Été 2022. Claude, 76 ans, vit à Saint-Jory, dans la banlieue toulousaine, à environ 20 km de la place du Capitole. Il y a deux ans, il a intégré une résidence flambant neuve, à l’image de celles qui poussent comme des champignons dans sa commune. Du dernier cri en termes d’isolation ? On pourrait le croire. Des murs épais. Le respect des dernières normes énergétiques, exigeantes. Qui donnent satisfaction. L’hiver, il utilise très peu le chauffage : sa note de gaz a considérablement chuté par rapport aux vieux appartements qu’il occupait auparavant. Mais il déchante amèrement en été : son T2 de 40 m² est surchauffé en quasi-permanence. Le thermomètre est resté bloqué autour de 30 °C, nuit et jour, pendant plusieurs mois. Et il n’est pas le seul. artdeville a pu recueillir d’autres témoignages de Toulousains attestant de chaleurs étouffantes des appartements construits récemment. Dès lors, comment expliquer ce phénomène ?
En fait, la plupart de ces bâtiments relèvent de la réglementation thermique 2012 (RT 2012). La toute dernière, estampillée RE 2020 (E pour Énergétique et Environnementale), commence à peine à être appliquée. « Jusqu’à la RT 2012, la question de la chaleur n’était pas suffisamment prise en considération. Depuis longtemps, la politique énergétique des bâtiments focalise surtout ses efforts sur la réduction des consommations liées à la période hivernale. La nouvelle réglementation intègre désormais l’enjeu des effets de surchauffe en été », explique Nicolas Cabassud, expert au Céréma qui a rédigé le guide national de la RE 2020. Cette institution placée sous la tutelle du ministère de la Transition écologique accompagne les collectivités locales dans leurs politiques d’aménagement et de transport.
Effets pervers de la RT 2012
L’une des explications à la chaleur observée dans les appartements récents tient à un effet pervers de la conception de la RT 2012. « Pour limiter la déperdition énergétique liée aux fuites d’air en hiver, une contrainte d’amélioration de l’étanchéité des bâtiments a été imposée. Ce qui s’avère préjudiciable pendant les périodes caniculaires, admet Nicolas Cabassud. En effet, la chaleur a tendance à monter plus vite en journée. » Une mécanique nocive qui est renforcée par toutes formes de production de chaleur à l’intérieur des appartements : téléviseur, ordinateur… Le corps humain lui-même est une source énergétique non négligeable. « On peut voir les appartements construits sous la réglementation RT 2012 comme des bouteilles thermos. La chaleur y est piégée », renchérit Françoise Thellier, enseignante-chercheuse à l’université de Toulouse III – Paul Sabatier, coresponsable de la filière licence / master Énergétique / Génie de l’Habitat.
Autre problème. La RT 2012, comme la RE 2020, impose un minimum de 1/6 de la surface habitable sous forme de surface vitrée. Les appartements livrés par les promoteurs se signalent désormais par de magnifiques et grandes baies vitrées. En hiver, cela offre un avantage : la captation de l’énergie solaire est supérieure à la déperdition de chaleur vers l’extérieur. Revers de la médaille : en été, cette surface importante représente autant de mètres carrés de passoire énergétique, y compris si les volets sont fermés.
La nouvelle réglementation, comme on l’a dit, vise désormais à contenir le problème de la chaleur. Il s’agit de maximiser tous les leviers d’action pour la minimiser avec, par exemple, l’incitation donnée aux promoteurs de généraliser les brise-soleil et de construire des appartements traversants pour en faciliter la ventilation nocturne. En outre, la couche d’isolant dans les murs passe de 8 à 12 cm. Mais qu’on ne se méprenne pas : face à des températures qui restent constamment élevées sur de longues périodes caniculaires, qui descendent peu la nuit, comme dans les villes du sud de la France, les meilleurs isolants du monde finissent par laisser s’installer la chaleur dans les appartements. « Si pendant 30 jours la température reste entre 30 et 40 °C, tous les logements, isolés ou non, seront inutilisables », confirme sans ambages Olivier Sidler, ancien dirigeant du bureau d’études Enertech, cofondateur de l’association Négawatt, un think tank dédié aux enjeux de la transition énergétique. « Je veux quand même rappeler le rôle très important de l’isolation qui va considérablement freiner le phénomène de montée en température », relativise l’ingénieur.
Le besoin de climatisation admis par l’État
Autre évolution, assez stupéfiante d’un point de vue politique : la nouvelle norme RE 2020 entérine le besoin potentiel de climatisation, alors que la RT 2012 en limitait fortement l’usage. L’entrée de plain-pied dans le réchauffement climatique a donc fait évoluer la doctrine de l’État sur ce sujet. « La nouvelle réglementation prend désormais en compte systématiquement les besoins de climatisation dans la conception des bâtiments », confirme Nicolas Cabassud. Les économies d’énergie réalisées dans les habitations l’hiver risquent donc d’être de plus en plus absorbées par le besoin croissant de climatisation dans les villes, en un cercle vicieux.
Toutes ces considérations se portent sur les bâtiments récemment construits ou à venir. Alors que la nouvelle réglementation énergétique et environnementale n’intègre pas dans ses modèles la notion d’îlot de chaleur des grandes villes, quid des immeubles anciens des centres urbains ? Avec la multiplication des canicules, la lutte contre les îlots de chaleur est devenue un enjeu sanitaire fondamental. L’INSEE estime que les vagues de chaleur de 2022 ont fait plus de 500 morts en Occitanie. Et si les données n’ont pas été établies à une échelle locale, il fait peu de doute que pour l’essentiel, cette surmortalité s’est produite dans les grandes villes régionales.