Elles sont locataires pour une année universitaire et ont accepté d’être cobayes du premier logement intelligent ultra-connecté. Depuis le 1er octobre 2018, elles partagent un appartement-observatoire sous haute surveillance électronique, équipé de dizaines de capteurs et détecteurs de mouvements cachés, du sol au plafond. Ce concentré de technologie permet à HUman at home projecT (HUT*), une équipe de chercheurs pluridisciplinaires, issus de 14 laboratoires, d’analyser au moyen d’algorithmes les milliers de données récoltées autour des faits et gestes de deux « co-HUTeuses » comme on les nomme désormais*.
Un quotidien sous haute surveillance
Depuis leur entrée dans ce logement indiscret, des détecteurs enregistrent leurs moindres mouvements. Les portes et les tiroirs, les murs sont criblés de boîtiers qui relèvent la température, l’humidité de l’air, la pollution, les radiations électromagnétiques. À partir de septembre 2019, des puces qui équipent dans la cuisine les placards ou le frigo permettront d’identifier les denrées, leur déplacement dans la pièce et de deviner ainsi les habitudes alimentaires des co-HUTeuses. À plus long terme, des offres publicitaires pourraient être diffusées dans l’appartement, « émanant d’abord des collectivités territoriales et portant sur les transports en commun ou la culture mais nous prévoyons aussi d’envoyer d’autres stimulis aux occupantes en fonction des données de profils collectées », annonce Malo Depincé, maître de conférences à l’université de Montpellier et membre du directoire du projet HUT. Trois binômes de co-HUTeurs se succéderont dans l’appartement-observatoire sur les trois ans que durera l’expérience. « Quand on parle d’intelligence artificielle, d’appartement connecté, on est dans la collecte de données. Avec une question centrale : qu’en fait-on ? Pour répondre, la recherche envisage tous les scénarii. » Même ceux qui franchissent les lisières de l’éthique. « C’est une projection dans le futur qui va nous permettre de définir les usages demain », explique Hassan Ait Haddou, directeur de l’IFAM, unité de recherche de l’école d’architecture de Montpellier.
Home sweet home et bien-être technologique
Car derrière le concentré d’innovation réuni dans HUT, qu’on ne se méprenne pas, il s’agit avant tout d’observer des données immatérielles afin d’imaginer et rendre compte de « ce qui est possible, souhaitable, acceptable » pour que le logement de demain reste authentiquement humain. « Le point de départ du projet est en quelque sorte anti-technique », précise Malo Depincé.
L’initiative revient au directeur de l’institut d’électronique et des systèmes Alain Foucaran. Pour lui, « le XXe siècle a été le siècle des sauts technologiques ; le XXIe siècle sera celui des sauts d’usages ». Car on connaît d’ores et déjà les évolutions technologiques qui, d’ici 10-15 ans, vont équiper nos appartements : elles proposeront aux usagers, par exemple, de fermer leurs fenêtres aux heures de trop grosse chaleur, en les alertant par SMS que leurs courses viennent d’être livrées ou que leur frigo est vide. Mais une question demeure entière : « Y verrons-nous des procédés intrusifs, ou au contraire une facilitation ? », interroge Malo Depincé.
HUT va permettre d’expérimenter tout cela, afin d’anticiper, voire définir, les conditions du bien-être dans l’appartement connecté du futur.
Spécialistes du langage, du mouvement, architectes, juristes, anthropologues, linguistes, historiens, psychologues mais aussi chorégraphes et artistes sont mobilisés parmi la soixantaine de chercheurs chargés d’analyser les données collectées. « La technologie, aujourd’hui prime sur les comportements et les usages ; elle les induit. L’ambition de HUT et de redonner une forme de liberté d’action à l’usager en rendant éthique les objets connectés, développés par des ingénieurs, en les confrontant aux utilisateurs finaux », explique Muriel Piqué, artiste chorégraphe chercheuse et membre du consortium de HUT. Réinjecter de l’humain au cœur des usages dans l’appartement, le quartier, la ville connectée de demain, un défi pour notre futur ultra-connecté.
Le budget total du projet HUT s’élève à 4 M€, dont une grande partie pour les ressources humaines. Les financeurs sont l’Université de Montpellier, l’Université Paul Valéry Montpellier, le CNRS, Montpellier Méditerranée Métropole (à hauteur de 700 000 €) et la MHS Sud.
* Pour ne pas biaiser l’expérience, ni les noms des co-HUTeuses ni l’adresse du logement ne sont révélés.