Mi-décembre 2017, à la Sud de France Arena, avait lieu la première édition d’Art Montpellier, la foire méditerranéenne des arts contemporains (FMAC), organisée par Didier Vesse. Au total, 8000 visiteurs ont découvert ces 45 exposants, dont 40 galeries, parmi lesquelles quatre espagnoles et une marocaine. Loin d’être la meilleure preuve de la ferveur nouvelle pour l’art contemporain à Montpellier, cette foire arrive toutefois à point nommé pour souligner l’ambition de la Ville pour la discipline. On lui reprochera : un comité de sélection des galeristes inexistant, entraînant un intérêt artistique hétérogène voire passable ; un manque de pédagogie quant à la visée commerciale de cet événement ; l’absence des galeries associatives qui ont institué l’art contemporain à Montpellier ; et une dimension méditerranéenne pas encore lisible. Deux figures de proue cependant, les galeries montpelliéraines Clémence Boisanté et AD Galerie représentant respectivement le mouvement Supports/Surfaces et Figuration libre, ont porté la légitimité de la foire. La Ville de Sète aussi, avec le Sétois-Toulousain Jean Denant qui a notamment vendu son œuvre Mare Nostrum au Président de la République François Hollande, en cadeau protocolaire au roi du Maroc. Découvrir les artistes présentés par les galeries Marina (Ernest Pignon-Ernest, Pincemin, Garouste…), Brugier Rigail/GM art (Jonone, M. Chat, Mistic…) et La Pop (Jacq, Biascamano…) fut aussi rassurant. Quant à CharÉlie Couture chez nos confrères de Médi’art, accompagné d’Aurore Kichenin, Miss Montpellier 2016 et troisième dauphine Miss Monde, ils ont certes attiré les foules, l’un comme plasticien et l’autre pour sa plastique. Clin d’œil enfin à Yann Dumoget pour son art amical.
Un terreau local favorable à l’art contemporain
La FMAC rappelle néanmoins à quel point cette partie de la région forme un terreau favorable à l’art contemporain. Entre le centre à Sète (CRAC), le musée à Sérignan (MRAC), le musée international des arts modestes à Sète, Carré d’art à Nîmes, la collection Yvon Lambert à Avignon, la fondation LUMA à Arles… l’offre est foisonnante. Sans oublier les écoles des Beaux-arts. À Montpellier, la Panacée, le Carré Saint-Anne, le Fonds régional d’art contemporain (FRAC), la collection du musée Fabre et notamment Soulages, le salon Drawing room, le récent musée d‘art brut, des galeries associatives nombreuses, les Mécènes du Sud Montpellier-Sète… À noter également, l’intérêt de promoteurs immobiliers esthètes comme Helenis et NG Promotion qui font figure de modèle en proposant à leurs acquéreurs haut de gamme des œuvres dans les parties communes : Vincent Bioulès de Supports/Surfaces pour Helenis, Castelbajac ou Yann Kersalé pour NG Promotion. Quant au groupe Proméo, il prévoit d’implanter un centre d’art au rez-de-chaussée de l’Arbre Blanc, la folie architecturale en cours de construction près du Lez.
Curieusement, et malgré cette offre plétorique, le pouvoir politique local boudait l’art contemporain. Mais depuis le mois de juillet dernier, les choses ont changé : le nouveau centre d’art de Montpellier Contemporain (MoCo) existe. Une structure multisite qui réunit l’école supérieure des Beaux-Arts de Montpellier (ESBAMA), le centre d’art contemporain La Panacée et le futur musée d’art contemporain de l’hôtel Montcalm, 1 800 m2 d’espace d’exposition prévu pour juin 2019 près de la gare Saint-Roch. Nicolas Bourriaud, ancien directeur du Palais de Tokyo et de l’école des Beaux-Arts de Paris, en est le directeur. L’établissement public de coopération culturelle est présidé par Vanessa Bruno, la styliste-chef d’entreprise et collectionneuse d’art très en vue (artdeville n° 55). « L’idée est de créer un parcours au sein de la ville ; une institution qui ne soit pas simplement un réceptacle pour des œuvres », explique Nicolas Bourriaud. « L’ambition politique de Saurel [maire et président de la métropole] était de transformer Montpellier. Il nous a semblé que réunir ces trois lieux constituait une approche inédite de l’art contemporain dans une ville ». Point de « monument-logo » ni d’écrin donc, mais une nouvelle manière d’incarner « ce qu’est l’art aujourd’hui ».
On pense au « Voyage à Nantes », dirigé par Jean Blaise, qui propose chaque année un parcours de 40 œuvres d’art dispersées dans l’espace public, le long d’une ligne verte tracée au sol sur 12 km. Elle emmène vers des installations éphémères et les lieux culturels et musées de la ville. On pense aussi à In Situ, créé sous le commissariat de Marie-Caroline Allaire-Matte, qui visite des lieux patrimoniaux d’Occitanie où sont installés chaque été les œuvres d’artistes réputés. On pense encore à d’autres « Parcours de l’art » comme celui de… Montpellier, plus modeste, qui ouvre pendant quelques jours les ateliers d’artistes au public. Alors, inédite l’idée du parcours ? Oui, si l’on considère que les événements précédemment cités sont éphémères. Reste que l’ambition de créer « un parcours dans la ville », purement conceptuelle, mériterait sans doute de se matérialiser. Pour une meilleure lisibilité du projet et une adhésion publique porteuse.
L’association des Amis du MoCo, avec à sa tête le collectionneur montpelliérain Claude Bonan, regroupe une vingtaine de passionnés. Elle devrait participer à « l’intensification et la transformation de l’écosystème déjà existant », selon Nicolas Bourriaud, qui l’a suscitée.
Sur les pas de Georges Frêche ?
Christian Gaussen, directeur artistique de l’école de Beaux-Arts de Montpellier se réjouit d’être « associé à un projet de cette ampleur ». Il salue « la volonté politique de Philippe Saurel de rassembler les acteurs culturels de la ville ». Pour lui, le MoCo permettra de « fédérer la formation, la recherche et les pratiques artistiques en un dispositif complet ». L’homme qui mettait publiquement en garde le candidat aux élections municipales Philippe Saurel sur le danger « d’instrumentaliser les artistes par une démagogie qui décevrait les gens » affirme désormais que l’art contemporain est devenu le cheval de bataille du maire, président de la Métropole.
Montpellier a démontré depuis de nombreuses années sa capacité à attirer de grands noms de la culture : Dominique Bagouet, Mathilde Monnier puis Christian Rizzo au centre chorégraphique national, Jérome Savary, Rodrigo Garcia au centre dramatique national, Soulages au musée Fabre, Jean-Claude Carrière au Printemps des comédiens, Aurélie Filippetti à Cinémed… et maintenant le duo Nicolas Bourriaud-Vanessa Bruno. À la nomination de ces derniers, Philippe Saurel explique que « pour construire des politiques publiques, il faut avoir des têtes de pont qui sont fiables ». Disant cela, il s’inscrit dans les pas de son mentor, Georges Frêche, ancien maire de la Ville et ancien président de la Région Languedoc-Roussillon… en comblant ses manques (lire encadré ci-contre).
Parmi les professionnels, on reproche toutefois à Montpellier sa politique de grands équipements culturels, à la tête desquels sont nommés des pointures. Des « coups médiatiques dans un univers élitiste, sans vision globale », juge ainsi un représentant de « l’alterculture ». Dominique Bagouet l’exprimait déjà en 1990, lorsqu’il affirmait pour la danse qu’il y avait « beaucoup de prémices de certaines choses, mais rien de vraiment structuré » (Les saisons de la danse – novembre 1990). Lors de la création du centre chorégraphique national (CCN) et du festival Montpellier Danse, dans les années 80, la conquête du public n’avait pas été immédiate. Rodrigo Garcia, qui n’a pas souhaité renouveler son mandat après seulement trois ans passés au CDN, en témoigne aussi à sa façon pour le théâtre. Mais Montpellier dispose déjà d’un public acquis à l’art contemporain. La nomination de Nicolas Bourriaud et de Vanessa Bruno à la tête du MoCo ne vient que conforter cette réalité. Avec l’annonce en décembre dernier de la candidature de Montpellier au titre de capitale européenne de la culture en 2028, la cohérence du projet culturel de la Ville, pas seulement pour l’art contemporain, a même désormais un référent : Fabrice Manuel. Directeur de cabinet de Philippe Saurel jusque fin 2017, il est chargé aujourd’hui de monter le dossier : « C’est une candidature que j’avais proposée à Georges Frêche, il y a des années », explique Fabrice Manuel qui était alors son directeur de la culture et du patrimoine à la Région.
À lui aussi la mission de décrire la cité créative, la culture transversale que ce parcours artistique contemporain suggère.