« La représentation du végétal ne date pas d’hier », pose d’emblée Ursula Caruel, relativisant l’originalité artistique qu’il y aurait à aborder ce thème. Citant les grands noms qui ont marqué l’histoire – notamment Toussaint-François Node-Véran (1773-1852), peintre officiel du Jardin des Plantes de Montpellier dont les herbiers font référence ; D’Alembert, bien sûr, et son Encyclopédie éditée de 1751 à 1772 avec Diderot ; Hollan dont on a pu apprécier récemment une exposition des œuvres au musée Fabre de Montpellier – Ursula Caruel minimise encore son mérite à s’inscrire dans cette continuité. Elle évoque ainsi une pratique quasi atavique : « C’est pour moi un sujet plus qu’évident parce que j’ai toujours dessiné ce que j’avais sous les yeux. » Née de parents agriculteurs, elle est au fait dès son plus jeune âge sur la manière dont poussent les végétaux, la nature des sols et des climats qui leur conviennent, et c’est de cela dont se nourrit son art.

Des traits dans l’espace
Des études en design textile la confortent dans cette direction. « En art appliqué, ce qu’on dessine le plus, ce sont des fleurs. Et depuis 2015, je ne fais plus que ça. » Militante écologique, membre notamment de l‘association Forest art project (lire encadré), elle s’interroge : « Comment apporter ma toute petite contribution alors que la seule chose que je sache faire est dessiner ? » Sa réponse : des œuvres en deux ou trois dimensions, dessins dont les traits s’échappent par des fils, le plus souvent, qui se nouent les uns aux autres, suturent de potentielles plaies, ou s’élancent telles des lianes à la conquête de leur environnement. « Je ne suis pas sculpteur, je considère ces fils, cette laine, comme des traits dans l’espace. » Mais des objets se forment bel et bien, jusqu’à occuper parfois entièrement leur lieu d’exposition.

Un art local et nomade
Dans sa recherche, l’artiste explore « un art local et nomade » qui la mène à la rencontre de multiples histoires du végétal : « Partout, en France ou ailleurs, les récits sont différents. Et en partant de petites choses, on arrive finalement à un discours universel. » Le dire avec des fleurs en somme serait sa manière subtile et à propos de s’engager. Et d’évoquer des sujets graves. « Dans le Var, par exemple, 60 % des forêts ont brûlé. C’est énorme ! C’est un cycle en réalité. Il y a des plantes pyrophiles… Ça raconte quelque chose. […] L’année prochaine, avec Forest art project, nous allons en Gironde. Après les incendies qui ont eu lieu, nous avons déjà eu des réunions avec des scientifiques et des politiques pour tenter de répondre à la question : que vont devenir ces espaces ? Quelle est la vision de l’artiste sur ce qui s’est passé ?

Le regard que pose Ursula Caruel sur la nature n’a donc rien de celui d’un urbain qui s’émerveille et s’exclame béat face à la beauté d’un paysage. Sa vision et son approche sont « systémiques. » Les sortes de rhizomes qu’elle conçoit en expriment la genèse et la finalité. « Mais à côté, bien sûr, la beauté ça compte. »
L’artiste cultive ainsi ses œuvres comme on cultive un jardin ou crée un paysage. Ursula marcotte ses dessins, les taille, les bouture ; certains sont laissés en jachère, d’autres deviennent humus…
Dans son atelier du quartier populaire de Figuerolles, chacun est parfaitement rangé ou agencé, tels les herbiers fabuleux de son illustre aïeul de la faculté de Montpellier. La rue a été entièrement rénovée par la Ville. Des plantes en pots y ont été installées et sur lesquelles l’artiste veille donc activement, directement et indirectement.

Forest art project

L’objectif de Forest art project est de « sensibiliser à l’avenir des grandes forêts de notre planète à travers l’art et la science ».
Créée à Montpellier en 2017, notamment autour du célèbre botaniste Francis Hallé et son projet de recréation d’une forêt primaire en Europe, l’association s’est très vite élargie et accueille désormais de nombreux artistes, tous fervents défenseurs des arbres et des forêts. Ensemble, ils dénoncent les responsables de la déforestation qui « vivent sur une autre planète que nous, une planète nommée « Fric »[…] mélange d’affairisme, d’indifférence et de brutalité. »
Le projet se veut « une manifestation d’optimisme et un acte de résistance » dont l’exposition « L’arbre dans l’art contemporain » est une des expressions. Jusqu’au 30 octobre 2022, le Musée de l’Eau à Pont-en-Royans
www.forest-art-project.fr