Art contemporain et vin ; culture artistique et culture de la vigne ; les deux disciplines s’assemblent de plus en plus fréquemment au cœur des domaines viticoles d’Occitanie, comme les cépages dans les fûts ou les couleurs sur la palette du peintre. Et si la tendance est ancienne dans le vignoble bordelais où les grosses fortunes ont depuis longtemps perçu les bénéfices de cette alliance en termes d’image de marque, la greffe a pris plus récemment dans la région Sud de France, portée par le spectaculaire essor de l’œnotourisme. Dans la dernière décennie, les domaines viticoles ont su élargir leurs activités – théâtre, concerts, cinéma dans les vignes, restaurants, chambres, etc. –, l’alliance du vignoble et du tourisme se révélant de plus en plus porteuse pour attirer plus d’acheteurs de vin et capter les touristes des autres régions comme le confirmera, cet été en région, une programmation culturelle dense : au château de Jau en Roussillon, propriété viticole dotée d’un centre d’art contemporain depuis 1977 (lire encadré), l’exposition « Dominique Gaultier, l’autrefois d’à-Présent » consacrée à cet artiste habitué des centres d’art institutionnels (centre Georges Pompidou, CRAC de Sète ou musée de Céret) lancera comme de coutume la saison estivale en Pays catalan. Cette exposition, qui occupe trois lieux différents, investit également le centre d’art À cent mètres du centre du monde et le musée Hyacinthe Rigaud à Perpignan. Dans l’Hérault au Mas de Daumas Gassac, ce sont deux figures du jazz, André Manoukian et China Moses, qui interviendront lors de « Jazz sous les étoiles » (le 13 juillet), concert ultra-sélect réservé aux clients de ce domaine star en Languedoc. Vers Saint-Chinian, château Castigno organise son 3e Art Mercat pour les Journées du Patrimoine (le 22 septembre, de 11h à 17h). Tandis que l’appellation de vin rouge Minervois-la-Livinière s’associe, pour ses 20 ans, à In Situ 2019, manifestation estivale de la Région Occitanie avec « Livini’Art », parcours d’art faisant intervenir quatre artistes dans des sites patrimoniaux lors de soirées œno-gastronomiques associant les vignerons du cru (les 21 juin, 24 juillet, 7 et 30 août). « Les vignerons partagent avec les quatre artistes exposés une valeur commune de création puisqu’ils sont également des artistes qui façonnent le paysage », commente Marie-Caroline Allaire-Matte, commissaire d’exposition qui a choisi les artistes et conçu le parcours.
Des architectes au chevet du vignoble
Dans certains domaines, l’offre culture est si ambitieuse que l’on peut venir uniquement pour elle. À Assignan, château Castigno défrayait la chronique l’été dernier avec l’inauguration de sa cave inspiré du sculpteur land art Andy Goldsworthy. En forme de bouteille de vin géante, elle est entièrement recouverte d’écorce de liège, en harmonie avec la philosophie « slow tourisme » et la gamme biologique des vins du domaine. Poussant sa vision spectaculaire dans les moindres détails, l’architecte belge Lionel Jadot a placé la salle de dégustation, avec vue sur les vignes, dans le goulot de la bouteille. Ce geste architectural fort vient parachever l’œuvre de Marc et Tine Verstreaete, tombé sous le charme des vignes d’Assignan et de château Castigno. L’offre œnotouristique du couple flamand intègre trois restaurants dont un étoilé et des chambres d’hôtes éclatées dans ce village héraultais façon village de Gaulois.
Du 16 au 21 juillet séjourneront sept solistes du Philarmonique de Bruxelles qui se produiront sous forme de concerts pop-up dans les vignes, dans l’église du village, sur la place, dans les restaurants ou encore dans la cave du château.
Plus discrètement, le Mas de l’Oncle, au cœur de l’appellation Pic Saint-Loup, inaugurait également l’été dernier son chai flambant neuf confié à l’architecte Rudy Ricciotti (qui signe notamment le Mucem à Marseille, le Mémorial de Rivesaltes et le Chai des Moulins, à Sète).
De l’avis de ces différents vignerons, l’art et le vin s’attireraient l’un l’autre. On n’en proposerait pas une prestation touristique de plus, une cuvée spéciale ou une énième exposition/spectacle, mais un projet global, un art de vie plus qu’un art des vignes.
Les caves coopératives s’y mettent
Quoi qu’il en soit, le lien avec l’art semble s’avérer pertinent pour fonder le caractère luxueux d’une stratégie de marque pour la dive bouteille ou lui donner du corps. « Le vin est un produit à part, un produit d’exception à forte charge culturelle et symbolique qui se marie très bien avec l’art puisque le vin, ce ne sont pas des boulons mais des raisins chaque année différents, avec un effet millésime, une âme des vignerons qui le font, c’est de l’art », affirme Yves Borel, le président de la cave de Saint-Chinian. Avec le projet l’Art en cave® initié en 2013, les vignerons de cette coopérative de l’appellation Saint-Chinian ont confié la réfection de leurs cuves à des artistes : Christian H, Aurel, Miss Tic, Jean-Paul Bocaj, ou plus récemment Laura Chaplin, dernière artiste à intervenir cet été avec une fresque inaugurée le 26 juillet. « La cave avait besoin d’un sérieux relooking. On a décidé de proposer à des artistes de s’exprimer dessus », explique Yves Borel. Onze fresques ont ainsi été réalisées sur ce site industriel en activité que l’on peut visiter le week-end (sur rendez-vous). Associée à une cuvée d’exception, chaque œuvre est représentée sur l’étiquette des vins, mais l’original reste à la cave. Pour le mettre en valeur, les viticulteurs de Saint-Chinian ont décidé d’ouvrir ce lieu d’art contemporain aux visiteurs toute l’année. Après des travaux pour un montant de 500 000 euros, intégrant la réfection du caveau de vente, l’inauguration est prévue au printemps 2020. Elle associera pour la première fois un lieu d’art contemporain à un site de production en activité.
Château de Jau, l’avant-gardiste du Roussillon
Au château de Jau, propriété viticole de la famille Dauré à Cases-de-Pènes, à 20 km de Perpignan, la vigne ne suit pas le chemin tracé par l’art, les deux vivent leur vie en toute autonomie. C’est rarissime. Et imputable à Sabine Dauré qui a été pionnière de l’alliance entre art et vin en France en investissant une ancienne magnanerie pour y créer, en 1977, un espace d’art contemporain au milieu des vignes. « Cette aventure de l’art n’a jamais été pour moi un désir de donner une image du vin, je l’ai fait parce que, en tant qu’épouse de vigneron, je m’intéressais sincèrement aux arts et que j’ai appris beaucoup des artistes, ils m’ont donné plus que ce que j’ai contribué à faire pour eux », confie cette férue d’arts plastiques. Les plus grands artistes ont défilé au château de Jau. Dans les 700 m2 de la magnanerie, dont la charpente libérée permet de monter de grands formats, César, Tapiès, Arman, Debré, Martinez, Robert Combas, Ben, Deschamps, Vincent Bioulès, ou l’été dernier Bernard Dufourt, pour les 40 ans de l’espace d’art contemporain. Sabine Dauré a ainsi « fait de l’œnotourisme sans le savoir car ce concept n’existait pas. Dans le Médoc, le baron Philippe de Rothschild faisait visiter sa collection d’art sur rendez-vous, les Fonds régionaux d’art contemporain (FRAC) n’avaient pas encore été créés par Jacques Lang », raconte-t-elle. Interrogée sur les origines de ce lieu unique, Sabine Dauré cite deux événements fondateurs : la visite du musée d’art contemporain Louisiana à Copenhague qui a inspiré « la formule du restaurant (le Grill de Jau, NDLR) et du centre d’art contemporain, c’est-à-dire un espace présentant les œuvres de gens vivant et contestant un peu ce qui avait été fait avant eux », énonce-t-elle. Et la chance d’avoir côtoyé de grandes figures de l’art, comme Catherine Millet, confondatrice de la revue artpress avec qui elle entretient une amitié de trente ans, ou le marchand d’art Daniel Templon. « Il m’a fait immédiatement cadeau de son savoir et de ses collections », admet celle qui se reconnaît avant tout comme « ayant été bien conseillée, bien entourée ». « C’est une chose d’aimer les arts plastiques, c’en est une autre de choisir ce que l’on va exposer avec un minimum de stratégie. C’est une activité qu’on ne peut pas exercer en solitaire ; vous êtes dans un milieu, vous chantez l’air du temps parce que vous êtes dans ce milieu-là », conclut Sabine Dauré.
Exposition « Dominique Gauthier, l’Autrefois d’à-Présent été 2019 », du 14 juin au 22 septembre à l’Espace d’Art Contemporain
Château de Jau, 66600 Cases de Pênes,
Tél : 04 68 38 90 10.
www.chateaudejau.com
ET AUSSI…
L’art au château de l’Hospitalet, à Narbonne
Concerts de jazz et de variétés, expositions diverses et variées, l’art a toujours eu une place au château de l’Hospitalet, de Gérard Bertrand, surnommé le prince des Corbières, qui gère de main de maître son immense domaine viticole, planté dans le massif de la Clape (route de Narbonne-Plage) avec hôtel et restaurant, et une attention toute particulière pour une culture en bio et biodynamie de son vignoble.
Au programme de cet été.
– Expositions de photographies de Nikos Aliagas, Des racines & des hommes. Jusqu’au 3 novembre, Espace d’art. Entrée libre, 7/7, de 9 h à 19 h.
– Les Vendredis du jazz, dîner concert-jazz avec repas accord mets-vins, tous les vendredis.
– Accueil d’artistes en résidence
– Festival Jazz à l’Hospitalet. Depuis 2004, le château organise durant l’été cinq nuits dédiées à la musique et au savoir-vivre. La 16e édition du festival Jazz a lieu du 24 au 28 juillet. Le domaine se transforme et vibre au rythme des plus grands noms de la musique… Au programme : Melody Gardot le 24, Graig David le 25, Ben L’Oncle Soul le 26, Zazie le 27 et Lisa Simone & Big Band Garonne le 28 juillet.
04 68 45 28 50 – www.chateau-hospitalet.com/jazz-arts
Les huiles tout en art de La Mouche, à Béziers
Trois salles d’exposition, un parc de sculptures, au cœur d’une oliveraie et d’un moulin à huile… Le domaine oléicole de Pradines-le-Bas, de Francine et Jean-Michel Buesa, route de Corneilhan, à Béziers, expose, dans son espace d’art nommé La Mouche, de grands noms d’artistes contemporains.
Du 14 juin au 30 septembre, La Mouche accueille l’exposition Ombre sculptée, de très grandes sculptures colorée de Jean-Paul Moscovino, à l’ombre des oliviers et autres arbres du parc du domaine. Jean-Paul Moscovino sculpte la couleur comme on joue avec la peau d’un fruit pour en reconstituer l’apparence… Et cette ambiguïté du matériau résume toute la magie et les interrogations du passage d’un monde dans l’autre : la forme existe-t-elle grâce au plein ou grâce au vide ?… La vie est ainsi faite d’équilibres amoureux entre matériel et spirituel, visible et invisible, fini et infini…
Les visiteurs peuvent également découvrir le travail et le fruit du travail de l’oléicultrice Francine et toute sa gamme d’huiles d’olive et ses différentes cuvées de qualité, produites dans le plus pur respect de la tradition oléicole du Midi de la France.
Renseignements au 04 67 30 63 52, 06 11 73 65 62, contact@lamouche-art.com – lamouche-art.com
Culture, patrimoine et art au château de Perdiguier, à Maraussan (34)
Inscrit à l’inventaire des Monuments historiques, le château de Perdiguier, à Maraussan, à côté de Béziers, est un véritable château médiéval. Son histoire commence en 1280, avec la Bastide d’En Auger, acquise en 1291 par le roi de France Philippe IV le Bel. Une belle et longue histoire que les hôtes de ces lieux, la famille d’agriculteurs Ferracci (vignes, céréales, plantes aromatiques bio, agroforesterie, noyers), se feront un plaisir de vous conter.
Notamment lors de visites des peintures murales découvertes dans la tour sud-ouest. Admirablement restaurées et interprétées par Eleen Maitland, les peintures réalisées a secco sur un mortier avec des pigments liés à la caséine datent de la première moitié du XVIIe siècle. À cette époque, la tour encore aveugle tenait lieu de cabinet secret, ce qui lui vaut l’excellent état de conservation de ces décors.
En 2014, le dessinateur Plantu a choisi le Vin des filles (rouge) pour illustrer son étiquette. Une œuvre en édition limitée. Le domaine expose aussi régulièrement des artistes de la région ; cet été, ceux de la galerie Empreinte bis (jusqu’au 17 août).
Le château de Perdiguier, dont les cultures sont en bio ou reconversion bio, est ouvert au public du lundi au samedi de 10h à 12h30 et de 15h à 19h. Avec dégustation des vins, visites commentées du chai, des fresques, des cultures…
www.domaineperdiguier.com. 04 67 90 37 44
Château Capion, art et musiques actuelles, à Aniane (34)
Folie viticole lovée en pleine nature entre Aniane et Gignac, Château Capion s’est lancé dans l’aventure du bio et de l’œnotourisme après son rachat en 2016. Le domaine classé en AOP Terrasses du Larzac, en conversion bio (45 hectares de vignes), se démarque aussi par son approche culturelle.
En 2017, le château du XIXe siècle ouvre pour la première fois ses portes au public. Toute l’année, les visiteurs peuvent y déguster les vins du domaine. Et depuis trois ans, événements artistiques et rencontres vigneronnes intensifient leur rythme, été comme hiver.
Cette rencontre entre art et vignoble a commencé avec le Sonambule, salle de concerts de musiques actuelles de Gignac, qui co-produit plusieurs concerts dans le cadre de sa programmation estivale Itinéraire Bis. Le MoCo (Montpellier Contemporain) renouvelle cette année ce premier partenariat local entre le public et un privé avec la résidence artistique de Baptiste Roca, jeune artiste issu de l’école des Beaux-Arts de Montpellier. Ce dernier a passé un mois en immersion au domaine et exposera du 12 juillet au 8 septembre. Les liens interdisciplinaires se multiplient : exposition photo dans le cadre du festival les Boutographies, ouverture du festival TangOsud, soirée sous les étoiles avec l’Observatoire astronomique d’Aniane, brocantes, accords mets et vins avec des chefs invités…
Château Capion joue la carte de l’ouverture toute l’année : espace pique-nique, prêt de barbecues, raquettes (un terrain de tennis se trouve sur le domaine), de VTT, jeu géant d’échecs, et accès libre dans le parc et son parcours pédagogique dans les vignes.
De juin à septembre, ouvert tous les jours de 10h à 18h30.
D’octobre à mai, du lundi au samedi de 10h à 18h.
agenda-chateaucapion.com – 04 67 57 71 37
Les Folies Fermières, Garrigues (81)
Il faut se dépêcher : « Les Folies Fermières », le premier cabaret à la ferme de France, affiche presque complet jusqu’en octobre. La formule séduit : un repas « locavore », servi par les agriculteurs et suivi d’un show. Le lever de rideau remonte à quatre années à peine. David Caumette et sa femme Lætitia veulent sauver l’exploitation familiale, le dernier élevage de bovins de Garrigues. La vente directe et l’ouverture d’une boucherie-charcuterie ne suffisent pas, pas plus que la ferme-auberge approvisionnée à 51 % par les produits de la ferme. Le couple décide de se donner au spectacle, au cabaret. Le coup de maître est salué par la Région Occitanie, qui élit en 2016 « Les Folies Fermières » coup de cœur du 5e concours « Coup de Pouce ». S’ensuit un grand succès public et médiatique qui laisse pantois David : « Je n’aurais jamais cru qu’un jour je promènerais en tracto-train toutes les miss du département, et encore moins dans le champ des vaches ! » s’étonnait-il dans un énième reportage télévisé.
https://lesfoliesfermieres.com
Le fût de scène d’Olivier de Maurepas
Comédien et vigneron, Olivier de Maurepas attaque cet été sa dixième saison artistique. Et dans le ciel de Vias-Plage (Hérault), plus exactement de Farinette, sourit sûrement Dionysos, dieu grec du vin et du théâtre, lorsqu’il se penche sur Saint-Pierre, le seul domaine viticole de la station balnéaire du littoral héraultais. Là, entre pavillons résidentiels et villages vacances, non loin de la mer et des parcs d’attractions, Olivier de Maurepas soigne ses vignes comme sa diction. L’homme de la terre et des planches a monté et ouvert son petit café-théâtre, le Fût de Scène, en 2010.
45 places, au cœur du vignoble, niché dans les caves du domaine familial, ce lieu de culture propose durant les mois de juillet et d’août, les mercredis, jeudis et vendredis, trois pièces de théâtre. Avec, parmi les comédiens de la Compagnie du Jeudi, Olivier de
Maurepas. « J’ai connu le théâtre au collège, en sixième. J’ai tellement accroché que je me suis inscrit au club de
théâtre. Depuis, je n’ai pas arrêté. » Un écologiste amoureux d’une bonne bourgeoise un soir (Les Bons bourgeois, écriture et mise en scène de René de Obaldia), un accessoiriste qui voudrait bien être un artiste le lendemain (Sonate en si seulement, de et par Olivier de Maurepas, Ulrike Van Cotthem, Conrad Wilkinson) et un rappeur raté et râpé le troisième soir (Sérieux s’abstenir, de et par Olivier de Maurepas et Christophe Parra)… Ses différents personnages nocturnes se succèdent comme ses millésimes, qu’il partage volontiers et toujours avec passion, que ce soit avec ses amateurs de vins ou les spectateurs. Souvent les deux à la fois.
Tous les jours, il soigne ses 30 hectares de Merlot, Cabernet Sauvignon et Cabernet Franc pour produire environ 1 500 hl de nectars par an.
Depuis l’année dernière, la Compagnie du Jeudi tourne aussi dans les théâtres du Biterrois.
info@lefutdescene.com – www.lefutdescene.com
Le Fût de Scène, Domaine de Saint-Pierre – Avenue de la Méditerranée 34450 Vias-Plage