Saint-Cyprien devait être le démarrage de leur nouvelle vie, paisible et heureuse. Celle d’une retraite bien méritée après des années mouvementées à tenter d’anticiper, contenir, gérer les crises et tumultes de la société française, d’Alençon à Perpignan, en passant par Paris, Annecy et la Martinique. Hélas, pour l’ancienne commandant de police et l’ancien préfet, il en fut tout autrement. Leur engagement dans le service public, elle aux Renseignements généraux, spécialiste du terrorisme, et lui comme grand commis d’État (il fut aussi Trésorier-payeur général des Pyrénées-Orientales), ils ont dû le poursuivre au chevet d’une commune où la probité des maires successifs est questionnée depuis près de quinze ans.

C’est l’incarcération de l’un d’entre eux, en 2008, et son suicide en prison qui déclenchèrent le séisme. Et ses nombreuses répliques. À l’origine, un système de corruption organisée où des œuvres d’art servaient de monnaie d’échange à des marchés truqués. Dans leurs livres respectifs, Mairisme, la démocratie locale en trompe-l’œil (2013) et La mort en sourdine – Le Mairisme (2019), Jean et Isabelle Jouandet éclairent non seulement cette période tragique d’un nouveau jour, en révélant notamment le rôle ambigu de l’actuel maire dans cette affaire, mais ils témoignent, preuves à l’appui, des mensonges et de la désinformation qui selon eux, prévalent encore aujourd’hui dans la gestion de la cité balnéaire.
C’est d’abord en sa qualité de conseiller municipal de la majorité que Jean Jouandet a tenté d’agir pour la ville de Saint-Cyprien. Thierry Del Poso, maire actuel (LR), l’avait convaincu d’adjoindre l’image de sa respectable et prestigieuse carrière préfectorale en soutien de sa campagne électorale. Mais une fois la liste élue… Il n’a fallu que quelques semaines pour que l’ancien préfet se résolve à opter plutôt pour le rôle ingrat d’opposant. Témoin de la dérive autoritaire du nouveau maire, des agissements troubles qui selon lui s’installaient, Jean Jouandet se sentit alors le devoir de leur faire face. Contre cette « démocrature » saint-cyprianaise telle qu’il la désignait, il alerta dès lors Justice et État inlassablement, et jusqu’au bout.

Présumé innocent
Jean Jouandet décède en 2016, à 78 ans, quatre mois après une violente altercation avec le maire de Saint-Cyprien, Thierry Del Poso, à la sortie d’un conseil municipal. Le Premier magistrat, 51 ans à l’époque et ceinture noire de judo, s’est-il emporté après avoir été une nouvelle fois contredit par son vaillant opposant ? Jean Jouandet fut en effet « à l’origine de six plaintes déposées au pénal concernant la gestion de la ville de Saint-Cyprien », comme le rappelle le journal La Semaine du Roussillon. Et si la relation directe n’est pas établie(1) entre la gifle, l’empoignade et le décès du préfet, la justice reste à juger en revanche si les 23 jours d’ITT (8 prolongés de 15) prescrits à M. Jouandet méritent contre leur auteur de trois à cinq ans de prison ainsi qu’une peine d’inéligibilité. C’est la peine encourue par M. Del Poso, présumé innocent, qui a finalement été mis en examen en mai 2021 pour « violence par personne dépositaire de l’autorité publique ». Réentendus sous serment, tous les témoins initialement favorables à la version du maire ont révisé leurs premières déclarations.

Faire triompher la vérité
La violence, Isabelle Jouandet la connaît bien : « Je la côtoie depuis mon enfance au Maroc », explique-t-elle.
Elle qui depuis s’est faufilée parmi les milieux les plus interlopes ne craint pas de se battre aujourd’hui pour faire triompher la vérité. «Parce que ce qui se passe à Saint-Cyprien se passe partout en France » dit-elle.

Après le décès de son mari, le temps de reprendre pied, Isabelle Jouandet a décidé de poursuivre son combat. « Je n’ai pas supporté qu’à peine mort, une fois encore on tente de salir l’honneur de Jean, alors qu’il a laissé sa vie à défendre celles des autres. » Isabelle Jouandet a obtenu par exemple la condamnation du directeur de cabinet du maire de Saint-Cyprien qui, lors de la campagne électorale des municipales de 2014, avait mis en cause la responsabilité de Jean Jouandet en sa qualité d’ancien préfet de Haute-Savoie dans la catastrophe du Grand-Bornand(2). Le énième procès entre le couple incorruptible et des représentants de la mairie de Saint-Cyprien a donc encore une fois balayé la diffamation. Mais à quel prix ?

« Ce récit n’est pas une fiction », prévient le dos de couverture du livre d’Isabelle Jouandet, tant en effet, la réalité des affaires judiciaires qui troublent Saint-Cyprien pourrait bien dépasser l’imagination.
Entre 2009 et le décès de Jean Jouandet, de nombreuses décisions du juge administratif saisi par l’ancien préfet ont ainsi sanctionné les irrégularités des actes de la gestion municipale et de l’office de tourisme. La cour des comptes s’en est également chargée, relevant des « anomalies ». Au moment des faits de violence, sept procédures pénales sont toujours en attente de clôture d’enquête. Quant aux douze plaintes portées en réplique par M. Del Poso et ses proches à l’encontre de leur opposant municipal – pour injures, délit fictif, diffamation, dénonciation calomnieuse… aucune n’est parvenue à entacher la réputation de Jean Jouandet : cinq procès ont prononcé sa relaxe totale et sept ont été classés sans suite.

Par contre, depuis la mort de Jean Jouandet, plusieurs affaires n’ont jusqu’à présent pas été qualifiées par la justice pénale : la vente suspecte des œuvres d’art par l’actuel maire ; les troublantes réitérations de la vente du camping municipal de la ville par le Conseil municipal après la double annulation de cette vente par les tribunaux ; un projet immobilier en zone inondable… où escroquerie au jugement, prise illégale d’intérêt, trafic d’influence, favoristisme, corruption présumés… ont fait l’objet de plaintes sans que la justice se soit encore prononcée.

État de droit
Jean, Isabelle Jouandet et leurs amis n’ont cessé d’alerter en toute abnégation, y compris par un blog toujours en ligne www.pugnace.fr. Jean Jouandet s’était même tourné vers l’État, l’exhortant à agir. L’ancien préfet a adressé en 2011 un courrier en ce sens au président de la République de l’époque, M. Sarkozy. Courrier qui a reçu une fin de non-recevoir : « Comme vous le savez, les collectivités territoriales s’administrent librement et, dans un État de droit, sont soumises au contrôle des autorités juridictionnelles. Il vous appartient donc, si vous estimez que des actes ou des agissements sont contraires à la légalité républicaine, d’en saisir les juridictions compétentes. » Elle est signée du secrétaire général adjoint de l’Élysée d’alors, un certain… Jean Castex. Coïncidence : l’ancien Premier ministre du président Macron est aussi un ancien élu local, puisqu’il fut notamment maire de Prades, conseiller départemental de Pyrénées-Orientales et conseiller régional du Languedoc-Roussillon. Problème : Jean Jouandet a passé sa retraite à saisir la justice, à ses dépens, littéralement, et en vain. Jean Castex pouvait-il l’ignorer ?

« Pour avoir une tête saine, il faut un corps sain et l’échelon municipal est le premier niveau démocratique. Or, il dysfonctionne et les gens en ont peu conscience. Et il y a ceux qui s’en accommodent. Que se passe-t-il lorsque de tels politiciens locaux atteignent le sommet de l’État ? » interroge Isabelle Jouandet qui parle « d’un effondrement des institutions. Pour moi, ce qui se passe ici est une sorte d’Outreau(3) politique ». Contacté, le maire de St Cyprien n’a pas souhaité s’exprimer.

(1) M. Jouandet souffrait de pathologie cardiaque, mais c’est le cancer du pancréas que les examens médicaux ont révélé par la suite qui l’a emporté.
(2) Contrairement à ce qu’affirmait le directeur de cabinet du maire de Saint-Cyprien, le préfet de Haute-Savoie à l’époque, Jean Jouandet, n’a aucune responsabilité dans la catastrophe du Grand-Bornand. Au contraire. Il a été démontré qu’il avait bien agi pour l’éviter. Il s’est d’ailleurs aussitôt porté au secours des nombreuses victimes de ce dramatique glissement de terrain, survenu le 14 juillet 1987 et il n’a ainsi pas pu servir de fusible au ministre de l’Environnement de l’époque, Alain Carignon.
Pour rappel, Alain Carignon a été condamné à 5 ans de prison (dont 1 an avec sursis), 5 ans d’inéligibilité, et 400 000 francs d’amende pour corruption, abus de biens sociaux, et subornation de témoins.
(3) L’affaire d’Outreau désigne une affaire d’erreur judiciaire concernant des faits d’agression sexuelle sur mineurs ayant eu lieu entre 1997 et 2000.

Légendes photos :

  • Sur le terrain d’un projet immobilier controversé de Saint-Cyprien, Isabelle Jouandet explique à la reporteure d’investigation Ève Szeftel que la zone était à l’origine inconstructible car inondable à haut risque. Grâce à un cabinet d’avocat proche du maire, lui-même avocat, et à un promoteur bien connu de la Ville, un ensemble résidentiel haut de gamme sort aujourd’hui de terre. À droite, Jean-Claude Montès, ex-conseiller municipal d’opposition. Ève Szeftel est l’auteure du livre Le Maire et les barbares, aux éditions Albin Michel.
  • « Je n’ai pas supporté qu’à peine mort, une fois encore on tente de salir l’honneur de Jean»
    Isabelle Jouandet, Ex-commandant de police