Porte-voix en bandoulière, l’opticienne Carla Sfeir est une créatrice profondément engagée, libre comme l’art. En soutien à un milieu culturel sous perfusion, ce n’est pas par hasard qu’elle a lancé, début mars 2021, l’initiative « Une semaine, un Artiste ».
Originaire du Liban, Carla a connu son pays en guerre civile pendant quinze ans : « Lorsqu’on se retrouvait tous dans les abris souterrains, il n’y avait plus de classe sociale. Nous étions tous au même niveau. Mais ce qui nous faisait oublier la noirceur des abris, les bruits de l’extérieur et l’odeur de la poudre, c’était la musique que maman nous mettait à la radio. On n’oubliait jamais de prendre des piles ! On écoutait et on dansait sur Michael Jackson, Dalida… Malgré la guerre, la musique nous faisait vivre. Pour moi c’est exactement ça : l’art est essentiel à la vie. »
Carte blanche
Au 7 rue du Petit Saint-Jean, quelques palettes en guise de scène posées contre la vitrine du show-room Carla’s eyeworks, un rideau rouge… il n’en faut pas plus pour que peintres, photographes, danseurs, musiciens ou auteurs viennent performer, dans le respect des mesures sanitaires. À l’intérieur, les artistes locaux ont également carte blanche pour investir le moindre m2. Première à s’être lancée, Karen Thomas. Installée à Montpellier, l’artiste britannique a pu dévoiler ses œuvres figuratives expressionnistes à l’esprit pop vintage matchant parfaitement avec les collections de Carla. Se sont produits successivement Philippe Loubat, peintre local incontournable, accompagné musicalement par MOI, Patrice Barthes dont les trois performances avec Braquage sonore ont été très remarquées, Claudia Montanari et ses photos interactives ou encore Sanaa Mejjadi avec ses travaux en peinture et techniques mixtes.
Accessoire essentiel
« Ceux qui disent que l’art n’est pas essentiel se trompent. L’art, c’est un regard, une façon de voir les choses, un angle. Il fait partie de nos vies ; il peut même être un remède. Il est aussi important que les pharmacies ! » À contre-courant d’une mode standardisée, éphémère et consumériste, la créatrice de Carla’s eyeworks érige ses lunettes au rang d’accessoire essentiel. Un art à portée de vue pour Jean-Pierre Coffe, Lenny Kravitz, Matthieu Chedid ou Caroline Loeb… La liste est longue et non exhaustive de tous les artistes qui ont succombé aux sculptures lunetières de la créatrice. Mais évoquer le monde du show-business est réducteur. À la notoriété de ses fidèles clients, Carla Sfeir oppose une réelle quête d’unicité : la lunette, reflet de celui ou celle qui la porte. Et ce n’est pas usurpé si ses collections sont présentes chez les plus grands opticiens, de New York à Montréal, en passant par Londres ou Berlin.
Carla Sfeir a tout plaqué pour s’installer à Paris à la fin des années 80 et se lancer dans l’univers de l’optique. « J’aimais la multiplicité de ce métier qui touche au paramédical, à l’esthétique, au commerce », dit-elle simplement. Refusant carcans et cases préremplies, elle débarque à Montpellier en 1998. Un choix salvateur. « J’avais besoin de soleil, ici je retrouvais le climat de Beyrouth. La seconde ville gay de France était en plein essor, les différences y étaient adoucies, édulcorées… »
Coexister
« À la différence de Béziers, par exemple, Montpellier était et continue d’être une ville qui coexiste », poursuit la créatrice. Coexist. Le mot sonne pour elle comme un étendard. Il signe d’ailleurs l’une de ses trois lignes de montures (optiques et solaires). Écrit en signe cabalistique – Moyen-Orient, égalité des genres, ying et yang, peace and love, és africaines, christianisme – le mot est emblématique de son parcours de vie, un outil d’expression que Carla s’est forgé pour muer ses lunettes en bannière positive. Une démarche qui se prolonge naturellement avec « Une semaine, un Artiste », et résonne particulièrement juste.
« Nous ne sommes ni galerie ni critique d’art », précise Carla à l’attention, peut-être, d’éventuelles remarques face à ses choix discutables. L’enjeu est en effet ailleurs. Fille d’une mère danseuse, nièce et petite-fille d’ingénieurs, architectes, « mais tous avec un pinceau dans la main », elle a été biberonnée à la cause artistique. « Depuis un an, Montpellier, ville de vibrations et de couleurs, étouffe, se meurt. J’avais besoin d’impulser l’envie d’un retour à la vie. J’ai la chance de pouvoir vivre de mon art, ce n’est pas le cas de la plupart des artistes. Certains connaissent une situation précaire inédite, d’autres sont en HP… la situation est catastrophique. J’ai voulu être solidaire, modestement, et j’ai lancé l’idée, sur les réseaux, d’un rendez-vous hebdomadaire. J’ai été submergée de retours et le calendrier est booké jusqu’en octobre 2021 ». n
Les dates des performances d’artistes (programmés par ordre de demande) sont divulguées sur la page Facebook de Carla trois à quatre jours avant.
Carla’s eyeworks
Légendes photos :
1 – Carla lance « l’appel à la vie », tandis que « Gaëlle assure derrière » ! DR
2 – Patrice Barthes en performance peinture dans le cadre d’« Une semaine, un Artiste ».