DANCE constitue l’une des pièces maîtresses de l’œuvre de la chorégraphe américaine Lucinda Childs. La décomposition du mouvement est envisagée avec une précision et une grâce inaltérable. Pour Jean-Paul Montanari, elle « restera la pièce emblématique de ce courant américain dont elle est un des sommets ». Passée d’émergente à mémoire chorégraphique, cette danse postmoderne à la signature épurée sera l’événement du festival. Rencontre avec la chorégraphe new-yorkaise.
Le titre de la pièce, DANCE, mêle à la fois le nom et le verbe. Il désigne le sujet et incite à la pratique. Avez-vous pensé cette double sémantique ?
Le travail de création est effectivement minimaliste, postmoderne et néoclassique. Mais au final, pour nous trois, Philip Glass, Sol LeWitt et moi-même, la discussion autour du titre nous a amenés à une conclusion commune, validant qu’il s’agirait seulement de DANCE, sous forme de nom. Pure et simple, en réalité. Nous avons décidé de l’appeler comme ça.
DANCE est donc la quintessence de votre art ? Vos déplacements et vos mouvements sont si précis…
Bien sûr, j’accorde une importance particulière dans la mesure des temps, puisque cela permet d’explorer les possibilités d’interaction entre les danseurs dans l’espace et le temps. Ceci découle directement de l’influence exercée par John Cage au début des années 60, lorsque l’on utilisait la « chance method », afin de s’extirper du royaume des choix personnels dans l’acte de création.
Philipp Glass avait composé le livret d’Einstein on the Beach. Et vous avez aussitôt décidé de retravailler avec lui…
À l’époque d’Einstein on the Beach, en 1976, nous avons décidé de collaborer à nouveau ensemble afin de créer une pièce pour l’avant-scène mais à partir d’une esthétique contemporaine, émanant d’artistes contemporains. Robert Wilson a ouvert la voie en respectant cette optique. Avant Einstein on the Beach, je n’avais travaillé que dans des lieux alternatifs.
Vous êtes-vous investie dans le processus musical ?
Bien que je n’étais pas au cœur même de la création musicale, nous avions décidé avec Philipp, que chaque section devrait comporter une durée approximative de 20 minutes, tout en alternant l’ensemble et le solo.
Vous avez ajouté un élément scénographique vidéo pour le moins inédit en 1979. Ce processus vidéo met l’accent sur le mouvement dans des proportions immenses.
Comment avez-vous travaillé l’image avec Sol LeWitt ?
Sol LeWitt était un ami de Philipp Glass et il soutenait énormément la communauté du centre-ville de New York. Il a accepté de travailler avec nous mais ne voyait aucun intérêt à créer un décor au sens traditionnel. Nous avons finalement fini par tomber d’accord que le fait que les danseurs constitueraient eux-mêmes le décor. Pour cela, il a voulu filmer des extraits de la chorégraphie en noir et blanc sur du 35 mm. Dès lors, le danseur sur scène agit simultanément avec le danseur qui apparaît sur l’écran. Je pense que ce concept, ce parti pris, provenait de son intérêt pour la photographie de Muybridge (NDLR : Photographe du XIXe siècle connu pour sa décomposition du mouvement humain et animal).
Maintenant que vous avez recréé DANCE avec le Ballet de l’Opéra de Lyon, comment envisagez-vous la pièce ?
Les danseurs du Ballet sont très différents de ceux de avec qui j’ai travaillé en 1979, mais la chorégraphie n’a pas du tout été modifiée. Elle suit exactement la partition que j’ai autrefois créée. Mais il y a des différences de style, particulièrement dans les mouvements du haut du corps et bras que je ne voulais surtout pas que les danseurs du Ballet essaient d’imiter. C’est pourquoi il était important pour moi de tourner à nouveau le film avec eux et j’en suis très reconnaissante à la réalisatrice Marie Hélène Rebois d’avoir rendu cela possible.
Peut-on dire que DANCE est un monument dans l’histoire de la danse contemporaine ?
Je pense que ce n’est pas vraiment à moi de le dire. Mais je suis très honorée que la pièce soit restée dans le répertoire de ma compagnie durant presque quarante années et qu’elle ait rejoint aujourd’hui celui du Ballet de l’Opéra de Lyon.
Propos recueillis par téléphone en avril 2017.