52 ans, Nicolas Bourriaud est une star dans le monde de l’art. Cofondateur du Palais de Tokyo (Paris), ancien directeur de l’école des Beaux-Arts de Paris, curateur à la Tate (Londres) il est critique d’art et essayiste. Son recueil Esthétique relationnelle est dans son domaine un best-seller. Nicolas Bourriaud y développe une théorie selon laquelle « une œuvre peut fonctionner comme un dispositif relationnel comportant un certain degré d’aléatoire, une machine à provoquer des rencontres individuelles ou collectives. »
Pourrait-on dire, d’une certaine façon, que de l’art est la culture de l’amitié, de l’amour ?!
Déjà, l’art c’est presque l’opposé de la culture. La culture c’est la règle ; l’art c’est l’exception, comme disait Jean-Luc Godard. C’est un tout cas un objet toujours transitionnel. Delacroix disait déjà que sur un tableau, il y avait comme une sorte de nuage. C’est une relation triangulaire : il y a le peintre qui condense quelque chose sur la toile et cette chose doit être décondensée par le regardeur. Plus généralement, les artistes, aujourd’hui, insistent sur la sphère de relation humaine, comme une sorte de répertoire de formes qui leur permet d’inventer de nouvelles choses. C’est d’autant plus vrai dans un monde qui perd petit à petit le sens des relations humaines.
L’art, c’est donc inventer de nouvelles formes pour concevoir ces relations humaines ?
Oui, ou les décrire, les accompagner, les produire…
Dans le film The Square, palme d’Or à Cannes, vous êtes la seule personnalité du monde de l’art citée. Mais dans un contexte peu favorable, puisque c’est par le principal protagoniste qui vous prend en référence, alors que son comportement n’est pas très élégant…
Je suis plutôt flatté, parce que ce n’est pas un film contre l’art contemporain. C’est un film qui décrit la société contemporaine et son égoïsme à travers le milieu particulier qu’est celui de l’art. Brian de Palma, dans Prêt à porter, faisait la même chose avec le milieu de la mode. Ce n’est pas un film contre la mode. Mais il y a une autre personne qui est citée : Robert Smithson, qui est un grand artiste, et ce n’est pas un hasard. C’est tout simplement la reconnaissance que mon travail a pu avoir, notamment dans les pays scandinaves.
Ce n’est pas un peu gênant ?
Comme le cinéaste, dans Mulhollande Drive, c’est un personnage. Je ne me sens pas du tout visé (rire) !
À propos de Mulhollande Drive, c’est le sujet de votre première exposition à la Panacée. Elle n’a pas eu le succès qu’on attendait.
Pour moi, si ! C’est une exposition qui a eu énormément de succès.
Il y a eu des critiques.
Peut-être localement, mais internationalement, il y a eu une presse absolument géniale ; il y a eu pas mal d’échos. Après, chacun pense ce qu’il veut. Le but d’une exposition, c’est de faire réfléchir, réagir et s’exprimer les gens ; ça fait partie du jeu.
Le parcours que vous êtes en train de concevoir avec le MoCo, cet espace multisite dans la ville, c’est une sorte d’art de ville, de concevoir la ville ?
C’est plutôt une ville en art, c’est comme ça que je la verrais. Ce que m’a demandé Philippe Saurel, c’est de créer un parcours et de créer une institution innovante. J’ai juste couplé les deux idées pour faire une institution qui soit elle-même un parcours dans la ville. Le but du MoCo, c’est en effet aussi de révéler les qualités intrinsèques de Montpellier et de sa métropole. Cela doit être une caisse de résonance qui doit servir à l’ensemble du réseau. Sinon, ce sera raté.
Le fait de ne pas matérialiser ce parcours d’une manière ou d’une autre, par un geste artistique, architectural, qui lie ces différents espaces, cela ne risque-t-il pas de compromettre la lisibilité du projet, et donc l’adhésion du public ?
Le lien, c’est l’Écusson, d’une certaine manière. On n’a pas besoin de matérialiser davantage que ça. Je ne vois pas trop pourquoi. On ne va pas faire un fléchage d’un lieu à un autre ?
Non, mais un geste artistique. De la même manière qu’une œuvre d’art a besoin d’être établie en tant que telle par un cadre – qu’il soit matériel, institutionnel… Le concept de parcours aura besoin d’être institué pour exister et « incarner » l’art d’aujourd’hui.
Oui, mais on ne force pas les gens à aller d’un lieu à un autre. Cela se fera naturellement. Le musée Fabre qui est sur le chemin bénéficiera de cette nouvelle institution. Et très franchement, je ne vois pas ce qui pourrait matérialiser un parcours.
On a créé des bâtiments totems à Bilbao, à Arles maintenant ; le Mucem à Marseille, le Louvre Abu Dhabi… Les musées ont toujours une architecture, mais votre parcours ?
Mais il y aura bien un geste architectural à Montcalm. Vous ne l’avez pas encore vu et c’est normal. Je comprends mieux votre question. Les travaux commencent en février. Et justement, on travaille avec l’architecte pour que ce geste ne soit pas forcément architectural, mais qu’il soit avant tout artistique. Ça, c’est super important ; il faut rendre ce lieu aux artistes. Le projet passe par la valorisation de gestes artistiques qui seront très visibles dans l’architecture.
Propos recueillis par Fabrice Massé les 29/01/2018