« C’est un peu une histoire à la sétoise », raconte de manière surprenante Jean Denant. Certes, l’auteur du Pont des arts, sétois lui-même, a quelque raison de reprendre sans ciller le préjugé qui attribue des pratiques interlopes aux habitants du midi de la France. C’est en effet un peu par hasard qu’il s’est trouvé à la tête de ce chantier. Le bien nommé Pont des arts, qui desservira le futur quartier à l’entrée est de la ville, a non seulement enjambé fin mars le canal de La Peyrade au droit du nouveau conservatoire de musique de Sète Manitas de Plata, mais aussi les usages par le protocole plutôt atypique de sa construction.

L’artiste Jean Denant est déjà bien connu par-delà les rivages sétois. Son œuvre Mare Nostrum a notamment été offerte en cadeau protocolaire au roi du Maroc par le président Hollande. Si la création du Pont des arts lui a été confiée, c’est que le projet initial de l’architecte choisi par la Ville a été retoqué par celui des Bâtiments de France. La mairie embarrassée a alors sollicité l’avis d’un autre architecte, Pierre di Tucci. Après quelques esquisses, celui-ci a souhaité consulter « Antoine [Lacombe], avec qui je partage mon atelier, pour une recherche 3D. Je n’ai pas pu m’empêcher de regarder par-dessus son épaule et ça s’est fait comme ça ! Je me suis retrouvé à présenter le projet à la mairie. » Peu à peu, les nouvelles courbes du pont ont été profilées. « Il y a eu quand même quelques allers-retours ! La hauteur du pont, par exemple, n’était pas suffisante ; il a fallu tout refaire », en sourit désormais Jean Denant.

Un tablier inox poli, caractéristique de l’œuvre de l’artiste sétois, joindra ainsi sous peu chaque pile entre le Quai des Moulins et l’avenue Gilbert Martelli. Ses rondeurs harmonieuses refléteront tel un miroir concave le paysage de carte postale qui accroche invariablement le regard lorsqu’on accède à la ville par ce côté-ci.
« Il ne s’agit pas d’une œuvre posée », précise Jean Denant, mais d’une réalisation in situ, avec toutes les contraintes qui vont avec, notamment le passage des réseaux. D’anciennes canalisations d’hydrocarbure ont d’ailleurs arrêté le chantier quelques semaines. « J’ai voulu que la façon soit visible dans chaque élément, qu’il y ait une lecture poétique possible pour chacun. La couleur des bétons, des sols, l’éclairage… l’empreinte de filets de pêche dans le béton, peut-être. »

On ne s’improvise cependant pas du jour au lendemain référent d’un tel projet. L’artiste décrit son propre fonctionnement comme « très organique où tout n’est pas défini à l’avance. Mais là, il y a des décisions à prendre et pas en 5 mn. » Même s’il a l’expérience des chantiers et du travail en équipe – son œuvre en témoigne (lire encadré) – c’était pour lui une première dans le bâtiment et les travaux publics. « Avec ce travail, j’ai beaucoup appris de la relation humaine », confesse-t-il aujourd’hui. « Il y a eu des frottements, on ne se comprenait pas toujours. Et puis j’ai réalisé qu’ils n’avaient pas d’image 3D du pont, qu’ils n’avaient que des plans. » Ils, ce sont les ingénieurs et techniciens des sociétés Colas, Buesa et autres prestataires avec qui les choses se sont donc peu à peu fluidifiées. « La virtuosité que j’ai demandée pour le voile, c’est qu’elle soit d’une seule pièce. Sinon, ce ne serait qu’un habillage. » Elle arrivera finalement en 3 à 5 morceaux, mais l’ensemble devrait former au regard une seule et même entité.

Jean Denant

Jean Denant réside et travaille à Sète, où il est né en 1979. Il est diplômé des Arts appliqués et de l’école des Beaux-Arts de Toulouse. Son œuvre, un chantier permanent. Béton, plaques de placo-plâtre, planches de coffrage, brisure de brique rouge, plaques d’isolant… tels sont en effet les éléments qui constituent majoritairement sa palette ; un marteau parfois en guise de pinceau. Plus lyrique, Manuel Pomar, directeur du centre d’art Lieu commun, à Toulouse, décrit son travail comme un « travail d’échelle, de l’humain au monde, de la ville à l’individu, du géologique à la mémoire, de l’intime à l’universel [par lequel] Jean Denant exprime les forces du monde et leurs contradictions. » Dans la région, on peut notamment admirer ses œuvres sur la corniche de Sète, sur le port de Marseillan et, bientôt, à la station Labège Gare, sur la ligne 3 du métro toulousain, prévue en 2028.