On s’en était fait peu à peu une religion : qu’importe le flacon pour peu qu’on ait l’ivresse. En art comme pour toute forme d’expression créative, seul le sujet arbitre et détermine l’intérêt d’un objet final. Quelle que soit sa facture, soit l’installation, la vidéo, la performance, la sculpture, la peinture… vous saisit, vous surprend, vous provoque, vous tourneboule, soit elle vous laisse indifférent.e. Y compris quand le flacon devient le sujet lui-même.
L’hymne à la peinture figurative française que l’exposition « Immortelle » célèbre sur deux sites, le MOCO et La Panacée, semblerait en ce sens un brin facile. Mais l’histoire récente relève qu’au contraire, le médium peinture a bel et bien été mal-aimé en France dans la dernière décennie du deuxième millénaire. L’idée de cette grande exposition événement paraît ainsi amplement justifiée et salutaire. Mais…

Courber l’échine
On veut bien convenir sans ambages que la France ne fut pas l’Eldorado des peintres nés entre les années 70 et 80, y compris pour les plus aventuriers. Qu’en restant obnubilés par d’autres formes d’expressions plus ou moins nouvelles, les institutions françaises de l’époque notamment ont au pire empêché, au mieux retardé l’émergence de talents remarquables, artistes qui ont pour certains dû s’exiler et pour une majorité courber l’échine.
Que par effet de mode, dogmatisme ou simplement bêtise, la jeune peinture figurative contemporaine a été injustement méprisée. Soit.
La peinture n’est évidemment ni un médium réactionnaire en elle-même, ni ringarde, ou bien comme le suggère le directeur du MOCO, Numa Hambursin, dans les prolégomènes du catalogue de l’exposition, la musique acoustique ou l’édition imprimée le seraient tout autant. Absurde. Tout dépend, bien sûr, de ce qu’on en fait. Et les contempteurs de la peinture figurative contemporaine ont été bigrement plus redoutables à l’art et à la culture par leur arrogance que les artistes ainsi toisés par ce regard condescendant.

Règlement de comptes
Mais en présentant 122 d’artistes en même temps, 350 de leurs œuvres, en 2 lieux différents, comme pour faire masse dans une manifestation syndicale ou politique, la démonstration de vitalité souhaitée ne cèderait-elle pas inutilement au sentiment de revanche ? Voire au règlement de comptes ? Numa Hambursin ne s’en cache pas : « L’art contemporain est un sport de combat », affirme-t-il, paraphrasant le sociologue Pierre Bourdieu. Toujours dans les premières pages du catalogue, le directeur du MOCO ne peut d’ailleurs pas s’empêcher de tacler son prédécesseur Nicolas Bourriaud, qu’il cite pour mieux le piquer : « Est-on autorisé à penser que, dans les années 1990-2000, peu de jeunes peintres apportaient quelque chose d’original ou d’intense à la pratique picturale ? Cela se passait ailleurs, dans l‘utilisation du temps, des médias, dans l’installation, dans la vidéo. » Numa Hambursin commente alors : « La réponse générationnelle n’est pas pertinente, un Olivier Céna, pourtant son contemporain, ayant dénoncé “l’empire du snobisme“ qui permit d’ostraciser la peinture. » Contre l’Empire, la contre-attaque !
Numa Hambursin assume d’ailleurs le caractère « foisonant » de cette exposition et, par là, une certaine complaisance dans le choix des artistes : « Nous n’avons pas cherché à défendre des “familles” d’artistes proches de nos goûts et de nos prédilections esthétiques, mais bien à tendre vers une exigence d’exhaustivité ».
Et la démonstration est plutôt réussie et assez réjouissante – par son côté musclé de bonne guerre, en tout cas ! On peut toutefois regretter précisément ce parti pris : « On aurait pu dire la même chose, mais pas comme ça ! » confirme un des artistes invités. Car, ironiquement, l’exposition tombe un peu dans l’écueil qui fut celui de l’Hôtel des Collections imaginé par Nicolas Bourriaud pour le MOCO, rue de la République. On y présentait tour à tour les collections de telle ou telle personnalité ou institution prestigieuse. Le problème résidait ainsi dans le manque de perspective. Les œuvres d’artistes plus ou moins connus se côtoyaient souvent sans autre cohérence que celle d’avoir été acquises par le collectionneur, rendant complexe leur perception par le public. C’est par cette raison, en tout cas, que Numa Hambursin a justifié l’abandon du concept de l’Hôtel des Collections.
L’alternative ? Un choix d’artistes un peu plus resserré, un parti pris curatorial ainsi plus affirmé, et une présentation ainsi plus profonde et de l’œuvre de chaque artiste, toujours sur les deux lieux, La Panacée et le MOCO. Une manière peut-être plus accessible (et plus apaisée) de découvrir et identifier les maîtres de la décennie injustement “défigurée“ de l’art contemporain français.

Immortelle – Vitalité de la jeune peinture figurative française.

En deux lieux de Montpellier :
• MOCO. Panacée, 14 rue de l’École de Pharmacie, du 11 mars au 7 mai 2023
• MOCO 13 rue de la République,
Du 11 mars au 4 juin 2023

Légendes photos :

De nombreuses œuvres de l’exposition semblent questionner, à juste titre, le statut de peintre contemporain

Vue d’exposition avec (de gauche à droite) Inès di Folco, Apolonia Sokol et Johanna Mirabel.
Photo : Marc Domage

Tabouret, portrait as a vampire – 2019
Claire Tabouret, self-portrait – Acrylique sur bois 61 x 45 cm
Courtesy of the artist & Almine Rech – Photo : Marten Elder

Florence Obrecht et Axel Pahlavi
Quand nos secrets n’auront plus cours, 2018
Huile sur toile / Oil on canvas, collection privée, Paris
Courtesy des artistes – © Adagp, Paris, 2023

Vue d’exposition avec (de gauche à droite)
Abel Pradalié, autoportrait Oberkampf, hommage à
Rembrandt – 2022 – Huile sur toile. Courtesy de l’artiste
Nazanin Pouyandeh, Nu au mimosa, 2020, Huile sur toile.
Courtesy de l’artiste et de la Galerie Sator – Photo : Marc Domage

Romain Ventura, Fenêtre à La Panacée
(extérieur) – 2019. Huile sur bois.
Photo : FM/artdeville