La réparation du pilote automatique n’a pas tenu. Après trois heures de mer, cap sur Gibraltar, le Luna Blu a dû rebrousser chemin et son équipage se résoudre à prolonger l’escale des Açores plus longtemps que prévu. Il faudra patienter jusqu’à la fenêtre prochaine, fenêtre météo, pour voir, fin juin, se boucler le demi-tour du monde de ce First de 14,5 mètres, à Sète. À bord, la famille Tollemer, Sandrine, Jean-Luc et leur fils Gabriel, 7 ans.

Quête écologique
Démarrée le 17 septembre 2018, cette double transatlantique aller-retour jusqu’à Ushuaïa, la ville la plus australe du globe, se voulait une quête écologique, initiatique, pour cet équipage familial hors norme. Jusqu’à cette Terre de feu argentine, mythique, rendez-vous des superlatifs et des questions existentielles, l’aventure s’est construite sur l’envie de Sandrine et Jean-Luc d’une « Planète en commun ». C’est le nom qu’ils ont donné à l’association créée pour partager leur projet. Naviguer pour « témoigner de la richesse de la planète et de ses océans, apprendre sur leur état et les solutions mises en œuvre par ses habitants et, modestement, apporter [leur] contribution à la préservation de notre bien commun. »
Sensibilisé aux enjeux climatiques, Jean-Luc a créé Carbone-Free, une école de voile sise à Bouzigues (34) où la famille habite. Le skipper a déjà franchi l’Atlantique à six reprises. Ces traversées lui ont appris que, quoique lyrique, comme hors du temps, toute Odyssée se nourrit avant tout des contingences d’un quotidien très prosaïque. Cette avarie de Raymond, nom que Jean-Luc a donné à son pilote automatique, Sandrine la compte parmi mille autres péripéties qui ont égrainé leurs journées durant deux ans. En disponibilité de ses fonctions de directrice adjointe aux relations de presse à la métropole de Montpellier, elle a également réalisé quelques vidéos qu’elle partage sur son blog*, à destination notamment des enfants de l’école de Bouzigues, camarades de classe de Gabriel.

Ces derniers mois de Covid, la famille Tollemer les a vécus en partie au Brésil où la crise sanitaire et sociale les menaçait : « Il faut vite qu’on fiche le camps », expliquait alors Sandrine par WhatsApp à artdeville. « Nous sommes une cible pour les pauvres gens ; on reste des privilégiés. » Eux qui ont « choisi l’isolement plus que le confinement » avouent être « tombés des nues » d’apprendre les mesures mises en place en France, « ça nous a fait vraiment peur. » Ce contexte international n’a pourtant pas joué dans leur décision d’interrompre leur tour du monde. Ushuaïa était alors encore un point de bascule entre la Polynésie, leur seconde étape prévue.
« Pour Gabriel. Il a besoin à son âge de contacts. Dès qu’on croise une autre famille avec des enfants, comme à Buenos Aires, on leur saute dessus ! Et ma famille m’a rapidement manqué. J’ai encore la chance d’avoir mes parents ; j’ai envie d’en profiter. Gabriel aussi a envie de voir ses grands-parents. Même si on est très disponible pour lui et que c’est un grand lecteur, une telle coupure, ça exclut. Le bateau n’est pas une fin en soi. »

« Le tiers-monde, ça n’existe pas »
L’escale des Açores n’est pas un séjour touristique. Avec trois cas de Covid sur l’île São Miguel, Sandrine, Jean-Luc et Gabriel n’ont que le ponton pour terre ferme. Mais cela ne les affecte pas. Ils ont déjà des souvenirs plein la tête. Leurs meilleurs ? « Pas facile de choisir il y en a tant ! » Le Sénégal… Grâce à Voiles sans frontière et l’Institut de recherche et développement (IRD) avec qui les Tollemer ont noué des relations, ils ont pu découvrir les îles du delta de Sine Saloum guidés par des experts. Un petit film publié sur le blog de Planète en commun témoigne de la richesse de cette étape.
Buenos Aires et ses environs furent également un rendez-vous mémorable, fait de rencontres précieuses. « Aux cascades d’Iguazu, par exemple, nous avons rencontré une famille locale, qui vivait modestement et avec qui nous avons passé un moment. L’homme de la famille nous a dit : “Le tiers-monde, ça n’existe pas.” C’était sa manière de nous expliquer qu’ils étaient heureux tout en vivant de très peu. Ce fut pour moi une grande leçon de vie. »

« J’ai versé ma petite larme ! »
Il y a eu aussi les moments plus rudes, comme en Uruguay, où il a fallu faire face à une « mafia locale ». Victimes d’une avarie, les Tollemer sont tombés dans le piège du seul réparateur accrédité du port dont la facture s’est avérée salée. La discussion n’étant pas possible et après des menaces de mort, « à l’ambassade, on nous a recommandé de partir, c’était plus prudent ».
Le voyage a donc repris. Cette légèreté retrouvée les a menés jusqu’aux Îles Falkland à la rencontre de deux légendes de la voile, Jérôme Poncet et Alain Caradec. Leurs récits resteront à jamais dans leur mémoire : « Ils nous ont décrit les paysages qu’on rencontrait, un peu plus au sud des régions où nous avons navigué. Ils nous ont définitivement convaincus de repartir ! » Ces dix jours passés en leur compagnie figurent ainsi dans le Panthéon des Tollemer.
« Mais l’arrivée à Ushuaïa… On est tombé amoureux de la Patagonie, de ses paysages marins au milieu des glaçons. Un endroit magique, inédit pour naviguer. C’était un rêve. J’ai versé ma petite larme ! » Il faut dire que l’Atlantique n’est pas exactement un long fleuve tranquille. « C’est une navigation très engagée. Quand on arrive dans les 40e et 50e rugissants, il n’y a pas d’endroits où s’arrêter.» Et quelque soit l’habileté du skipper, selon la météo, l’allure, les conditions changent «A 18 ou 20 nœuds, on perds le plaisir. Au près, ça penche, ça tape en permanence ! Je crois que je n’étais pas prête. Gabriel a trouvé lui que c’était une super transat ! Nous n’étions vraiment de son avis, mais on n’a pas si mal géré puisqu’on ne lui a pas transmis notre stress !»

Ballottés par la houle, chahutés par des tempêtes, bercés par des flots étoilés, Sandrine, Jean-Luc et Gabriel ont aussi chavirés mais seulement devant les paysages ultramarins que la proue de Luna blu a fendus pour eux. «Des iles comme El Hierro, Sao Vincente, le Saloum, la Terre de feu ou les Falkland ignorées ou oubliées sur le grand échiquier du monde mais souvent plus actives pour se préserver.» Voilà l’ultime leçon que Sandrine laisse à la méditation des lecteurs de son blog, le 31 mai 2020, alors que 3000 miles les séparent encore de Sète.
planetenco.blogspot.com

La vie à bord

«On est dans une gestion économe, comme on devrait l’être sur une planète finie. On récupère l’eau de pluie, même au port ; c’est une habitude. On a une éolienne et des panneaux photovoltaïques, deux frigos. Côté cuisine, c’est un peu comme à la maison, ça tourne toujours autour des même plats. On pêche, c’est bien. Ça améliore l’ordinaire. Fruits, légumes, viandes séchée, c’est plus pratique surtout quand tu prends des quarts, la nuit.»