Pierre, 60 ans, se souvient de ses années d’étudiant quand il prenait des cafés Place du Capitole : « Les bus avaient encore le droit d’y stationner, quand ils démarraient, ils nous crachaient à la figure des nuages de fumée. » C’était il y a quarante ans. « Moi, aussi j’ai arrêté de fumer depuis ! C’était une autre époque. » L’époque où le mythique bus « accordéon » n° 148 emmenait les étudiants à la fac du Mirail. Entassés. Au plus fort des embouteillages, qui asphyxiaient littéralement la ville, il mettait une heure et demie. Aujourd’hui, ils arrivent à l’université, rebaptisée Jean-Jaurès, en une trentaine de minutes grâce au métro, qui fête cette année ses trente ans d’existence.

« Pourquoi pas une tour Eiffel ? »
Plébiscité, ce métro automatique, largement sous-dimensionné pour une agglomération de cette importance, a été victime de son succès. « Un mois après son ouverture nous avions atteint le nombre de passagers que nous avions prévu au bout de trois ans », rapporte Francis Grass, l’ancien directeur de la Semvat, l’autorité organisatrice des transports en commun, aujourd’hui Tisséo. Le choix s’est porté sur le VAL (véhicule automatique léger), premier métro entièrement automatisé, inventé par un ingénieur lillois, inauguré en première mondiale dans la capitale nordiste en 1983. La gauche toulousaine ferraillait pour le tramway. Le journal Libération rapporte les propos d’un cacique du PS de l’époque « Un métro ? Et pourquoi pas une tour Eiffel ? ».
En 1985, quand le syndicat mixte des transports en commun (SMTC) vote pour choisir entre le métro et le tramway, le métro arrivera en tête d’une seule voix, uniquement parce que celle du président du SMTC, Guy Hersant, sans étiquette, mais élu sur la liste du maire Dominique Baudis (centre droit), compte double. En rejoignant Paris, Lyon, Lille et Marseille, Toulouse devient la première agglo de moins de un million d’habitants à se doter d’un métro. Si l’agglomération toulousaine a dépassé ce nombre aujourd’hui, ils n’étaient que 700 000 en 1993. « Le dogme d’alors affirmait que si une ville ne comptait pas plus d’un million d’habitants, elle n’avait pas besoin de métro », rappelle Francis Grass.

Métros bondés
Face à ces réticences et à la réputation des Toulousains d’être attachés à leur voiture, la municipalité pense qu’un métro court et fréquent – il passe une rame toutes les minutes – suffit. Mais aux heures de pointe, c’est la cohue. La ligne A, qui relie Basso Cambo à Balma-Gramont, est vite saturée. « Les métros étaient bondés le matin. Il fallait en laisser passer cinq ou six pour pouvoir monter », se souvient Claire, 30 ans. « Parfois on avait les joues écrasées contre les vitres tellement on était serrés. » Il faudra attendre 2020 pour que le nombre de rames soit doublé et passe de 230 000 voyageurs/jour à 400 000. Entre-temps une deuxième ligne de métro a été construite ainsi qu’un tramway. La ville, qui a multiplié les pistes cyclables et profité de l’essor des transports en commun pour se transformer, respire. La ville, pas l’agglo ! « La périphérie est congestionnée, les deux lignes de métro ne vont pas assez loin », regrette Marc Péré, maire de l’Union (DG), une commune de 13 000 habitants, à sept kilomètres de Toulouse. Le périphérique est saturé le matin et dès 16 heures, tout comme les parkings aux terminus des lignes. « À la station Borderouge, terminus de la ligne B, le parking est complet dès 8 h 30 le matin. Pourquoi on ne construit pas un étage ? Pourquoi il n’y a pas une ligne de bus en site propre qui ferait tout le tour de la ville ? Les gens qui sont aux manettes ne croient pas aux transports en commun ! », tonne-t-il.

Téléphérique : 86 ans après
Régler les problèmes de circulation dans la ville de France qui gagne le plus d’habitants chaque année est un casse-tête permanent. « C’est un peu comme si en dix ans on avait rajouté la population de Saint-Étienne à Toulouse », indique Francis Grass. Le métro a enregistré 180 millions de validations en 2022 et la fréquentation progresse régulièrement. Le réseau de transports toulousain est le plus fréquenté après celui de Paris. La troisième ligne de métro, plus longue que les deux premières lignes réunies, mesurera 27 km et devrait ouvrir en 2028, après six ans de travaux. Elle reliera Colomiers à l’ouest de Toulouse, à Labège au sud-est, et coûtera 3,5 milliards d’euros. Il s’agit du deuxième plus gros chantier de France après celui du Grand Paris express. Ce projet compte de nombreux détracteurs dont la fédération les Amis de la Terre qui a déposé un recours au tribunal administratif de Toulouse, contre l’arrêté du préfet de la Haute-Garonne accordant l’autorisation environnementale à la réalisation de cette troisième ligne qui porte atteinte, selon l’association, à 78 espèces protégées. Ce recours (qui a été rejeté) mettait en avant des scénarios alternatifs, plus sobres énergétiquement, qui auraient mieux desservi l’agglomération en l’irriguant en étoile. Ils proposaient notamment des lignes de RER cadencées toutes les quinze minutes qui auraient traversé l’agglo diamétralement. Par ailleurs, le dernier PDU (plan de déplacement urbain) valide, les autres ayant tous été annulés depuis, date de 2012 et ne comporte aucune référence à une possible troisième ligne de métro. Ces annulations du PDU ont été décidées à la suite d’un recours déposé par l’Association 2 pieds 2 roues mettant en avant la faiblesse du budget dédié à la politique cyclable et l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre de 9 %, dans le plan alors que la loi de transition énergétique vise une réduction de 40 % de ces gaz d’ici à 2030. Si l’annulation du PDU n’a aucune conséquence sur la construction de la troisième ligne, le prochain PDU, pour être accepté, devra être nettement plus ambitieux en matière de nouvelles mobilités et notamment en ce qui concerne les déplacements actifs. L’opposition politique de son côté redoute également que cette troisième ligne n’absorbe tous les financements disponibles et n’entraîne des économies dans la maintenance du réseau et des reports dans l’achat de matériel ou le développement de lignes de bus ou de tramway.
Le téléphérique, qui a été inauguré en mai 2022 et a fêté son million de titres validés en six mois, n’aura coûté que 86 millions d’euros. Là aussi, la municipalité a dû braver les moqueries. « Quand l’idée de construire un téléphérique a été lancée, la proposition a été prise à la rigolade, on disait que les téléphériques, c’était bon pour le ski », déclare Francis Grass, auteur d’un livre sur le sujet, « Téléo, un téléphérique urbain à Toulouse » (Privat). Relié au réseau de transport toulousain, Téléo mesure 3 km, c’est le plus long de France. Il relie l’Oncopôle, bâti à la place de l’ancienne usine AZF, le CHU et l’Université de Rangueuil. La première fois qu’un téléphérique à Toulouse a été évoqué, c’était en 1936. Le projet a été emporté par les premières secousses de la Seconde Guerre mondiale. Il faudra attendre 86 ans pour que les cabines s’élancent au-dessus de la ville.

Légendes photos :

• Le design de la future ligne C veut évoquer le « ciel, reflet du territoire et de ses lumières. »
© projetsmetro.tisseo.fr

• Maquette 3D de la future station Ormeau.
© Copie d’écran www.projetsmetro.tisseo.fr