« Une programmation audacieuse. » C’est ainsi que Philippe Quesne, auteur et scénographe de La Ménagerie de Verre à Paris, se plaît à décrire le festival Constellation. Cette année, il est l’invité principal de l’événement intitulé « Spectres, revenants et autres fantasmagories » qui se tiendra du 20 au 29 mars 2024 au Théâtre Garonne de Toulouse. Lui présente Fantasmagoria, un spectacle sans interprète où des pianos mécaniques prennent vie sur la musique de Pierre Desprats. Pour cette semaine théâtrale, Philippe Quesne n’est pas seulement artiste et scénographe. Il endosse également le rôle de programmateur aux côtés de Stéphane Boitel, directeur adjoint de l’établissement. En novembre 2022, après avoir découvert Fantasmagoria, ce dernier échange avec Philippe Quesne. « On s’est raconté les choses qui gravitent autour de son œuvre, ce qui l’avait influencé et ça dessinait déjà Constellation », explique-t-il.

Faire danser les morts pour célébrer la vie
Constellation décortique un sujet parfois tabou : la mort. Un mot et voilà déjà que les spectateurs tremblent. Pourtant, ce « ne sera pas d’une infinie tristesse », rassure Philippe Quesne. Les interprètes, danseurs, écrivains et poètes invités sur scène « sortent du sujet en évoquant le souvenir, la mémoire, l’absence de visibilité », confie Stéphane Boitel. « Le théâtre et la fiction de manière générale réveillent les morts ou ne laissent pas partir les vivants. Tout le monde a déjà expérimenté l’absence – et pas forcément la mort d’un individu. Notre boulot, c’est de partager des choses communes qu’on n’a pas l’habitude d’évoquer. Avec cette Constellation, on veut remettre la force de la vie sous les yeux des spectateurs. »
On pourra donc rire en découvrant Rituel 5 : La Mort d’Émilie Rousset et Louise Hénon, où les croyances et représentations liées à la mort sont décortiquées. Quant aux lettres d’adieu lues et dansées par Michikazu Matsune dans son spectacle Goodbye, leur tendresse viendra parfois titiller le rire. De son côté, Samir Kennedy se met à nu dans The Aching en faisant danser son propre chagrin pour transformer la douleur en un rêve fiévreux. Tout autant d’artistes qui ont, plus ou moins, oeuvré aux côtés de Philippe Quesne.

Réunir les publics différents
Constellation a pris racine sur un constat, détaille Stéphane Boitel. « Le public se polarise sur plusieurs sujets : ceux qui veulent être rassurés en allant voir des noms connus et ceux qui, au contraire, veulent du frais, du nouveau. » Concilier les deux n’est pas toujours évident, pourtant, c’est ce que le festival s’attache à faire. Comment ? « On a eu l’idée de confier l’organisation du festival à une figure connu du théâtre [Philippe Quesne, ndlr]. Cela permet de prendre les gens par la main, mais aussi de faire découvrir des artistes pas connus à Toulouse. »
Pour cela, ceux ayant déjà travaillé avec le metteur en scène ont été sélectionnés. On peut notamment citer Laura Vasquez, une écrivaine « très importante » pour Philippe Quesne. « Ses textes se retrouvent dans Fantasmagoria et elle a aussi travaillé sur une autre de mes œuvres, Le Jardin des délices. Son travail d’écriture va vraiment inspirer les autres artistes. » Le scénographe ne dit que du bien d’Isabelle Prim, une réalisatrice qui prête sa voix dans Fantasmagoria ou encore de la danseuse et chorégraphe Ola Maciejewska. « Je trouve ça bien de pouvoir montrer leur travail », ajoute Philippe Quesne. Différents publics seront ainsi amenés à se croiser et à découvrir les univers et disciplines des artistes. Une programmation faite « pour s’autoriser à se perdre en chemin », conclut Stéphane Boitel.

Fantasmagoria : un hommage au passé
Pour ce qui est de Fantasmagoria, Philippe Quesne a vu son désir « de mettre en scène une pièce sans acteur et danseur » émerger. Tout est parti d’un objet d’anciens spectacles qui ne servait plus : un piano mécanique. Lui vient alors l’envie de mettre en scène un cimetière de pianos. Pour cela, il lui faut en récolter davantage et c’est sur Leboncoin qu’il poste une annonce. « J’ai reçu beaucoup de messages de veuves de pianistes. L’instrument était devenu un objet de décoration, recouvert de napperon ou de pots de fleurs chez elles. » Finalement, beaucoup adhèrent au projet de Fantasmagoria et souhaitent lui « confier leur piano pour leur redonner vie ».


« C’est un cimetière de pianos, mais vivants. C’est comme s’ils ressuscitaient et se répondaient par leur mélodie », lance Stéphane Boitel. Cette œuvre, c’est un double hommage. À ces musiciens disparus déjà, mais aussi aux spectacles de foires du XVIIe siècle : les lanternes magiques. La fantasmagorie prend racine sous l’égide d’Étienne Robertson. « Il a essayé d’exorciser les peurs après la Terreur. Ces spectacles avaient quelque chose de magique avec leurs effets 3D générés par la fumée. » C’était les prémices du cinéma, martèlent Stéphane Boitel et Philippe Quesne. Dans son spectacle, la scénographe utilise également les textes d’Alan Kardec, fondateur du spiritisme. « C’est une forme de spectacle qui m’a rendu curieux et je voulais lui rendre hommage. » Le festival se clôturera en musique avec le concert performatif des Taupes. Un voyage dans les entrailles de la Terre pour réveiller les morts sur de l’électro punk.

Légendes :

1- Performance The Second Body d’Ola Maciejewska.
© Maria Baranova-Suzuki, Watermill Center

2- Fanstamagoria, le spectacle de Philippe Quesne.
© Argyroglo.

3- Michikazu Matsune dans son spectacle Goodbye.
© Maximilian Pramatarov.

4- Concert des Taupes géantes.
© Vivariumstudio.