Près de 8 000 m² de bureaux, d’espaces de stockage proposés à la location à des prix défiants toute concurrence… Cette offre immobilière est lancée par l’agence Intercalaire, spécialisée dans la revitalisation de bâtiments vacants et se destine exclusivement aux acteurs de l’économie sociale et solidaire, aux associations culturelles. Elle s’appuie en l’occurrence sur les anciens locaux de La Poste, dans le quartier des Minimes de Toulouse, dont les salariés ont déménagé sur un autre site, dans le quartier Saint-Aubin. « Nous avons conclu un bail de location gratuit avec Intercalaire pour une durée d’un an et demi, le temps que les travaux démarrent pour transformer le bâtiment en résidence. Nous préférons que le bâtiment ne reste pas vide et que nous n’ayons pas à le sécuriser pendant cette période intermédiaire. Séduits par ce projet, la qualité et le pragmatisme de cette agence, nous contribuerons ainsi à une forme d’urbanisme circulaire, et à une action sociale. Ce partenariat s’inscrit dans nos valeurs d’acteur du territoire et nos missions de service public », se réjouit Natacha Miguel, responsable RSE de la direction Occitanie de La Poste Immobilier.
Une absence de loyer qui permet à l’agence Intercalaire de construire un modèle économique particulièrement avantageux pour les acteurs associatifs qui vont s’installer dans le bâtiment. Ses charges sont en effet réduites aux fluides (eau, énergie, gaz…), à l’entretien et aux maintenances diverses ainsi qu’aux six emplois de la société.
Concrètement, un bureau partagé de 8 m², incluant Internet, un accès à des salles de visioconférence… sera facturé pour la modique somme de 160 euros HT par mois. « Un artiste qui a besoin d’un atelier pour travailler, sans autres services, le paiera environ 8 euros au mètre carré », souligne Thomas Couderette, cofondateur d’Intercalaire.
Ce concept s’inscrit dans un mouvement en plein développement : l’urbanisme de transition. Le principe séduit de plus en plus de grandes sociétés. « De manière générale, elles projettent la reconversion des bâtiments qu’elles n’occupent plus ou les revendent à un promoteur immobilier ou encore à une société foncière ad hoc. Ces dernières pourront également décider de les transformer, ou de les détruire pour reconstruire… Le montage de tels projets immobiliers est souvent long : ils nécessitent de nombreuses études, d’engager des architectes, etc. Puis il y a la demande de permis de construire, les éventuels recours qui doivent être purgés, et enfin la phase de commercialisation. S’ouvre ainsi une période de vacance immobilière de un à cinq ans dans laquelle nous nous inscrivons. Ce qui laisse pas mal de temps pour développer un projet structurant. Dans cette perspective, nous proposons au propriétaire d’occuper son bâtiment inutilisé pour une somme modique voire à titre gratuit. L’avantage pour lui, c’est qu’il n’a plus à payer une société de gardiennage ni de murer les fenêtres pour éviter l’installation de squats. Et en plus, ils contribuent à la mise en place d’une action d’intérêt général. C’est une affaire gagnant-gagnant. », détaille Thomas Couderette.
L’agence n’en est pas à son coup d’essai. Plusieurs autres lieux ont été transformés en objets à haute utilité sociale, à l’image des anciens locaux de France Télécom, dans le quartier de Soupetard. Cet ensemble de trois bâtiments, qui totalise 7 700 m² de surface de plancher, est devenu la « Bouillonnante ». Un lieu de vie et de travail vibrionnant qui porte bien son nom. Soixante-dix associations s’y sont installées, dont par exemple Le Mouvement associatif, le Club de prévention de Toulouse-Est qui accompagne des jeunes en situation d’isolement, de rupture scolaire… Un véritable tiers lieu, Café&Co, est installé à l’entrée principale du bâtiment. Créée par un groupe de personnes en situation de handicap et par des éducateurs spécialisés dans l’insertion professionnelle, l’association éponyme propose un ensemble d’activités. Dans ce café plein de vie, on peut enregistrer des podcasts, apprendre le crochet et le tricot, faire du théâtre… et se retrouver dans une ambiance chaleureuse. Un lieu qui donne l’évocation d’une société plus inclusive. Quant à l’ancien réfectoire de France Télécom, il a été transformé en une cantine, « Le Petit Bouillon », destinée aux personnes qui travaillent à la Bouillonnante et même aux habitants du quartier.
Dans le quartier de la Reynerie, un projet similaire a été mis en place par Intercalaire, mais cette fois-ci avec le concours de la mairie de Toulouse. En 2021, la ville a en effet mis à disposition les bâtiments de l’ancienne mairie de quartier et de la CAF, alors que leur démolition devrait intervenir en 2025. Intercalaire gère les lieux, d’une surface de 2 600 m², où une association, le collectif Abbal, anime près de quarante projets dans de nombreux domaines de l’inclusion, de l’emploi, de l’éducation et de la santé. Exemples d’activités : formation à l’entrepreneuriat féminin, studio d’enregistrement musical, ateliers de couture, soutien scolaire… Des infirmiers profitent également des locaux pour soigner les habitants du quartier. À Compans-Caffarelli, l’agence Intercalaire a transformé l’ancien restaurant d’entreprise d’Enedis pour aider des jeunes en difficulté. Ils y bénéficient d’accompagnement pour obtenir de l’aide alimentaire, des accès aux logements, et autres conseils.
Intercalaire intervient également dans le champ de l’hébergement des SDF. « Nous travaillons avec des associations telles que notamment Ressources solidaires pour les aider à identifier et rendre des appartements ou maisons habitables. Au total, une cinquantaine de personnes y sont hébergées », précise Thomas Couderette. Les bénéficiaires participent tant que possible au paiement des charges locatives et aux activités de Ressources solidaires. Par exemple : participer à des maraudes pour donner de l’aide alimentaire aux sans-abri, faire de l’interprétariat ou encore participer à la conserverie Bocalenvers. Cette association, installée à la Bouillonnante, dans l’ancienne cuisine centrale de France Télécom, a mis en place un partenariat avec Carrefour. Objectif : récupérer les invendus de légumes et les mettre en bocaux par des personnes en situation de précarité. Ces conserves sont revendues dans des supermarchés Carrefour toulousains, et autres points de vente. Un cercle vertueux qui permet de sauver quelques familles de la rue et de proposer une solution de réinsertion à des personnes en grande difficulté.
Ce modèle économique particulier permet donc à de nombreux emplois de se maintenir. À l’image des 200 personnes qui travaillent à la Bouillonnante pour encore deux années. Et après ? « En fait, il y a régulièrement de nouveaux bâtiments vacants dans une ville comme Toulouse, nous n’avons pas d’inquiétude pour trouver de nouveaux lieux pour déménager », rassure Thomas Couderette.
Alors que des travailleurs sociaux dénoncent la forte baisse de l’offre d’hébergement d’urgence, que de nombreuses collectivités annoncent une baisse substantielle des subventions aux associations, ce modèle s’avère des plus précieux. « Nous ne faisons pas de la recherche de bâtiments vacants par principe, nous le faisons parce que c’est nécessaire. Nous sommes tristement nécessaires alors que les collectivités locales peuvent sans doute mieux faire dans la mise à disposition de bâtiments vacants », regrette Thomas Couderette.
Légendes :
1 – Thomas Couderette accoudé au bar du Petit bouillon, dans la cantine de l’ex-réfectoire de France Télécom, désormais La Bouillonnante.
© Frédéric Dessort
2 – Dans l’attente de leur démolition, ces bâtiments de la mairie de Toulouse, place Abbal à la Reynerie, se veulent être un lieu favorisant le partage et l’entraide. L’agence Intercalaire est gestionnaire du site et Hors-pistes architectures a participé à l’étude de faisabilité du projet et sa mise en œuvre.
© Hors-pistes
3 – Cette occupation temporaire dans le quartier de Malepère à Toulouse a permis de créer une guinguette éphémère, des ateliers d’artistes, un espace de réparation de vélos et une colocation solidaire.
© Hors-pistes
4 – Les bâtiments des anciens locaux de France Télécom, composés de deux corps principaux, sont aujourd’hui ceux de la Bouillonnante.
© Frédéric Dessort