La maison dont Dominique cherche la clé ce jour-là était un dépotoir en 1967. Le maire de l’époque voulait la lui céder pour le franc symbolique. Elle lui fut finalement acquise pour 70 francs.
Aujourd’hui, c’est le siège de la société Focus. Il compte encore cinq autres bâtiments mitoyens qui abritent la maison, les bureaux et le showroom. Un peu à l’écart du village, il y a aussi la bergerie qui sert de salle de conférences.
« Voilà, c’est ici qui j’ai créé ma première cheminée », montre-t-il d’un geste tranquille une fois la porte enfin franchie. Même dans le Midi, les hivers peuvent être vigoureux. À l’époque, Dominique Imbert est artiste. Il survit grâce à des pièces de bronze et de fer qu’il dessine et crée avec l’aide du forgeron du village. Ses voyages de jeunesse, son passage par Sciences Po Paris, son doctorat de sociologie et ses années de professeur ont été une nourriture intellectuelle riche. Mais tout ceci est bien loin, et l’art a aussi besoin de celle plus terrestre.
La cheminée étrangement suspendue dans son salon plaît beaucoup. Ses amis amateurs d’art, architectes pour certains, lui en commandent. Qu’à cela tienne, il leur créera le modèle Gyrofocus pivotant de surcroît à 360° ; et la société Focus (en latin, foyer) se chargera de gérer tout cela. Littéralement une révolution dans le monde traditionnel de la cheminée.
Excellents prescripteurs, les architectes bâtissent une grande part de la réputation de Focus. En 1984, la société a fabriqué 1 000 cheminées à partir de l’usine située à Cavaillon. Vendus sur catalogue et soutenus par une communication inspirée, les nombreux modèles créés par Dominique Imbert assoient peu à peu la notoriété de Focus sous sa signature manuscrite.
En 1989, c’est le jackpot ! Une commande de 300 cheminées tombe pour un complexe immobilier au Japon, puis encore 120 en 1990.
Le célèbre architecte Norman Foster est lui aussi séduit par l’acier courbe des foyers de Focus. Mais il veut dessiner un modèle unique qu’Imbert aura alors la charge de fabriquer. Après quelques échanges difficiles avec le designer de l’équipe Foster, Imbert craque : « Life is too short to make shits », envoie-t-il par fax à l’architecte. Ils se rencontrent finalement et Foster lui donne alors quitus pour le dernier modèle présenté. On peut l’admirer chez Electronic Arts, à Chertsey (GB).
Maintes fois primé, le Gyrofocus est notamment élu « le plus bel objet du monde » par le concours italien Pulchra ; il est entré au musée d’art contemporain de Bordeaux et au Guggeheim, à New York.
Les foyers à double flux, la gamme Outdoor et, en septembre, le Lensfocus (à gaz) continuent aujourd’hui d’être produits à Cavaillon. L’usine appartient à Focus, qui l’a rachetée voilà près de vingt ans. 58 % partent à l’export et, en 2017, Focus a progressé de 10 %.
En 2015, Dominique Imbert a confié les rênes à Laurent Gaborit, son ancien directeur commercial France et à Jean-Marc Chalier, son ancien directeur financier. « C’est difficile d’anticiper ce que se passera après soi, mais je crois qu’avec ces personnes, l’entreprise est entre de bonnes mains. » Le fondateur révolutionnaire reste toutefois en charge de la création des nouveaux modèles. L’art appliqué toujours, en somme, mais l’art tout court, peut-être à nouveau.