De mi-mai à mi-septembre, l’Occitanie tout entière dit son amour pour la littérature. En relater ici toute la portée de manière exhaustive prendrait l’allure d’un annuaire téléphonique ! Une chose est sûre : le lecteur aura de quoi se lécher l’index, qu’il tourne avidement les pages de science-fiction, polar, BD, saga familiale ou roman de mœurs.
Riad Sattouf en ethnographe de l’adolescence
Comme chaque année, c’est la Comédie du Livre qui a lancé les festivités le week-end des 17, 18 et 19 mai. Une 34e édition sous le sceau de la Suisse, mais pas que. Parmi les têtes d’affiche : Christine Angot et son trio amoureux dépeint dans « Un tournant de la vie », le sociologue Edgar Morin et sa bibliographie monumentale pour décrire la complexité du monde, ou encore Véronique Ovaldé pour « Personne n’a peur des gens qui sourient »… Sans oublier le talentueux Riad Sattouf, venu dédicacer le 4e opus de ses « Cahiers d’Esther ». L’adolescente a grandi. Elle a désormais 13 ans et entre en classe de 5e. En coulisse, l’auteur s’inspire des confidences d’une mystérieuse adolescente, qu’il recueille chaque semaine pour alimenter l’atmosphère et les réflexions de son héroïne. Un travail ultraréaliste donc, voire documentaire, que Riad Sattouf teinte d’une bonne dose d’humour. Et si les 70 000 visiteurs de la Comédie du Livre n’ont pas loupé le rendez-vous, c’est peut-être aussi parce que tous ces auteurs partagent un dénominateur commun : ils leur parlent de la vraie vie, de leurs angoisses, de leurs peurs, de leur quotidien ou de leur lit… Un ancrage dans le réel qui semble plus prégnant que jamais et qui a fait de cette nouvelle édition « l’une des cinq manifestations littéraires les plus célèbres de France », selon Philippe Saurel, maire-président de Montpellier Méditerranée Métropole.
Le réel fait roman à Toulouse
Le programme du festival international de littérature de Toulouse 2019, 15e Marathon des Mots, s’attaque cette année à 50 ans de littérature et de culture américaines, balisés par deux dates : 1969 et 2019. « L’idée a germé voilà deux années, pendant la préparation de la lecture du livre de Jean-Paul Dubois, “L’Amérique m’inquiète”, commente celui qui est en charge de la direction et de la programmation de l’événement. Parce que je m’interrogeais sur un pays, capable de passer de Kennedy à Trump en passant par Obama, il est apparu évident d’y répondre en présentant l’Amérique comme elle se vit et s’écrit. »
Une réponse engagée, un manifeste… « Qu’est-ce que ça peut te foutre, si je te l’ai fait prendre ? » dit en substance « La Prose du Transsibérien » de Blaise Cendrars, Publié en 1913, il illustre à sa façon cette question par son expérience, réelle ou pas, d’un voyage à bord du train mythique. L’auteur donne corps et texte, un demi-siècle avant la naissance du Nouveau journalisme aux États-Unis, à un genre littéraire transgenre : la « creative non-fiction », ou non-fiction narrative en français.
Si le Nobel de littérature, attribué en 2015 à la journaliste biélorusse Svetlana Aliexevitch pour l’ensemble de son œuvre, consacre le genre, la non-fiction est depuis longtemps ancrée dans la tradition littéraire et les habitudes de lecture outre-Atlantique : « Là-bas, les librairies possèdent des rayonnages conséquents, consacrés à ces œuvres qui prennent racine dans le réel tout en présentant la forme du roman », explique Serge Roué, lorsqu’il présente le chapitre « Les Écritures du Réel ».
À la suite de leurs illustres prédécesseurs (Capote, Mailer, Wolfe…), une dizaine d’auteurs français et américains partageront avec le public toulousain ce goût du réel et leurs expériences d’écrivains. Maggie Nelson (« Une partie rouge » ; « Les Argonautes »), en visite exceptionnelle en France, William Finnegan (« Jours barbares ») ou Alexandria Marzano-Lesnevitch (« L’Empreinte ») croiseront les Français Thibaut Solano (« La Voix rauque ») et Karine Moermont (« Grace l’intrépide ») notamment.
Toulouse et sa métropole. 15e Marathon des Mots, du 25 au 30 juin. https://www.lemarathondesmots.com
Frontignan est addict
Le réalisme, une tendance de fond donc, et qui devrait se confirmer encore à l’occasion du Festival international du roman noir de Frontignan, les 28, 29 et 30 juin. A cette occasion, la petite station balnéaire, qui a longtemps bénéficié du rayonnement de Fred Vargas, l’un de ses auteurs fétiches, mettra l’accent sur une thématique toute aussi actuelle : les addictions ! « C’est très large, détaille Estelle Girault, directrice de la Culture à la Ville de Frontignan. Cela peut concerner les drogues, l’argent, les réseaux, l’adrénaline, le pouvoir, les amours toxiques, etc. ». Invité d’honneur de cette 22e édition, l’Américain Kent Anderson est passé de l’ombre à la lumière grâce au succès de son énigmatique « Sympathy for the devil ». Plus récemment, « Un soleil sans espoir », paru en 2018 chez Calman-Lévy, remportait le Grand prix du roman noir étranger 2019 lors du festival international du film policier de Beaune. Au fil des pages, cet ex-policier et ancien soldat des Forces spéciales envoyées au Vietnam y décrit l’histoire d’Hanson, lui-même policier… et ancien soldat du Vietnam. Grâce à ce double romanesque, Kent Anderson exorcise ses obsessions passées et digère un vécu parfois trouble. Un véritable shoot de sensations fortes, largement inspiré de la vie de l’auteur, et qui vient clore une trilogie démarrée en 1971. Même ancrage dans le réel pour les histoires du fameux Victor Del Arbol, RJ Ellory, Franck Bouysse ou Lilian Bathelot. Quant à la présence du célèbre couple Pinçon-Charlot, l’engagement est clair ! Ce duo de sociologues planche sur la condition des bourgeois et des riches depuis la fin des années 80. En janvier dernier, ils publiaient ensemble « Le Président des ultra-riches. Chronique du mépris de classe dans la politique d’Emmanuel Macron », chez Zones. Un pamphlet sociologico-politique mué en roman noir graphique, avec l’aide du bédéiste Étienne Lécroart, et de Raphaële Perret à la conception. Cette exposition originale intitulée « Bienvenue chez les riches » a été spécialement conçue pour l’événement et sera inaugurée le jeudi 27 juin à 18h, salle Jean-Claude-Izzo, en présence des auteurs. Un événement qui ne devrait pas manquer de piment. « Le roman noir est toujours très populaire. Les gens y trouvent leur compte parce que ses thématiques en disent long sur la société actuelle. Le noir se nourrit de ce qui se passe dans le monde », argue Estelle Girault. Une nourriture cruelle, parfois crue, transgressive ou passionnée… Un condensé de vraie vie puissance dix.
Ça vaut le détour !
En juillet et en août, la manifestation Les auteurs à la plage proposera encore de belles rencontres sur le sable fin de Leucate (Aude). Même ambiance, le monoï en moins, pour les rencontres de la BD d’Uzès (Gard) les 4, 6 et 7 juillet. Le 11 juillet, rendez-vous à Sahorre (Pyrénées-Orientales) pour fêter le livre jeunesse. Plus imposant, du 19 au 27 juillet, Sète plongera encore dans un flot de poésie lors du festival Voix-vives, avec des auteurs venus de tout le pourtour de la Méditerranée. Du 2 au 9 août, un détour par Lagrasse (Aude) et son Banquet du livre s’impose. L’occasion de faire le plein de littérature, conférences et rencontres… Sans oublier les Estivades poétiques de Tarascon-sur-Ariège, les 24 et 25 août, ou encore le festival international de BD les 31 et 1er août à Fabrègues (Hérault), dont l’illustratrice Béatrice Tillier sera l’invitée d’honneur.
Note : Retrouvez le calendrier complet des manifestations régionales sur le site occitanielivre.fr