole. En dépit de la loi NOTRe qui exigeait ce transfert, M. Mesquida avait refusé de maintenir les financements que le Département allouait jusqu’alors au domaine d’O et au Printemps des comédiens, notamment. Or, la loi l’y obligeait, ce que le président du CD34 ignorait… alors qu’il était lui-même député et l’avait votée. « La loi ne nous permettra plus d’intervenir. […] Peut-être que certains vont disparaître », prophétisait-il froidement dans Midi Libre à propos des festivals (30/03/2016). Par cette étonnante obstination, Kléber Mesquida avait, sans ciller, plongé les équipes et personnels concernés dans un véritable désarroi pendant neufs longs mois, victimes collatérales d’une rivalité, en réalité, strictement politicienne. Comme l’a rappelé à artdeville un acteur de premier plan de la séquence, pour le président-maire de Montpellier Métropole d’alors, Philippe Saurel, ce transfert de compétences représentait, certes, « une manière de contrer » son futur adversaire aux élections municipales, Michaël Delafosse. À l’époque vice-président aux finances du Département et président de l’EPIC du Domaine d’O, M. Delafosse se trouvait ainsi privé de « l’excellent relais médiatique que représente la Culture. » Quoi qu’il en soit, le transfert a finalement été signé comme s’il en était toujours allé de soi, au domaine d’O, devant une assistance médusée. Preuve s’il en fallait une du caractère insensé de la séquence, M. Delafosse, même privé de la gestion du domaine d’O, a tout de même détrôné son rival, M. Saurel, lors des élections municipales de 2020.
Absence de direction
Mais Kléber Mesquida, a la rancune tenace. « Il reste furieux d’avoir dû céder ; le nœud du problème est là. C’est le coup de pied de l’âne. Sur un budget de 1,8 Md€, 6 millions de subventions, c’est peanuts ! » analyse un fin connaisseur PS de la politique culturelle locale. « Il a une vision politique à l’ancienne : “je paie, je décide“. Mais ça n’a pas de sens ! ». La convention de transfert, qui devait régir le nouveau fonctionnement du domaine départemental d’O, a ainsi été rédigée de mauvais gré et n’inclut pas, par exemple, le théâtre d’O. Alors qu’il servait aux compagnies locales de lieu de création jusqu’en 2023, son autorisation d’occupation n’a pas été renouvelée. « On leur a confisqué, c’est scandaleux ! » s’insurge Jean-Claude Fall, ex-président domaine du domaine d’O, interrogé par artdeville. Pour les festivals (Saperlipopette, Printemps des comédiens, Folies lyriques, Montpellier danse, Radio France, Nuits d’O, Arabesques…), pour qui le même type de convention doit être signée annulement, c’est une épée de Damoclès. La logique de ce transfert est « une cote mal taillée, source de conflits », regrette-t-on, en coulisses. « Indisponible cette semaine», M. Mesquida n’a pas pu donner suite à notre demande d’interview.

Et de fait, le milieu culturel héraultais continue de souffrir de ces déstabilisations et mises en tension récurrentes. La programmation d’automne de la saison 2024/25 du domaine d’O a d’ailleurs été annulée, à cause d’un « contexte budgétaire tendu ». La gestion antérieure de l’établissement culturel par son directeur d’alors, Thierry Négrou, ex-directeur de cabinet de M. Mesquida, se trouve de fait questionnée. Nommé en 2021 sans appel à candidatures (1), il a dû quitter ce poste deux ans après. En juin 2022, le comité social et économique (CSE) de l’EPIC, l’instance de représentation du personnel, avait « alert[é] sur la souffrance au travail grandissante au domaine d’O […] Les salariés n’ont plus d’espoir de relation de confiance réciproque avec la direction ». S’ensuivaient une douzaine de points accablants sur la gestion du Domaine. En substance : « absence de direction cohérente ; mépris des compétences en présence ; absence de structuration des projets ; manque de visibilité sur l’organisation générale de l’EPIC ; absence d’étude d’impact des activités qui s’ajoutent au fil de l’eau telles que La Comédie du Livre, Les Estivales, la ZAT [voir encadré] ; manque de moyens qui peut engendrer des risques pour les salariés comme pour le public, risques matériel et humain, risques psychologiques et corporels ; absence de directeur artistique… »
Adressée par mail à leur président, M. Fall, nommé également par M. Delafosse en 2021, cette alerte n’a pas surpris l’homme de théâtre. Ces « problèmes de gestion » étaient déjà source de « désaccords » entre lui et M. Négrou. Bilan : d’un excédent de près de 245 000 euros à la prise de poste de M. Négrou, les finances du Domaine d’O ont plongé jusqu’à un déficit de – 600 000.
L’ancien directeur nie cependant toute responsabilité. Joint par téléphone par artdeville, il a écourté très vite la conversation : « Je ne vois pas pourquoi vous me posez ces questions ; j’ai quitté la direction du domaine d’O en novembre 2023. Après, il y a eu d’autres directeurs. Les chiffres que vous me citez, je ne les connais pas. »
Mauvaise relation
Alors qu’est désormais officiellement à flots (depuis le 1er janvier) le nouvel établissement public de coopération culturel qui a uni le Domaine d’O au Printemps des comédiens pour former la Cité européenne du théâtre et des arts associés, c’est la gestion du Printemps des comédiens qui se trouve sur le gril. Depuis janvier 2025, la Cour des comptes y enquête, saisie par le CD34. Un déficit important plomberait aussi les finances de l’association. Son président, M. Varéla, également nommé directeur artistique du domaine d’O après l’alerte de la CSE, se serait-il laissé griser par l’ambitieuse perspective de la création de cette Cité européenne du théâtre ou bien payerait-il de sa mauvaise relation avec M. Négrou ? Contacté, M. Varéla n’a pas souhaité répondre à nos questions.
«Quand les informations sont floues et les relations interpersonnelles difficiles, tout est plus compliqué », plaide en défense M. Fall, très respectueux du « travail remarquable » de son alter ego.

Depuis la publication de l’article de Libération, Sandrine Mini, directrice du théâtre de Sète est sollicitée de toute part. Également déléguée régionale du syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, elle tire partout la sonnette d’alarme : « Jamais nous n’avons reçu autant d’appels au secours de la part des techniciens. Un sur trois risque de perdre son régime d’intermittent », répète-t-elle à artdeville. Quant aux projets, ils sont au point mort, « tout le monde se met en prudence ». La sombre ironie, pointe-t-elle, c’est que « ces personnes-là se retrouveront au RSA », un revenu de solidarité financé par le Département. « On a toujours été en baisse, on a toujours fait des pas de côté. Mais là, on est à l’os ! »
Au domaine de Bayssan, après la nouvelle baisse de 2024, « tout ce qui n’était pas signé a dû être reporté. Faire du bâti ne suffit pas à faire un projet », tacle Sandrine Mini à propos notamment des financements importants (10 M€) engagés par M. Mesquida pour la création en dur de ce qui était alors Sortie Ouest. Les chapiteaux du centre culturel départemental avaient été « achetés d’occasion et la subvention était à l’époque de 800 000 euros. Le choix avait été de mettre plutôt le paquet sur la programmation. Il n’y avait que sept personnes et ça marchait très bien », corrobore l’un des membres de l’ex-équipe Sortie Ouest. « Aujourd’hui, ils sont une vingtaine ; les charges de fonctionnement ne sont plus les mêmes. Et l’amphithéâtre extérieur coûte cher en montage et démontage. »
Une défaite de la pensée
Dans un communiqué, le Synptac-CGT fait part de sa grande inquiétude, mais aussi de sa colère : « La violence et la brutalité d’une telle décision génèrent une frayeur pour tous les défenseurs d’une politique culturelle au service de tous et toutes. » Pour le syndicat national des arts vivants (Synavi), « priver le public héraultais de spectacles » vivants par cette baisse constituerait « une défaite de la pensée » et le sacrifice d‘« un rempart majeur contre la radicalisation des esprits ». Tous restent néanmoins accrochés à une lueur d’espoir. Kléber Mesquida n’a-t-il pas lui-même paru rétropédaler dans un article du journal Le Monde du 7 février : « Les différents scénarios évoqués ces derniers jours ne sont que des projections, des hypothèses, voire des rumeurs. » Jusqu’à la réunion plénière de l’assemblée du conseil départemental de l’Hérault portant sur le budget, fin mars, où l’on saura si ces coupes annoncées sont finalement votées, les acteurs du spectacle vivant restent toutefois mobilisés.
Dans la sphère départementale, on confirmait être à la recherche d’autres pistes. « On essaie de voir avec les différents services ce qui peut être fait », tentait-on par exemple de se rassurer mi-février, à Hérault Culture. Dont le directeur, au Département, est donc Thierry Négrou, depuis février 2024.
NB Par peur de représailles, beaucoup de nos interlocuteurs ont préféré garder l’anonymat.
1 Même si ce n’est pas une obligation légale, de nombreux EPIC procéderaient cependant à un appel à candidatures pour garantir la transparence du recrutement et attirer les meilleurs profils. À Montpellier, c’est uniquement « pour les directeurs artistiques » affirme M. Delafosse questionné par artdeville.
Une troublante convention
Artdeville a pu consulter une « convention de partenariat de coproduction » entre la Ville de Montpellier et le domaine d’O pour l’organisation de la ZAT 2022, une manifestation culturelle organisée directement par la Ville depuis 2009. Cette convention donne corps à la mise en garde du comité social et économique (CSE) qui, mandaté par les salariés du domaine d’O, alertait leur hiérarchie sur l’« absence d’étude d’impact des activités qui s’ajoutent au fil de l’eau telle que […] la ZAT ». Cette convention définit les obligations de chaque partie « avec un engagement financier de 250 000 euros pour chacune ». Le domaine d’O s’engage à prendre en charge « la régie générale de la manifestation », mais aussi à participer à la coordination générale, la scénographie, la signalétique, les espaces d’accueil, la direction technique et l’accueil du public. Quant à la Ville, elle s’engage à prendre en charge le volet artistique, la scénographie, le suivi et la production des projets artistiques et culturels, ainsi que tous les éléments de communication. « Une confusion des rôles bizarre et une charge supplémentaire qui n’a pas été anticipée. Et est-ce la mission du domaine d’O de devenir le prestataire de services d’une manifestation de la mairie ? » s’interroge-t-on en interne. Une somme, en tout cas, qui a sans doute manqué pour financer le début de sa saison 2024/25, annulée.
Autre élément troublant, cette convention n’est ratifiée que par un seul signataire : M. Delafosse, en tant que maire-président de Montpellier Métropole (selon l’en-tête) et nouveau président du domaine d’O – il en a pris la fonction suite à l’alerte de CSE. Interrogé par artdeville en conférence de presse (18/02/25), M. Delafosse s’est offusqué : « Vous accusez la Ville de voler le domaine d’O ? » Peu avant, M. Delafosse avait annoncé notamment « mettre en place un fonds de soutien de 250 000 euros » consacrés à la Culture. « Ce fonds aura pour vocation de venir en soutien aux structures mises en difficulté par ce contexte. » Le maire faisait ici référence aux baisses des subventions annoncées au niveau national et héraultais. Alors qu’artdeville lui demandait si ces 250 000 euros seraient suffisants pour combler la dette du domaine d’O, M. Delafosse a déclaré avoir déjà doté l’EPIC « d’avances de trésorerie », sans en indiquer le montant. Le déficit serait aujourd’hui « de 400 000 euros ». Mais pourquoi déshabiller Pierre pour habiller Paul ? Le maire-président n’a pas répondu. En 2022, la ZAT qui par deux fois au moins a été associée à des opérations de communication de la Ville – comme lors de l’inauguration de la nouvelle mairie, en 2011, et lors de l’inauguration du MO.CO en 2019 – aurait ainsi disposé de 250 000 euros de la part du domaine d’O, de ses ressources humaines et techniques, en plus, selon M. Delafosse, des 500 000 habituels. Sa réponse était toutefois confuse.
Ré-enchanter le travail culturel
Une journée d’étude est organisée le 25 mars prochain à Montpellier : « Ré-enchanter le travail culturel : qualité de vie et des conditions de travail, éthique et transitions ».
« Le secteur culturel et artistique est aujourd’hui confronté à de multiples risques économiques et psychosociaux. Cette journée d’étude propose une réflexion collective sur nos pratiques, la durabilité et l’écologie des métiers de la Culture. Organisée par l’ARDEC et Bifurques, cette rencontre est destinée aux artistes, porteurs de projets, entrepreneurs culturels, bénévoles, étudiants et jeunes diplômés. Au programme : conférences, tables rondes et ateliers participatifs pour questionner les transformations du travail, le management responsable et le rôle de la QVCT comme indicateur de changement. »
Renseignements et inscriptions : www.lardec.fr
« Renforcer le financement des associations : une urgence démocratique »
«Face à la baisse des subventions, le CESE lance l’alerte », titre le conseil économique, social et environnemental pour présenter son avis du 28 mai 2024, « Renforcer le financement des associations : une urgence démocratique ». L’avis, voté à l’unanimité, dit notamment ceci : «Entre 2005 et 2020, la part des subventions a baissé de 41 % dans le budget des associations au profit de logiques marchandes. Ces évolutions contribuent à fragiliser l’équilibre économique des associations et pèsent sur la pérennité de certaines. Ces changements structurels se traduisent aussi et surtout par une perte de sens et une invisibilisation de ce qui caractérise l’association, notamment le non-lucratif et l’intérêt général, pouvant entraîner à terme un risque élevé de dégradation de la vie démocratique… » Dans cet avis, le CESE formule des recommandations dont la première est d’« accroître le soutien financier des pouvoirs publics aux associations et prioriser la subvention en préservant celles-ci des règles de la concurrence. En second point, le Conseil préconise de « favoriser de nouvelles formes de financement et de soutien » et, en troisième point, de « rétablir la confiance et réformer la gouvernance ». Sur cette dernière recommandation, « la co-construction des conventions pluriannuelles entre pouvoirs publics et associations est nécessaire pour renforcer la confiance dans une optique de valorisation des associations “pour ce qu’elles sont et non pour ce qu’elles font“ », il apparaît plus essentiel que jamais au CESE de mettre en place des instances nationales et territoriales à gouvernance mixte, pour l’évaluation et le financement des associations.