En 1989, une baleine de 20 mètres et 40 tonnes s’échoue sur la plage de Port-la-Nouvelle, dans l’Aude. Pour sauver les restes du cétacé d’un dynamitage imminent, un couple de vignerons s’improvise naturaliste : il le dépèce, récupère ses os et reconstitue son squelette dans leur cave. Quinze ans plus tard, ce fait divers insolite interpelle un jeune homme passionné d’éthologie. Il a 20 ans, vit à Sommières (Gard) et rêve de devenir photographe animalier.
Filmer à hauteur d’animaux
« Cette histoire faisait écho à mes gestes d’enfant, lorsque je ramassais sur les bords de route insectes et animaux percutés par les voitures. Je les ramenais à la maison et j’accédais aux beautés d’un élytre, d’une écaille de serpent, se souvient Sylvère Petit. J’ai senti le besoin de rencontrer ces deux vignerons et en découvrant le squelette, j’ai eu l’impression d’être face à un mythe contemporain, celui de Jonas, de Pinocchio… ».
Deux décennies ont passé. Après avoir été orienté vers le cinéma, parce qu’il était « nul en sciences », Sylvère Petit découvre l’univers de Jacques Audiard, Théo Angelopoulos… Mais il n’est pas convaincu par le cinéma de fiction qui laisse peu de place à d’autres espèces que l’humain. Ni par le documentaire animalier qu’il juge pauvre en termes de créativité et tombe souvent dans le piège de l’anthropomorphisme. Lui voudrait explorer la complexité du monde, sortir d’un schéma entre « primates sociaux ».
Dès ses premières réalisations, il plonge le spectateur dans la peau d’une abeille pendant une transhumance qui tourne au drame (Les Ventileuses, 2009), dans celle d’un taureau (Biòu, 2014) puis dans le quotidien d’une clinique vétérinaire (Ani-Maux, 2017) où il prend le parti de décentrer la caméra pour filmer à hauteur d’animaux. Avec une corneille et un chien, il réalise le court métrage Les assoiffés qui sera diffusé dans plusieurs festivals internationaux, puis à partir de 2021, il tourne son premier long documentaire Vivant parmi les vivants avec en guest stars une jument de Przewalski, une chienne et deux philosophes.
Épopée inter-espèces
Cependant dans sa mémoire plane toujours l’histoire de La baleine. « La question de la relation au vivant a toujours nourri mon travail, assure Sylvère Petit. Je me suis mis à rêver d’une grande épopée pour ce cétacé, un sujet de fond sur la régénération du vivant. »
Dès 2018, il entraîne dans ce projet Serge Lalou et Sophie Cabon, producteurs des Films d’Ici Méditerranée, les Belges Iota Production et les Espagnols Imagic Telecom. Il reçoit notamment le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée, de la Région Occitanie, de la Métropole de Montpellier et de la fondation Gan.
Pour déployer ses personnages, il compte sur Lazare, une corneille, Blanche, une chouette effraie, le chien Couille-Molle mais aussi des homo sapiens : Sergi Lopez, (Corbac), Solène Rigot (Mathilde)… « La création inter-espèces se fait dans l’observation et dans l’action, confie le réalisateur. Il faut passer beaucoup de temps en préparation de tournage pour saisir les personnalités des vivants et construire leurs personnages. Mais je sais très bien qu’au moment de tourner, ils nous réserveront des surprises… alors, nous devrons nous adapter. »
Travailler avec une espèce protégée, même morte, est interdit : l’équipe a mis quatre ans pour créer des partenariats inédits. C’est chose faite. Reste maintenant à attendre une baleine échouée, Sylvère Petit s’est fixé deux hivers : « Nous avons quatre tournages séparés. Une équipe est en attente, prête à réagir dès qu’une baleine échouera sur une plage française. Nous avons mobilisé le financement et la logistique, et nous sommes encadrés par Pelagis, coordinateur du Réseau national d’échouages, et par le Muséum national d’Histoire naturelle de Paris. Grâce à l’association Regard du Vivant, nous avons déjà pu tourner des images de rorqual vivant. Une équipe réduite est dédiée au tournage du plancton, sous microscope et en aquarium. Enfin, une équipe complète est mobilisée sur le tournage classique qui va démarrer courant janvier/février. »
Au-delà de la dichotomie fiction/documentaire animalier, Sylvère Petit ouvre à l’infini le champ des interactions entre espèces vivantes. Une expérience cathartique, pour lui comme pour le spectateur.
La Baleine, diffusion prévue en 2027.
La constellation de la baleine
Le long métrage La baleine draine avec lui tout un panel de projets interdisciplinaires autour du vivant, faisant dialoguer cinéma, sciences et publics. La structure La constellation de la baleine accompagne toutes les étapes de création de ce premier long métrage, menant des actions concrètes – expositions itinérantes, dossier pédagogique, valorisation du squelette de la baleine, cycles de conférences, publications (livre, bande dessinée).
Légendes :
1- Quand le réel rencontre la fiction : l’acteur Sergi Lopez (à gauche) en compagnie du viticulteur Jean-Louis Fabre.
© Sylvère Petit
2- Reconstitué dans une cave, le squelette de la baleine sert de perchoir à une chouette effraie.
© Sylvère Petit
3- Sylvère Petit
© Nathan La Graciet