La cosmogonie du spectacle L’Origine du monde tient un peu du hasard. Sur une brocante, Nicolas Heredia acquiert une pâle copie du célèbre tableau de Courbet. Alors qu’il s’interroge sur la valeur réelle des choses, de l’argent, de l’art – pourquoi pas ? – l’auteur-acteur sent qu’il tient le fabuleux prétexte d’une farce. C’est le produit de cette réflexion qu’il restitue sur scène, explorant méticuleusement tout élément apte à établir la valeur de ce qu’il convient désormais de nommer « son œuvre ». Il nous en livre un récit franchement drôle, fin, en un moment de théâtre inédit d’une heure. Programmé au Printemps des comédiens 2018, à la Baignoire, il a ravi un public attentif, constitué notamment de professionnels. Entretien.

Sans vouloir vous froisser, votre démarche artistique me fait penser à cet adage : « Quand le sage montre la lune, l’idiot regarde le doigt. » Mais c’est pour une bonne cause…
(rire) Oui, c’est vrai, je regarde le doigt ! C’est le cas dans Visite de groupe, c’est le cas ; dans l’Origine du monde aussi car, d’une certaine manière, il n’est jamais question du tableau, finalement.
D’où vous vient ce regard de côté ? De votre place au fond de la classe, lorsque vous étiez élève ? Regardiez-vous par la fenêtre ?
J’étais très bon élève ! Mais je crois en effet que c’est une façon de regarder le monde. Pourquoi ? Je n’en sais rien, mais je n’ai pas d’effort à faire pour choisir ce regard artistique. C’est le point de vue qui est le mien dans la vie. Probablement, je regarde le doigt quand on me montre la lune, alors de fait, quand j’écris, je parle du doigt ! Après il y a des influences, comme Perec dont je parle souvent. Perec est dans l’infra-ordinaire, sur le ras des choses… Est-ce lui qui m’a influencé ou bien est-ce que j’y suis sensible parce que c’est aussi ma façon de regarder ? C’est dur à départager. Dans l’art conceptuel, on rencontre aussi ce décalage.
Vous avez opté pour un style relativement récent dans le théâtre, de type conférence…
Pour l’Origine du monde, oui, même si on a des formes très différentes pour les autres spectacles. Je n‘aime pas trop le mot, mais, à la fois, les gens voient à peu près de quoi il s’agit. C’est entre la conférence, le jeu d’argent, la réunion Tupperware et le stand up ! Mais dans les années 70, les happenings, c’était un peu ça. Après, la forme s’est imposée d’elle-même ; j’avais une histoire à raconter qui m’était arrivée alors je l’ai écrite comme ça.
Vous êtes un artiste tout terrain : vous vous exprimez sur un plateau, mais aussi dans la rue, et par la photo, le graphisme, des médiums très différents. Un art total en quelque sorte ?
Oui, là aussi, ça vient sûrement de ma manière de regarder le monde, de capter quelque chose qui se passe autour de moi, qui m’arrive, de le cueillir et de le restituer de manière plus ou moins décalée. Cette cueillette peut produire quelques phrases, quelques photos ou dessins griffonnés, ou bien un spectacle d’une heure, avec une voix de synthèse pour créer Visite de groupe. Ça ne me fait pas peur de changer de médium. J’aime autant aller au spectacle que voir une exposition, ou aller au cinéma. Je ne vois pas de concurrence entre les médiums. Quand une question vient m’interpeller, je me demande quel est celui le plus adapté pour fabriquer un objet et y apporter ma réponse. Je ne fais pas de hiérarchie. Varier les contextes est également une vraie volonté. Jouer dans un théâtre, dans un musée, comme on l’a fait au musée Fabre, à la Panacée ou au MRAC, ça fait du bien, ça nourrit. C’est un cercle vertueux.
Et tout cela seul. Êtes-vous un individualiste forcené ?
C’est un faux individualisme, parce que je travaille avec une équipe fidèle. La Vaste entreprise a 11 ans. Gaël Rigaud qui trouve les solutions techniques pour que les spectacles puissent voir le jour est là depuis le début. J’écris seul, beaucoup. Après Marion Coutarel m’aide. On travaille ensemble depuis longtemps ; il y a une circulation d’idées qui se fait entre ses spectacles et les miens, et qui fait que les choses peuvent se faire. Il y a Sabine à la production, mais qui en fait un peu plus. J’aime les gens polyvalents, un peu couteaux suisses. Mais pourquoi je fais l’homme-orchestre ? Sans doute une volonté de contrôle, de pouvoir jouer toutes les dimensions de la partie, dans la limite de mes compétences. J’ai appris le graphisme parce que c’est un outil qui me sert, à faire du montage son, vidéo pour les mêmes raisons. Il y a la rapidité d’exécution aussi : pour qu’il y ait peu de temps entre l’idée et la réalisation. Comme Alain Cavalier qui a arrêté les productions traditionnelles et ne garde qu’une caméra. Pour qu’il y ait zéro temps entre l’envie et le faire. Je ne suis pas quelqu’un de très patient. J’aime bien que les choses aillent vite !
Votre compagnie s’appelle la Vaste entreprise, rien à voir donc avec une petite entreprise ?
Ça me faisait rire ! C’est une micro structure qui a été créée comme le sont en général les compagnies de théâtre, c’est-à-dire sur des bases ultra-fragiles et précaires. Surtout que je savais que je ferai un petit peu tout, ce qui est exactement l’inverse d’une vaste entreprise, du coup. Et, en même temps, il y a cette vaste entreprise qu’est le théâtre, l’art en général.
Le spectacle l’Origine du monde repose d’ailleurs sur une question de marketing.
Oui, j’aime bien jouer avec ça. Ça m’intéresse. Ce spectacle aborde la question de sa propre production. Certains artistes ne s’intéressent pas du tout à cet aspect-là du travail. D’autres au contraire s’y impliquent et ça marche bien. La manière dont on produit un spectacle, avec qui on travaille, comment, avec quels moyens, c’est déjà une réflexion que je trouve plutôt stimulante.
C’est aussi un ressort créatif ?
Et puis politique aussi.
Vous auriez pu partir d’un autre tableau, qui évoque la création du monde : la genèse de Michel Ange ? Mais c’est un sujet moins sexy ?
Non, ce n’est pas ça, il se trouve que ce matin-là, en passant par cette brocante, je suis tombé sur ce tableau qu’on a essayé de me fourguer pour 200 euros. Alors est-ce que j’aurais fait la même chose avec Le moulin de la galette, je n’en sais rien. Il se trouve que c’est l’histoire qui m’est arrivée. Après, ça me fait beaucoup rire que le tableau soit sous nos yeux et qu’il ne soit jamais question de son sujet. Mais j’aime le titre, L’Origine du monde, car au fond, parler de la valeur de l’argent, c’est aussi l’origine du monde.

En mars 2019, les 16 et 17 à 15h ; les 19 et 21 à 14h.
Ce spectacle est délocalisé au musée Fabre.
À l’issue de chaque représentation, le musée Fabre proposera deux visites guidées sur le thème du marché de l’art (sur inscription auprès du théâtre Jean Vilar). theatrejeanvilar.montpellier.fr

Autres dates : Encore des vestiges créé en collaboration avec le Parc national de la Narbonnaise dans le cadre d’« archives du sensible », sera restitué à sortieOuest : En février, lundi 18 à 19h, mardi 19 à 20h30 (tout public), église Saint-Félix, domaine départemental de Bayssan, Béziers. Également en tournée dans les collèges depuis novembre et jusqu’en janvier. www.sortieouest.fr

La collaboration avec le Parc national de la Narbonnaise a produit deux autres spectacles : Inventaire balnéaire et le diamètre du nombril.
www.parc-naturel-narbonnaise.fr