En hommage à Albert Ayler, jazzman new-yorkais disparu au début des années 70, des peintres, architectes, comédien-ne-s, photographes, urbanistes, pyromanes, magicien, sociologue, acrobates et mélomanes créent Albert et sa fanfare poliorcétique (art d’assiéger les villes). Dans les rues, festivals, écoles, foires, bidonvilles, carnavals, féria, hôpital psychiatrique… la troupe va jouer le joyeux répertoire des fanfares et redonner vie aux vieux standards du rock’n’roll, et chahuter les lieux qu’elle visite. À contre-courant des modes et des codes établis, elle sévira jusque dans les urnes. Un livre et une exposition racontent cette aventure tout en contre-pied.
Profitant d’un entre-deux au centre d’art La Fenêtre, à Montpellier, une poignée d’anciens membres de la fanfare ont saisi l’opportunité pour présenter l’exposition, l’espace d’un week-end. Pour artdeville, Lionel Guyon et Carlo ont commenté la visite le 25 mars dernier pointant photos, dessins, affiches et vidéos.

La chienlit c’est lui !
« L’histoire a commencé en réalité un peu avant 68, à l’école des Beaux-Arts de Paris, entre des gens qui venaient de province pour la plupart. À l’époque, pour qui voulait devenir peintre ou architecte, seule l’école de Paris diplômait au niveau national. » Or, l’établissement est alors au cœur du mouvement étudiant soixante-huitard. On y croise entre autres Jean Hilaireau, aujourd’hui montpelliérain, l’auteur de la célèbre affiche La chienlit c’est lui ! et Michel Quarez, illustre affichiste, qui fera lui partie de la bande à Albert.
Une autre personnalité figure sur les photos, Jérôme Savary. Saisi sur le vif l’air médusé, l’homme de théâtre vient en soutien aux Beaux-Arts avec un groupe de musiciens, préfigurant son célèbre Magic Circus. Mais l’époque veut abolir la propriété… Il se fait subtiliser sa trompette par Georges Ohanessian, alias Joe Corbeau, futur pilier de la fanfare poliorcétique ! Pas rancunier, Jérôme Savary invitera plus tard le groupe régulièrement au Théâtre de la Cité pour animer les finale festifs de ses pièces.

Ça partait en free
La photo montre aussi Patrice Blanc-Franquard, future figure du journalisme musical sur France Inter et producteur audiovisuel. Lui aussi suivra assidûment les pérégrinations des Albert. C’est d’ailleurs par lui, notamment, que Joe peut assister au concert d’Albert Ayler à la fondation Maeght de St Paul-de-Vence. Le magazine Jazz Hot qui suit l’événement l’a embarqué.
Le jazzman est ovationné. Contrairement à ses premiers concerts en France, sa seconde tournée remporte un vif succès et Albert Alyer est radieux. « Il était hébergé au centre de vacances VVF de la Colle-sur-Loup, non loin. Dans l’enthousiasme, il a offert aux clients du centre un show époustouflant. Il les faisait danser sur des thèmes très populaires comme Petite fleur ou La Marseillaise, et ça partait en free ! » Lionel et Carlo n’ont vécu le moment que par procuration, mais ils l’assurent : « Ça a été un truc extraordinaire ! »
Albert Ayler jouait alors surtout dans la fanfare de sa garnison avec d’autres GI, sur une base de l’OTAN de Châteauroux. « Il racontait que lors des cérémonies, pendant les parades, ça débordait souvent à la fin ; on leur demandait de se calmer ! » Deux mois plus tard, en novembre, le groupe d’amis apprend qu’Albert Ayler a été assassiné à New York.
Joe avait décrit à Albert son projet de fanfare foldingue qui ne jouerait plus seulement aux Beaux-Arts mais dans la rue, les quartiers, les villages, avec des artistes de cirque et gratuitement. Albert lui avait témoigné son plus vif intérêt : « C’est mon rêve de jouer comme ça ! » Joe est très affecté. Alors qu’un hommage doit être rendu au jazzman dans Actuel, un tout nouveau magazine dédié aux avant-gardes et à la BD underground qui deviendra mythique, l’illustrateur Michel Quarez croque « Albert Ayler et sa fanfare ». Mais Joe cale sur ce titre, un peu sec. Soudain, l’adjectif « poliorcétique » apparaît dans le dictionnaire : iI définit parfaitement le projet déjanté, rebelle, loufoque qu’il a en tête : assiéger les villes ! C’est décidé, Albert et sa fanfare poliorcétique embarqueront les potes des Beaux-Arts dans cette folie ; elle durera près de vingt ans.

Le livre paru en décembre 2021 conte la suite. Il est disponible sur tinyurl.com/poliorcetique – code 433