Après une consultation citoyenne d’envergure, la Ville de Toulouse repense l’aménagement de ses quartiers et de ses places. L’heure est à la végétalisation mais aussi à l’embellissement, au risque d’écarter une certaine vie populaire. « Que la Place du Capitole de 2023 ne soit pas celle de 2022 », professe le maire de Toulouse Jean-Luc Moudenc. C’est-à-dire une place minéralisée, « comme le furent les principales piétonnisations de ces cinquante dernières années », brûlantes et impraticables aux heures les plus chaudes de l’été. Il n’en révélera pas plus, ce 2 décembre, pendant la conférence de presse consacrée aux projets citoyens destinés à améliorer la vie dans les quartiers, sur ce que ses services techniques vont proposer, dans les semaines à venir, pour la rendre plus fraîche. La végétalisation de la place emblématique de la ville a été le projet qui a recueilli le plus de voix dans le cadre de cette vaste consultation citoyenne qui s’est déroulée de juin 2021 à octobre 2022. Deux années pendant lesquelles les Toulousains ont formulé des idées pour améliorer leur quartier – 1 600 au total dont 75 % d’écologiques – et voté pour 83 d’entre elles validées par les services techniques municipaux. Les vingt quartiers de la ville disposant d’une enveloppe de 300 000 €. « Par exemple, certains habitants proposaient de planter des arbres sur la Place du Capitole, mais nous avons retoqué ce projet à cause de sa complexité », poursuit l’élu. Il rappelle que la présence d’un parking souterrain « empêche de planter des arbres comme on voudrait ». Une difficulté technique que la Ville de Montpellier a choisi d’affronter en transformant, Place de la Comédie, certaines places du parking souterrain en jardinières qui recevront des arbres de 12 mètres de haut tout en consolidant la portance de la place.

Éblouir le touriste
Plus modeste, le projet que les services municipaux ont retenu et pour lequel les Toulousains ont massivement voté propose d’entourer la place de verdure. Reste aux services techniques de trouver des solutions, comme faire courir des plantes rampantes sur le sol, étendre des voiles qui protégeraient du soleil comme cela se fait dans certaines places espagnoles ou déployer des jardinières en acier type Corten, qui, plantées d’arbres et installées le long de la façade du Capitole souligneraient le rythme de l’édifice. Conçue au XVIIIe par le peintre et architecte Guillaume Cammas (1698-1777), elle est l’un des symboles majeurs de la ville. « Cette place est splendide, on va lui rendre sa majesté en dégageant les arcades et en installant de belles terrasses. Il faut que le touriste soit ébloui en arrivant », se projette Olivier Arsac, adjoint au maire en charge du commerce et de la participation citoyenne, responsable de la transformation de la place. Quitte à la priver de ce qui la rend vivante, en éloignant les marchés de plein vent hebdomadaires ou en réduisant les événements sportifs, associatifs, politiques ou culturels qui s’y déroulent régulièrement.

Une « faune désagréable »
Cette même tentation se retrouve dans son approche de l’Esplanade François Mitterrand, cet espace sur lequel débouche le métro Jean-Jaurès, au bas des Ramblas, point de rencontre de jeunes et de ralliement de nombre de manifestations. « Cette esplanade est devenue une entrée de ville. Elle n’est pas accueillante, alors qu’elle est belle et devrait être agréable et offrir une occupation positive des lieux », déclare-t-il, stigmatisant « une faune désagréable » qui traîne sur les lieux et les « uber eats » qui s’y retrouvent. Un temps, la municipalité avait envisagé de détruire les huit kiosques art déco recouverts de mosaïques qui bordent la place, et dont ils font tout le charme, au prétexte qu’ils seraient une source de nuisances et de trafics. Mais la forte mobilisation de la population farouchement opposée à cette destruction a eu raison du projet municipal. Sur les huit, deux ont été déplacés pour fluidifier la circulation à la sortie du métro, quant aux autres, la mairie envisage de les confier à un gestionnaire pour qu’il y ouvre des espaces de restauration et installe des terrasses sur l’Esplanade.
Sur les 83 projets choisis par les Toulousains, 13 concernent la végétalisation de places. La plus emblématique est la Place de l’Europe, la plus grande et la plus minérale d’entre toutes, lieu de rassemblement des skateurs. L’arrivée récente d’un campus du numérique a ramené sa superficie de 20 000 m2 à 12 000 m2 et poussé à en repenser la configuration. D’autant que ces nouveaux bâtiments, d’après des habitants participant aux ateliers citoyens, auraient renforcé l’aspect caisse de résonance de la place. Et par leurs façades vitrées accru la sensation de chaleur.

Au rythme militaire
Ancienne place d’armes située autrefois entre deux casernes, la Place de l’Europe en a conservé la géométrie très militaire. C’est justement cette histoire que l’architecte des Bâtiments de France a demandé de mettre en avant au titre de la mémoire du quartier. « Le problème, c’est que, par nature, une place d’armes est une place vide (ndlr, réservée aux rassemblements et démonstrations militaires). Avec l’aide des services techniques, nous avons réussi à le convaincre, en lui rappelant l’attente très forte de la population en matière de végétalisation », souligne Ghislaine Delmont, adjointe à la mairie et maire du quartier dont dépend la Place de l’Europe. Un compromis pour évoquer ce passé militaire a notamment été trouvé avec le rappel de la couleur bleue des uniformes des soldats dans le choix de chênes, d’arbustes et de végétaux ayant une floraison bleue. De plus, une fontaine sera construite au cœur de la place, elle proposera une animation trois fois par jour rythmée par la cadence du pas militaire. « Nous voulons que la fontaine rythme la vie de la place comme l’armée autrefois », enchaîne l’élue. Un circuit jalonné de panneaux historiques rappelant l’histoire du quartier et de statues, celles des généraux Caffarelli et Compans ou celle d’une bataille est également prévu. Le nouvel aménagement ne laisse pas ou très peu de place aux skates. 30 % des personnes ayant répondu à l’enquête en ligne souhaitant davantage de calme, 45 % qu’elle devienne un lieu de détente et de repos, quand 32 % la voudraient conviviale et 14 % animée. À l’heure du choix, tout l’enjeu des ateliers a été d’arbitrer entre les intérêts des riverains éloignés, qui veulent des animations et des espaces sportifs et ceux des habitants qui aspirent au calme. MC

La Comédie plus verte et plus ouverte

La plantation d’arbres sur la Place de la Comédie dira notre intention de végétaliser la ville et d’offrir de nouveaux îlots de fraîcheur dans tous les quartiers », énonçait Michaël Delafosse, lors du lancement de la concertation. L’embellissement de la Place de la Comédie a depuis engagé la première phase de travaux de surface, le 5 septembre dernier ; elle porte sur la création des fosses nécessaires à la plantation. Pour ce faire, il a été décidé de supprimer une centaine de places sur les 835 existantes. Mais le projet est évidemment plus vaste et inclut l’Esplanade Charles-de-Gaulle, le Triangle, les boulevards Sarrail et Victor-Hugo. À noter : il rectifiera enfin l’aberration urbaine contraignant la circulation piétonne à travers le centre commercial Polygone, jusqu’aux étroits escaliers mécaniques finaux qui sont encore l’issue principale vers la Place du Nombre d’Or, entrée ouest d’Antigone, quartier emblématique de la ville conçue par l’architecte Ricardo Boffil.
Le boulevard Sarrail, autre étrangeté urbaine qui canalisait les voitures le long de l’Esplanade jusqu’au parking de la Comédie, sera rendu aux piétons, cet accès étant supprimé, la voie deviendra quasi piétonne.
Sur l’Esplanade elle-même, le kiosque Bosc classé patrimoine du XXe siècle fera l’objet d’une restauration d’ensemble, la fontaine d’origine sera remise en eau et les allées entièrement remaniées afin de dégager des perspectives et des cheminements plus harmonieux.
Sur le site internet dédié par la Ville aux travaux, le peintre Vincent Bioulès témoigne du bonheur qui fut le sien d’habiter le long de l’Esplanade : « Mais en 1968, avec la construction du Polygone, tout a changé. Entraînant la destruction de la gare de Palavas et de son square, situés entre la Comédie et l’Esplanade. Le petit train à vapeur qui menait à Palavas a également disparu. Supprimant du même coup des moments joyeux et épiques. Et un accès direct de Montpellier à la mer… Dès lors, cette place qui avait une fonction civilisatrice n’existait plus. » Gageons que les travaux contribueront à restaurer cette fonction. FM

Contre Aristide Briand et pour Victor Hugo

Sète, le projet d’aménagement de la Place Victor Hugo ne mobilise pas autant l’attention que celui de la Place Aristide Briand, loin s’en faut ! Très polémique, ce dernier suscite outre des manifestations tous les samedis, qui réunissent régulièrement plusieurs centaines de personnes, des tribunes de personnalités telles que François Morel, ironique sur France Inter, et José Bové, virulent sur France 2. Un parking doit être construit sous la Place, en plein centre-ville, alors que les accès par les quais sont déjà saturés, et qu’il menace des alignements d’arbres protégés. « À l’heure où l’on veut chasser les voitures des centres-villes, ce projet est un non-sens, objecte l’association Bancs publics. C’est un projet illégal, dangereux et dépassé. » Le maire François Commeihnes revendique quant à lui son bon droit, après quelques modifications de permis de construire et une demande de dérogation préfectorale concernant la déplantation des arbres. L’élu argumente par ailleurs qu’il supprime des places de parking sur les quais ainsi que sur la place où la nouvelle salle Brassens doit être bâtie. Il souligne la piétonnisation des rues adjacentes qu’il a engagée ces dernières années et qu’il entend poursuivre. Une sérieuse bataille en justice est en cours, dont l’un des actes importants devait se jouer ce 7 décembre 2022, trois référés suspensifs engagés par Bancs publics et 72 habitants de la place.

Place Victor Hugo, c’est un tout autre projet qui s’apprête à voir le jour, artistique celui-ci. Il concerne en réalité le site englobant le théâtre Molière et l’ancien collège Victor Hugo, de part et d’autre du boulevard et de la place éponymes. Un parking souterrain vient d’y être construit, sans heurts cette fois, et au-dessus terrains de boules, arbres, bancs, bains douches et fontaine s’installeront. Pour les arbres, ils seront en lisière du parking, faute de profondeur suffisante ni infrastructure prévue.
Mais c’est la fontaine et les bains douches qui feront l’objet d’un soin particulier. La création de la fontaine a été confiée à un artiste de renom, Jean-Michel Othoniel (cf. artdeville n° 54 – été 2017) qui interviendra également sur le bâtiment des bains douches, réhabilité en « un lieu de convivialité participatif ». Pour cela, un concours financier de l’État, via le ministère de la Culture, a été obtenu par le maire M. Commeinhes et M. Othoniel lui-même, le 30 septembre dernier : « On a gagné 386 000 euros, à l’unanimité, s’enthousiasme Fabrice Manuel, conseiller artistique au cabinet du maire de Sète, un des plus beaux montants pour la commande publique en France et une magnifique reconnaissance. » Cet aménagement s’insère dans le cadre de la candidature au titre de Montpellier, capitale européenne de la culture en 2028, à laquelle Sète s’est associée, avec plus de 170 communes de l’aire urbaine. FM