Pierre Tilman occupe jusqu’au 21 mai l’espace du cabinet d’arts graphiques du Musée régional d’art contemporain. L’artiste sétois (né en 1944 à Salernes) à la fois poète, plasticien, performeur, écrivain… y présente une ultime étape d’une œuvre qu’il égraine derrière lui depuis on ne sait plus trop quand, tel le petit Poucet, pour mieux y revenir.

Sa série « Îles flottantes », titre de son exposition, trouverait ainsi sa source en 1977, avec une date plus marquante deux ans plus tard, par la publication d’un livre de science-fiction Îles flottantes. Depuis, une trentaine d’autres ouvrages signés Pierre Tilman sont parus, et de nombreuses expositions qui ont pu revisiter ou non le thème.
Gestes légers, modestes, presque futiles, Pierre Tilman bricole objets et mots comme un artisan matières et matériaux. Il les assemble, les confronte, les combine, l’air de rien comme le ferait aussi un joueur de Scrabble® émancipé de toutes règles et grilles. Pierre juxtapose sens, sonorité et babioles jusqu’à inventer sa propre langue, indéniablement tilmanienne, un vocabulaire faussement banal de calambours qui tutoierait volontiers celui de Queneau, Perec et autres membres de l’Oulipo, à une génération près.
C’est ce que montrent les premières œuvres accrochées aux murs du Mrac, dans la collection du musée depuis 2011.

Plus loin, l’exposition « Îles flottantes », ou au fond, « il flottant », décrit à la manière de l’artiste empli de sa propre condition, cette solitude singulière à « la dérive des rêves », qui étreint celles et ceux qui embrassent la carrière artistique. « L’artiste est une île », affirme Pierre Tilman. Œuvres réalisées aux crayons de couleur sur des feuilles de papier de différents formats, elles sont légendées à main levée : « Île qui vit sur un nuage » par exemple. Traités à la manière de cartes IGN, ces territoires poétiques tracent les contours plus ou moins définis, plus ou moins colorés, de ce que pourrait être l’âme d’un artiste, floue, brillante, abstraite… À moins qu’il ne s’agisse que de simples feuilles de dessin coloriées par un (grand) enfant ? « Pierre ne dirige jamais la pensée ; il la laisse ouverte », explique Clément Nouet, commissaire de l’exposition et directeur du Mrac. Le doute est donc permis. D’autant que des figurines de soldats en plastique sont à l’affût, nichées aux coins de la salle d’exposition. Elles pointent leurs armes mutines vers les visiteurs, révélant le caractère facétieux, un brin naïf, de celui qui joue encore avec.

La veille de l’inauguration de l’exposition du Mrac, Pierre Tilman était pourtant plus grave, au musée Paul Valéry de Sète, où un hommage à Jean-Luc Parant était rendu par ses amis. Pierre Tilman figure parmi ceux-là. Pour célébrer la mémoire de l’artiste décédé en juin 2022 auquel le musée a consacré une très belle exposition, Pierre Tilman endossa son rôle de poète/performeur. Il invita le public à crier afin que les murs du musée sursautent, et que le bâtiment s’élève de quelques centimètres pour une fraction de seconde. Au signal, la salle a crié, clôturant avec émotion l’exposition démarrée le 23 novembre 2022.

CNAP, le Retour

n ne va pas s’aventurer à trouver un sens au nouvel accrochage du Mrac, puisque « Le Retour », titre de l’exposition, à durée elle-même indéfinie, se présente comme « un délire paranoïaque, un cauchemar ou un trip ».

Joyeusement décalées, volontiers décadentes et assurément azimutées, les œuvres présentées ont été pour partie prêtées en 2016 par le Centre national des arts plastiques (CNAP), l’institution qui enrichit pour le compte de l’État le fonds national d’art contemporain ; les autres appartenant à la collection du musée régional d’Occitanie. Dans une atmosphère onirique, le Mrac fait dialoguer les œuvres entre elles à l’occasion d’une « petite balade flippante » (a creepy little walk) selon le grand mural de Nora Turato, qui démarre la visite.

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