Photographe, écrivain, historien et critique de la photographie, il a accroché aux murs de ce bâtiment vénérable de l’esplanade outre les photos des plus grands photographes, une renommée internationale.
Interview.
Lorsque, en 2010 vous avez été nommé à la direction artistique du Pavillon populaire, quelle était votre feuille de route ?
Elle était très simple : Michaël Delafosse, qui était alors adjoint à la Culture, voulait donner une dimension internationale tant par la qualité des expos que par leur rythme – trois fois par an –, tout en maintenant une gratuité totale, de manière que le Pavillon soit vraiment un lieu populaire. De mon côté, j’ai demandé une liberté totale pour tenir ma ligne éditoriale qui était double : monter des expositions en avant-premières mondiales et de qualité ultra-professionnelle.
Après avoir été, de 1999 à 2001, directeur artistique des Rencontres de la photographie à Arles, comment vous êtes-vous inscrit dans ce nouveau lieu ?
D’abord, la municipalité m’a toujours soutenu et donné tous les moyens techniques et économiques nécessaires pour mener une programmation d’envergure. Mes équipes ont fait un travail remarquable et m’ont permis de faire des expositions exigeantes tout en attirant un large public grâce à une approche pédagogique la plus forte possible : un livret gratuit d’aide à la visite et catalogue international pour chaque exposition, et des médiateurs, formés par les commissaires d’exposition, capables d’accueillir privés ou scolaires. Ce sont des éléments primordiaux dans l’approche du Pavillon, en respectant cela, je suis arrivé à un équilibre satisfaisant.
Avec un rôle de passeur, terme que vous reprenez d’ailleurs souvent…
Lorsque j’ai monté l’exposition I am a Man (photographies et luttes pour les droits civiques dans le sud des États-Unis), qui tourne encore, cela me paraissait un devoir politique et intellectuel. De la même façon, lorsque j’ai présenté Heinrich Hoffman, le photographe personnel d’Hitler, c’était une façon d’attirer l’attention du public, et en particulier des scolaires, sur la mainmise de la propagande par le biais de la photographie. Les expositions doivent avoir une résonance politique et historique, sinon ce n’est pas la peine, c’est de la décoration ou de l’évènementiel.
Peter Lindberg, Linda Mc Cartney, Brassaï… ont battu des records de fréquentation. En décembre 2022, le Pavillon populaire a accueilli son millionième visiteur. Qu’est-ce que cela vous inspire aujourd’hui ?
La fréquentation du Pavillon a toujours été stable, entre 30 000 et 55 000 visiteurs. Nous avons eu parfois des surprises comme pour l’exposition Germaine Tillion et Thérèse Rivière qui a battu des records. Mais sur la quarantaine d’expos, aucune n’a été inutile. Il y a tellement de photographes talentueux qui ont été négligés, oubliés. Je pense à William Gednay ou à Aaron Siskind, une de mes premières expos où le New York Times a écrit : pourquoi faut-il que cet artiste, l’un des plus grands, soit redécouvert au Pavillon populaire ? Pour Brassaï, qui me fait vibrer depuis mon adolescence, j’ai adoré pouvoir montrer son travail aux USA, cela n’avait jamais été fait auparavant.
Malgré les différentes personnalités de photographes que vous avez exposées, il y a comme un fil rouge, une homogénéité dans votre travail. Comment l’expliquez-vous ?
Chaque exposition a une double appartenance, d’abord à l’histoire de la photographique puis à mes goûts personnels qui sont très larges. Lorsque je fais venir Andy Summers, c’est une partie de plaisir car c’est un musicien dont je suis proche. J’ai préparé également une rétrospective avec l’un de mes meilleurs amis, Denis Roche, peu de temps avant sa mort. Mes choix n’ont jamais été égoïstes, même si je me suis fait plaisir, ce serait hypocrite de le nier, mais j’ai toujours pensé à ce que cela pouvait apporter au public. Prenez ma dernière exposition, Gisèle Freund (visible jusqu’au 9 février – NDLR) : elle ne me correspond pas vraiment mais son travail de femme, sociologue et photographe, ressemble à ce qu’est Montpellier, une ville pour qui la photographie a toujours été un outil politique, idéologique et social.
Pourquoi avoir décidé d’arrêter alors qu’on vous sent plein d’énergie ?
Je ne sais pas… je vais avoir 80 balais mais je n’ai aucune impossibilité à ne pas continuer. J’ai des projets en vrac, j’aurais aimé faire une grande exposition sur la photographie contemporaine allemande et l’an prochain, je vais organiser au pavillon un colloque international : « Peut-on encore exposer la photographie ? » Mais vous avez raison, j’ai peut-être eu tort.
Gisèle Freund, une écriture du regard
Dernière organisée sous la direction de Gilles Mora, l’exposition Gisèle Freund. Une écriture du regard est visible jusqu’au 9 février 2025 au Pavillon populaire, à Montpellier.
Gisèle Freund est une figure majeure de la photographie du XXe siècle. Quoique son travail soit souvent réduit à ses portraits d’artistes et d’écrivains, son œuvre documentaire témoigne néanmoins d’un engagement politique marqué. Aventurière et curieuse de l’innovation technologique, elle est sociologue de formation et devient historienne et autrice de l’incontournable Photographie et Société.
Dans un parcours thématique en trois parties, très pédagogique, on découvre sa double posture de photographe et penseuse, articulant images et textes. Le cheminement s’enrichit d’archives, publications, objets personnels, extraits de films et d’une sélection de photographies, révélant toute la richesse et la diversité de son œuvre.
Commissariat : Lorraine Audric et Teri Wehn-Damisch